Scellés dans un coffret contenant 9 CD et un livret, les morceaux choisis et leurs textes (paroles transcrites en arabe, traduites en français et commentaires historiques, anthropologiques, musicologiques) offrent bien plus qu’un répertoire. C’est tout un pan du patrimoine et de l’histoire qui y est immortalisé. Si elle n’est pas exhaustive, cette anthologie de la musique gnaoua, première du genre, déroule les multiples phases du registre gnaoui. Elle parcourt les introductions et le jeu des percussions, passe en revue la progression des Mlouks et des couleurs, retrace les rituels des lilas et dépeint, en toute cohérence, multiples transitions et phrases musicales. Le musicologue Ahmed Aydoun, qui a participé au projet, nous raconte sa genèse.
Comment avez-vous travaillé sur l’anthologie gnaoua ?
C’est un long processus. Dans un premier temps, nous avons commencé par une tournée de prospection auprès des grands mâalems à travers les villes de Tétouan, Asilah, Essaouira, Marrakech, Casablanca, Rabat, Meknès, et Fès. Puis les Gnaoua amazighs de Smimou au sud d’Essaouira, et les Gnaoua des oasis à Zagora. Dans un deuxième temps, nous avons procédé au choix du programme d’enregistrement et confié à quelques mâalems le soin d’interpréter chacun quelques parties de la lila en respectant l’ordre des parties et des couleurs. Ensuite, nous avons procédé à la mise en place des variantes régionales en isolant quelques exemples significatifs parmi les répertoires particuliers de ganga, du hamdouchi, des sebtiyyine et isemgane. C’était l’occasion également de mettre en avant certaines parties de la rahba souiria (d’Essaouira) et de la rahba chamalia (du nord). Parallèlement à ce travail d’enregistrement, des textes de présentation et d’analyse (historique, anthropologique et musicologique) ont été commandés à des spécialistes de la question. Et un cadrage théorique global a été élaboré par l’association Yerma, en commandant en plus des trois textes de base, une définition du projet dans son ensemble ainsi que sa méthodologie, et différentes clés pour en comprendre la finalité et le contenu. Est venue ensuite la tâche la plus laborieuse qui a nécessité beaucoup de temps : celle de transcrire les textes chantés et de les traduire en français. Il y a également tout le travail éditorial et de direction artistique qui a été engagé (recherche iconographique, maquettes, normes de conditionnement et de présentation, etc.).
La transmission orale est-elle difficile à retranscrire ?
La transcription de la tradition orale pose plusieurs problèmes : il y a d’abord l’inintelligibilité d’une grande partie des textes chantés, la difficulté même pour les mâalems de discerner le sens de quelques termes issus d’une tradition lointaine, le choix de la graphie adéquate. La traduction du sens et le maintien de la cohérence du texte, quand les nombreuses répétitions servaient plus à meubler la séquence musicale qu’à présenter une suite significative. De plus, étant dans la tradition orale, un degré de liberté est laissé à l’interprète qui pourrait d’un contexte à un autre changer par l’ajout, la suppression des termes et invocations.
Dans le panel des musiques traditionnelles marocaines, où situeriez-vous la musique gnaoua ?
La musique gnaoua fait partie des musiques confrériques. Elle est profondément ancrée dans la tradition et le paysage marocain, par sa vigueur et la gravité du guembri. Mis à part sa fonction thérapeutique et ésotérique, cette musique inspire beaucoup de musiciens marocains et étrangers, par la richesse de ses accents rythmiques, son pentatonisme particulier, et son ouverture vers les différentes formes de fusion.
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