En l’absence d’un communiqué officiel sur l’état de santé du général Abdelaziz Bennani, les rumeurs fusent sur les réseaux sociaux, allant même jusqu’à évoquer le « décès » de l’homme fort des FAR. Cette information a été démentie auprès des médias, par des sources concordantes mais toujours en « off ». Ainsi, le numéro 2 de l’armée marocaine se trouverait à Paris, hospitalisé à l’hôpital du Val-de-Grâce. Selon Le360, l’état de santé du commandant de la zone Sud « n’inspire aucune inquiétude ». Le site Hespress avance pour sa part que le général serait atteint d’une « hémiplégie ».
Le général de corps d’armée Abdelaziz Bennani est un des plus hauts gradés de l’armée marocaine. En 2012, TelQuel lui avait consacré un portrait-enquête qui revient sur le destin de cet « homme normal » qui a doucement gravi tous les échelons de la hiérarchie militaire jusqu’à s’imposer comme le premier responsable de toutes les forces armées du royaume. Qui est-il vraiment ? Quels sont ses principaux faits d’armes ? Retour sur le parcours du général dans ce portrait-enquête publié dans le numéro 523 de TelQuel (du 19 au 23 mai 2012).
Abdelaziz Bennani : l’armée, c’est lui
L’armée marocaine a 56 ans. Lundi 14 mai, la Grande Muette a célébré son anniversaire, sans tambours ni trompettes. Les hommes en treillis ont défilé à l’intérieur de leurs casernes, sous le regard de quelques gradés en uniforme. Au premier rang des militaires de Sa Majesté : le général de corps d’armée Abdelaziz Bennani, reconnaissable au stick de commandement qu’il tient en permanence sous le bras. “C’est une forme d’élégance militaire à laquelle tient le général. C’est aussi une manière de rappeler que le chef, c’est lui !”, commente ce militaire à la retraite. à 77 ans, l’homme continue à diriger d’une main de fer toutes les composantes des Forces armées royales (FAR). Il cumule, depuis 2004, les fonctions d’inspecteur général des FAR et de commandant de la zone Sud. Son histoire personnelle se confond presque avec celle de l’armée qu’il dirige. Bennani fait en effet partie de la toute première promotion d’officiers marocains des FAR. Artilleur de talent, il a doucement gravi tous les échelons de la hiérarchie militaire. Aujourd’hui, il fait partie des quatre plus hauts gradés de l’armée marocaine aux côtés des généraux Housni Benslimane (gendarmerie), Bouchaïb Arroub (3ème bureau) et Abdelhaq Kadiri (ancien inspecteur général des FAR).
Un homme de l’ombre
Abdelaziz Bennani reste pourtant inconnu du grand public. Ses apparitions, très contrôlées, sont assez rares. Contrairement au général Benslimane (également président du Comité olympique marocain), l’homme n’a pas de vie publique. “C’est un homme de l’ombre. Un militaire passionné qui a passé toute sa vie en treillis”, dit de lui un officier qui a servi sous ses ordres. Ses amis le dépeignent comme un homme sérieux, calme et réservé. Conservateur même ! “Mais attention, nuance ce haut gradé à la retraite. Abdelaziz Bennani est un francophone parfait, très ouvert sur la culture occidentale. Il a même un petit côté mondain. Il n’est pas peu fier de la carrière qu’il a eue au sein de l’armée”, conclut-il. Sans être un fils du peuple, Abdelaziz Bennani est en effet issu d’une “famille commerçante normale”. Son grand-père tenait un grand magasin de tissus à Taza. Certains de ses oncles faisaient dans le négoce de céréales. Au milieu des années 1950, il est donc le premier à embrasser une carrière militaire dans cette famille aisée et sans histoires. Mais à cette époque, il est à mille lieues d’imaginer la suite des évènements.
En 1956, le jeune Abdelaziz a tout juste 21 ans lorsque le Maroc recouvre son indépendance. Il fait partie de cette génération de l’Istiqlal, censée participer à la construction du pays et, surtout, occuper les nombreux postes laissés vacants après le départ des officiers et des responsables de l’administration française. A cette époque, l’armée recrute à tour de bras. Des officiers sont envoyés dans les quatre coins du pays pour enrôler de jeunes recrues, promises à un bel avenir. En tout, 600 personnes sont sélectionnées pour suivre une formation dans les meilleures écoles militaires à Tolède (Espagne), à Saint Cyr (France) et à Dar Beida (ancienne appellation de l’Académie royale militaire de Meknès). Abdelaziz Bennani en fait partie. “La plupart étaient bacheliers. C’était la crème de la jeunesse de l’époque. Nous devions constituer le noyau dur des Forces armées royales”, se rappelle ce collègue de promotion du général Bennani. La formation sera courte et durera à peine une année. Mais dès 1957, le jeune militaire rejoint l’école d’application de l’artillerie à Châlons-sur-Marne, en France. Une véritable institution, créée en 1871, qui va permettre à Abdelaziz Bennani de parfaire ses connaissances militaires. “L’artillerie est une arme noble et stratégique. C’est elle qui prépare les grandes batailles et qui encadre l’action des troupes sur le terrain. à cette époque, il n’y avait aucun officier artilleur au sein de l’armée marocaine”, note un ancien militaire. Au terme de sa formation, l’officier Bennani fait donc partie de cette fameuse promotion Mohammed V, la première du Maroc indépendant. Il prête serment aux côtés d’un certain Housni Benslimane et de plusieurs autres officiers, destinés à occuper les plus hauts postes au sein de la hiérarchie militaire.
Aux côtés de Hassan II
En attendant, le militaire originaire de Taza est affecté comme “second” au groupe d’artillerie de Marrakech, commandé par un officier français. “Bennani était doté d’une grande intelligence. Il était très adroit et bien noté par ses supérieurs”, confie ce collègue de promotion. Au début des années 1960, le jeune officier n’a donc pas de mal à devenir le premier commandant marocain d’un groupe d’artillerie. Il s’emploie alors à créer de nouvelles unités qui s’installent progressivement dans d’autres villes du pays. Mais la conjoncture est difficile. La tension est palpable dans toutes les régions du royaume. L’euphorie de l’indépendance a cédé la place aux luttes intestines pour le pouvoir, menaçant le trône du successeur de Mohammed V. Pour ne rien arranger, les escarmouches avec les troupes de l’Algérie, fraîchement indépendante, deviennent de plus en plus fréquentes. L’escalade est inévitable et la guerre des sables éclate en octobre 1963. Le capitaine Bennani participe à quelques batailles à la frontière sud-est du pays, et réussit à se faire remarquer par ses supérieurs. “C’est un officier très calme, imperturbable, qui sait garder ses distances avec tout le monde”, se rappelle cet ancien militaire.
Au début des années 1970, deux tentatives de coups d’Etat finissent par installer une méfiance quasi maladive entre Hassan II et son armée. Le monarque, trahi par ses propres généraux, jette son dévolu sur la Gendarmerie royale qu’il charge de surveiller les troupes. Au même moment, il cherche des successeurs aux officiers exécutés ou emprisonnés au lendemain des deux putschs de Skhirat et celui du Boeing royal. “Abdelaziz Bennani avait le profil idéal. Un officier discipliné, compétent et qui n’a trempé ni de près ni de loin dans les deux coups d’Etat de 1971 et de 1972. Il était en plus originaire de la région du Rif. Ce qui revenait à dire que tous les enfants de cette région n’en voulaient pas à la vie du monarque”, raconte ce militaire à la retraite. Au milieu des années 1970, Abdelaziz Bennani est donc directement rattaché à Hassan II. Il fait même partie d’un comité militaire restreint que le roi consulte pour la préparation de la Marche verte. “L’armée a joué un rôle central dans l’encadrement et le ravitaillement des marcheurs. Des milliers d’officiers, de sous-officiers, de soldats et d’aviateurs ont été mobilisés pour cette opération”, se rappelle cet ancien pilote militaire. La Marche verte est un succès phénoménal, et le roi décide de garder Bennani à ses côtés. Le jeune militaire devient chef d’état major avancé auprès de Hassan II. “C’est un petit cabinet militaire rattaché au roi et qui suit pour lui ce qui se passe dans la zone Sud, particulièrement chaude à l’époque”, explique ce haut gradé.
Le “renard du Sahara”
À partir de 1976, le Maroc s’engage dans une guerre contre le Front Polisario. Les combats sont violents et font des victimes des deux côtés. Les troupes marocaines avancent en territoire inconnu, ce qui les fragilise davantage. “Nous avons appris à faire la guerre pendant la guerre”, explique ce militaire, qui a participé aux opérations de 1976. La zone Sud change de commandement tous les deux ans. Dlimi, Britel, Driss Benaïssa… les plus hauts gradés de l’armée marocaine défilent au Sahara. Abdelaziz Bennani, lui, débarque sur place en 1977. Il participe à la formation et l’installation de plusieurs groupes d’artillerie et à la constitution de l’état-major de la zone Sud. “Il avait des idées ingénieuses, mais pas toujours les moyens de les concrétiser”, se rappelle cet officier qui a servi à ses côtés au Sahara. Abdelaziz Bennani se fait surtout remarquer par sa rigueur et sa discipline. “Dès son arrivée, il a mis fin aux soirées arrosées et aux gabegies de certains hauts gradés. C’est un militaire austère et conservateur malgré son ouverture sur le monde”, précise notre officier.
Le décès, en 1983, du général Dlimi ouvre une voie royale à l’officier bientôt quinquagénaire. Il tient enfin la chance de sa vie. L’homme s’investit d’abord dans l’édification du fameux mur de sable. La construction, démarrée en 1982, s’étale sur six ans. L’édifice mesure 2720 km et relie la commune d’El Mehbes à l’est au point frontalier de Guerguarat, sur la côté Atlantique au sud de Dakhla. “Ce mur a été une idée de génie. Il a permis à l’armée marocaine engagée dans ce conflit de souffler et de mieux s’organiser. Il a également offert aux forces marocaines des points de repère dans un territoire hostile et découvert sans oublier qu’il a sensiblement diminué les incursions des forces du Polisario en territoire marocain”, analyse cet officier. A cette époque, Abdelaziz Bennani renvoie l’image d’un officier rigoureux et infatigable. “Il avait mis sa vie privée de côté et ne vivait plus que pour le Sahara. Ses soirées, il les passait, entouré de ses officiers, planchant sur des cartes et mangeant des brochettes de gamous (buffle, ndlr)”, se rappelle cet ancien aviateur.
à partir du milieu des années 1980, le Maroc adopte une nouvelle stratégie militaire vis-à-vis du Front Polisario, activement soutenu par l’Algérie, la Libye et Cuba. L’armée marocaine renouvelle son armement et affine ses stratégies. “C’est à ce moment que le Polisario a commencé à souffrir. Le commandement militaire marocain a eu l’intelligence d’entraîner le Front dans une guerre classique, où le royaume était désormais mieux protégé grâce au mur de sable et mieux équipé grâce aux armes nouvellement acquises”, explique cet officier à la retraite. Faut-il y voir l’empreinte de Abdelaziz Bennani ? “Sans doute, puisqu’il commandait la zone Sud. C’est le général qui a mené, avec brio, la guerre du Sahara. Mais il est bien placé pour savoir que c’est le dévouement des militaires marocains, et le sacrifice de ceux qui ont combattu entre 1976 et 1984, qui ont fait de lui un général de renom”, poursuit notre officier.
Général des deux rois
Lorsqu’un cessez-le-feu est enfin signé en 1991, 100 000 militaires marocains restent stationnés dans le Sud. Abdelaziz Bennani établit donc son quartier général à Agadir, près de ses troupes, d’autant qu’il sait que le conflit n’est pas terminé. C’est également le temps du bilan. Si, en 15 ans de combats, l’armée marocaine a su repousser les incursions du Polisario et préserver l’intégrité et l’unité du territoire, elle a également perdu plusieurs de ses combattants, dont certains ont été faits prisonniers. “Les enlèvements étaient nombreux avant la construction du mur de défense. Et même après, les troupes du Front attaquaient en masse les points de contrôle situés le long du mur dans le seul but de kidnapper des soldats marocains et de se replier avant l’arrivée des renforts, notamment aériens”, explique un ancien officier. Jusqu’en 2003 (date de la libération des derniers prisonniers), ce dossier restera tabou au sein de l’armée marocaine.
Fin 1999, le roi Hassan II décède à Rabat. Le soir même, les plus hauts gradés du royaume accourent pour prêter allégeance à son successeur dans la salle du trône, au palais royal de la capitale. Après une succession en douceur et sans histoires, Mohammed VI entame une véritable purge dans les arcanes de l’administration : il commence par congédier Driss Basri, puissant ministre de l’Intérieur sous Hassan II, nomme de nouveaux patrons à la tête des services de renseignement et opère une vaste opération de redéploiement des walis et gouverneurs. Mais il épargne l’armée : Mohammed VI garde les généraux de son père. Mieux, il les promeut aux grades les plus élevés de la hiérarchie militaire marocaine.
Les sentiers de la gloire
En 2004, il reçoit le général Abdelaziz Bennani, commandant de la zone Sud, et le nomme inspecteur général des FAR. Le communiqué officiel indique que “le général Bennani cumulera les deux fonctions jusqu’à la nomination par le souverain de son successeur à la tête du commandement de la zone Sud”. Huit ans plus tard, Mohammed VI ne semble toujours pas avoir trouvé la perle rare qui prendra la relève de celui qu’on surnomme “le renard du Sahara”. à cette époque, l’armée marocaine est également au centre de plusieurs polémiques. Ses hauts gradés sont accusés d’affairisme. Certains sont même obligés de se débarrasser de quelques licences de pêche devenues trop encombrantes, et de limiter leurs appétits dans le domaine des affaires. Mais un autre danger guette l’armée de Mohammed VI : l’islamisme. En juillet 2006, cinq militaires, trois gendarmes et un officier de police sont arrêtés dans le cadre de l’affaire Ansar Al Mahdi. Un réseau terroriste qui planifiait, entre autres, de kidnapper certains ministres socialistes de l’époque. Une menace prise très au sérieux par l’état-major des FAR qui aurait instruit plusieurs enquêtes sur le sujet.
Parallèlement à cela, l’armée marocaine poursuit sa course à l’armement. L’état-major des FAR passe commande pour 24 avions de chasse américains F16 et entame un programme de modernisation de ses Mirage. Le royaume s’offre également une frégate flambant neuve baptisée Tarik Ibn Ziad, en plus de quelques chars de combat et de systèmes de défense aériennes. En 2008, l’ambassadeur des Etats-Unis à Rabat qualifiait ainsi l’armée marocaine : “Les Forces Armées Royales se modernisent mais elles continuent à être lestées par de vieux problèmes”, pouvait-on lire sur un câble diplomatique révélé par Wikileaks. L’ambassadeur US fait notamment référence à la lourdeur de prise de décision, le manque d’autonomie des hauts gradés et l’opacité qui entoure l’action de cette armée. Mais tout cela n’empêche pas les Etats-Unis de mener des manœuvres communes et régulières avec les militaires marocains. “Les Américains ont besoin de la coopération de l’armée marocaine pour la sécurisation de la région du Sahara et du Sahel. Si le Maroc reste à l’abri des mouvements jihadistes qui s’activent dans cette région, c’est bien grâce aux forces militaires postées aux frontières”, fait noter un observateur sahraoui.
Aujourd’hui, un nouveau défi, et pas des moindres, est posé à l’armée du royaume : assurer la succession du général Abdelaziz Bennani. “Il y a plusieurs officiers de valeur au sein de cette armée, aussi bien au niveau de l’état-major que dans la zone Sud. Le temps venu, la succession de l’inspecteur général ne posera aucun problème”, confie un vieux militaire. “Ce qui sera moins évident, c’est de procéder à une réorganisation de cette armée et de l’ouvrir davantage sur son environnement, et de la soumettre, dans certaines proportions, au contrôle du parlement et à la tutelle réelle du gouvernement”, conclut notre interlocuteur. Tout cela dépendra, au final, de la volonté d’un homme : Mohammed VI.
Le mur de sable. L’œuvre de sa vie Le mur de défense (ou de sécurité) est une muraille de 2720 km qui relie les frontières est du royaume à la côte atlantique. Plusieurs des 120 000 hommes stationnés dans le Sud gardent cet édifice, communément appelé Samta (la ceinture). Sa construction s’est faite sur plusieurs étapes de 1980 à 1987, sous la supervision directe du général Abdelaziz Bennani. Selon certains forums militaires spécialisés, “le mur est bien plus qu’une simple levée de terre. C’est une succession d’obstacles alignés sur plusieurs kilomètres, soutenus par des points d’appui dotés d’artillerie ainsi que de moyens de détection et d’intervention rapide”. Le mur de défense serait également équipé d’un système d’alarmes électroniques et de radars pour détecter tout mouvement dans un rayon de plusieurs kilomètres à la ronde. “Durant la guerre, le Polisario avait construit des petits murets pour s’entraîner à forcer le mur marocain. En vain. Au meilleur des cas, le Front venait à bout de certains points d’appui et arrivait à faire quelques prisonniers de temps à autre avant l’arrivée des renforts aériens”, confie un officier qui a pris part à la guerre du Sahara. Lors de sa construction, les rumeurs les plus folles ont circulé à propos du mur. L’une d’entre elles voulait que l’édifice soit une œuvre commune d’Israël et des Etats-Unis. “C’est absolument faux. La première fois que j’ai entendu parler de l’idée du mur, c’était en 1976. C’est une réalisation du génie militaire marocain à 100%”, affirme notre officier. Aujourd’hui encore, le mur joue un rôle important pour la protection de la zone Sud contre les activités des groupes terroristes dans le Sahel. En avril 2010, le général Abdelaziz Bennani a été à l’origine d’une grande première en conviant 90 parlementaires à visiter le mur. Sur ordre du monarque, évidemment. [/encadre]
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