Ils sont américains, noirs, musulmans, s’affichent en tarbouch et se disent originaires du Maroc. Les membres du Moorish Temple prétendent être les premiers à avoir peuplé les Etats-Unis.
Saviez-vous que les Etats-Unis étaient marocains ? C’est en tout ce que soutient le Moorish Science Temple of America, une organisation religieuse fondée en 1913, qui compte quelque 3000 membres et 75 structures, principalement aux Etats-Unis. Le Moorish Temple se base sur une version particulière de l’histoire, selon laquelle l’Amérique était une propriété de l’Empire du Maroc, bien avant sa découverte par Christophe Colomb. L’islam y prospérait et les minarets surplombaient les villes et villages. Au XVe siècle, les Européens, désireux d’étendre leur hégémonie, ont conclu avec le Maroc un contrat de bail de cinquante ans pour exploiter les terres américaines. Mais une fois le contrat conclu, ils ont trahi le Maroc, envahi le territoire et christianisé la population.
Au-dessus de la loi
Se considérant donc comme les premiers habitants de l’Amérique, les membres du Moorish Temple, tous noirs, ne ratent aucune occasion de dénoncer la spoliation de leurs terres par les blancs. Ils estiment que les lois des États-Unis ne s’appliquent pas à eux, allant jusqu’à avancer que l’acronyme USA inscrit sur leurs pièces d’identité signifie en réalité Universal Savior Allah. « Nous sommes un Etat indépendant des Etats-Unis. Nous avons même obtenu le droit à l’autodétermination durant la conférence panaméricaine de 1928 », avance Malik El, un Grand Sheyk du Moorish Temple. Mais les documents officiels n’en gardent curieusement aucune trace.
De temps à autre, un membre de l’organisation défraie la chronique avec quelque affaire insolite. En mars 2013, Lamont Butler a ainsi été arrêté par la police après avoir squatté, pendant plusieurs mois, un manoir d’une valeur de 6 millions de dollars dans l’Etat du Maryland. Lors de son procès, il a prétexté qu’un membre du Moorish Temple a un droit d’accès à toute propriété située sur les territoires américains. Autre cas, celui de Shanita Marie Burden, incarcérée pour délit de faux et usage de faux. Elle s’est fabriqué de faux papiers au nom de Zuri Akila Betiti Matawala Zurj-Bey et a déclaré aux juges qu’il s’agit de son véritable patronyme dans la nation maure dont elle est citoyenne.
Maures jusqu’à la mort
Le fondateur du Moorish Temple, Noble Drew Ali, Timothy Drew de son vrai nom, est considéré par ses coreligionnaires comme le véritable prophète de l’islam. Et comme tout bon prophète, il s’est doté d’un « Holy Koran of the Moorish Science Temple of America », mêlant extraits bibliques et coraniques à des principes bouddhistes, taoïstes et francs-maçons. Pour les membres du Moorish Temple, l’islam sunnite est une invention de l’Orient destinée à asservir les noirs. Ou plutôt les Maures, seul terme accepté pour désigner leur communauté, « parce que nous sommes des descendants de Marocains nés en Amérique », nous informe Siggers-Bey, un autre Grand Sheyk de l’organisation. « Les premiers Marocains descendent eux-mêmes des Mauritaniens. Si nous suivons le fil de l’histoire, nous constaterons que les Maures sont, en fait, les véritables fondateurs de la civilisation », poursuit Siggers-Bey.
Lire un traité d’histoire rédigé par un membre du Moorish Temple requiert un certain penchant pour le fantastique : de l’Atlantide aux esclaves d’Amérique, en passant par les Egyptiens et même les Chevaliers de la Table ronde, les Maures ont été de toutes les périodes et de tous les combats. Ce qui n’est pas toujours faux, mais excessivement extrapolé. Les membres du Moorish Temple ne s’arrêtent pas là : certains avancent que le premier président des États-Unis n’était pas George Washington, mais un noir : John Hanson. Or, si l’on en croit les tableaux et descriptions faits de ce dernier, l’homme avait plutôt la peau claire. Ce désir de s’approprier un rôle dans l’histoire s’expliquerait, en partie, par la situation des noirs aux États-Unis au début du XXe siècle. « Déportés en Amérique, les Noirs ont perdu tous repères culturels et identitaires », précise Pauline Guedj, anthropologue à l’université Lumière Lyon 2. Et d’ajouter que « pour Noble Drew Ali, fondateur du mouvement en 1913 à Newark, adopter l’islam, pour un noir américain, constitue déjà en soi un acte de lutte pour la sauvegarde d’une identité noire aux Etats-Unis ».
Mohammed III, le libérateur
« Notre prophète Drew Ali s’est rendu au Maroc, en 1926, pour rencontrer le sultan Moulay Youssef. Ce dernier lui a fourni de précieuses informations sur l’histoire des Maures et l’a encouragé à promouvoir le Moorish Temple », nous explique Siggers-Bey. Même s’il admet, à l’instar des autres membres de l’organisation, que leur « relation avec le Maroc est plus historique que géographique », il souligne que « certains membres du Moorish Temple y sont allés, en visite ou pour y emménager définitivement, car c’est leur terre d’origine ». Ceux qui se sont installés au Maroc n’ont-ils pas déchanté en se heurtant au racisme ambiant ? Siggers-Bey reste muet sur cette question, tout comme les autres Grands Sheyks du Moorish Temple.
Il reste vrai que le Maroc a bien défendu les noirs à une certaine époque. Ceci est un fait réel : en 1790, huit esclaves marocains ont présenté à la Chambre des représentants de la Caroline du Sud une pétition exigeant leur libération. Faits prisonniers par les Portugais, alors en pleine guerre avec le Maroc, ils ont été revendus aux États-Unis. Le sultan Mohammed III ayant conclu, en 1777, un traité d’amitié avec les États-Unis, il jouissait donc de quelques privilèges diplomatiques, dont celui de garantir à ses citoyens leur liberté. C’est ainsi que le Moors Sundry Act of 1790, signé suite à la pétition, stipule que les Maures seront traités comme citoyens américains blancs, et non en tant qu’esclaves affranchis, alors considérés comme des citoyens de seconde zone. Un précédent qui constituera le noyau idéologique du Moorish Temple.
Wallace Fard Muhammad
Né en 1891, il est le fondateur de la fameuse Nation of Islam (NoL), qui a compté dans ses rangs des personnages célèbres comme Louis Farrakhan et Malcom X. Il a intégré le Moorish Temple en 1929 et s’est fait baptiser David Ford-El. Quelques mois après, le fondateur du Moorish Temple Drew Ali meurt sans laisser de successeur, ce qui permettra à Wallace de gagner en pouvoir, en prétendant être la réincarnation de Drew. Quelques membres du Moorish Temple ont accepté de lui prêter serment d’allégeance. Pour des raisons inconnues, il quitte l’organisation en 1930 afin de fonder la Nation of Islam.
Noble Drew Ali
Né en 1886, Noble Drew Ali est l’une des figures de proue du militantisme noir. En 1913, après avoir rencontré un prêtre égyptien lors d’un voyage et s’être initié au mysticisme, il fonde le Moorish Temple. Drew se serait vu accorder une audience par le sultan Moulay Youssef en 1926. Trois ans plus tard, il est arrêté par la police de New-Jersey et décède peu de temps après. Les circonstances de sa mort restent non élucidées, malgré les allégations de torture avancées par les membres du Moorish Temple.
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