Le chauffeur de taxi, les VIP, et l'art
Mercredi 26 février, Marrakech se réveillait avec cet air un peu médusé d'une ville où quelque chose se trame, mais dont on ne sait rien encore. Un peu partout, dans la ville, des affiches annonçaient une biennale. "De quoi s'agit-il ?", nous questionne un chauffeur de taxi à l'approche du Palais el Badii. A la seule entente du terme "art", il nous interrompt : "Ah, c'est là que vont tous nos impôts !", "Non sidi. Vous vous trompez. Vos impôts vont au trésor public" rétorque, enjoué, un quadragénaire qui occupait la banquette arrière.
Devant le Palais el Badii, une affluence nous informe que les participants ont répondu présent à l'appel des organisateurs, pour le discours d'ouverture. Prévu pour 15H, il n'aura lieu qu'à 16H, à cause du retard de la maire et du wali de Marrakech. Au cœur de la cour principale du palais, une arbalète réalisée par Max Boufathal suscite l’intérêt. L'artiste, qui se tient près de son œuvre, explique qu'il a tenu à représenter la guerre contre l'art contemporain, par une œuvre d'art contemporain. "Une sorte d'explosion intérieure", ajoute-t-il. Un peu plus loin, dans une cour attenante, une installation de l'artiste indien Asim Waqif invite le public à faire partie de l’œuvre: composée de portes, de fenêtres et de caisses en bois récupérées des greniers du Palais el Badii, chaque partie de l’installation est reliée à un amplificateur sonore, de sorte qu'elle génère des sons qui diffèrent selon l'endroit touché. Et quand 4 ou 5 visiteurs s'y mettent, c'est la cacophonie.
3 .. 2 .. 1 .. Inauguration
La cinquième édition de la biennale de Marrakech est donc officiellement lancée. Entre la première édition et celle-ci, 10 ans se sont écoulés, durant lesquels les organisateurs ont eu le temps de (bien) placer la biennale dans l'échiquier des évènements de l'art contemporain, et également de trouver de meilleures sources de financement … quoiqu'elle fonctionne en sous-budget. Selon Amine Kabbaj, vice-président exécutif de la biennale, cette édition risque d’être la dernière, si aucun soutien financier n'est mis à leur disposition.
Le Palais el Badii se vide peu à peu. La suite du circuit d'inauguration aura lieu à Dar Si Said. Avant de quitter les lieux, nous rencontrons le directeur d'un centre culturel avec qui nous engageons un petit bout de conversation. Sa première impression ? "Je trouve que les œuvres s'effacent derrière le cadre du Palais el Badii, qui est trop oppressant. En fin de compte, l'endroit est plus mis en valeur que les œuvres qui y sont installées". Un avis partagé par Syham Weigant, journaliste à Diptyk, qui écrit : "les œuvres ne semblent être que de modestes éléments sagement installées dans les endroits les plus visibles. Humilité voulue ou obligation de respecter les lieux historiques et protégés ? Pour justifier cette mise en espace, Hicham Khalidi rappelle que des règles très strictes ont encadré leur utilisation du Palais".
Bank Al Maghrib : la banque qui voulut être musée
A 18 heures, direction Bank Al Maghrib. L'immeuble, fermé depuis longtemps, a fait l'objet d'une petite lutte secrète il y a quelques années : alors qu'un artiste marocain voulait en faire un musée d'art berbère, des islamistes avaient déposé une demande, pour le convertir en musée des arts islamiques. Le conflit n'ayant débouché sur aucune solution, on n'en fit rien. Gardé tel quel, ce n'est que durant la biennale qu'on lui a, enfin, permis d’être un lieu d'exposition. Au centre du hall principal trône l'une des pièces phares de cette édition : un moteur fabriqué par l'artiste belge Eric Van Hove, et qui incarne, selon Kate Lerigoleur, une journaliste du Monde, "le rapport de complicité et de collaboration existant à Marrakech entre artistes créateurs évoluant à l'échelle internationale et des artisans marocains confrontés à une crise de leurs métiers". L'artiste a récupéré le moteur d'une voiture, puis il a chargé plus de cinquante artisans marocaines de reproduire les pièces du moteur.
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