Engagée. La diva du Souss a rejoint les rangs des bleus quelques mois après la Constitution de 2011 qui a instauré l’amazigh comme langue officielle. Aujourd’hui, elle continue d’accorder musique et politique.
La chanteuse est une femme occupée. « Je suis à Tiznit pour préparer le nouvel an amazigh. Si vous voulez venir, marhba, envoyez-moi simplement votre adresse mail par SMS. D’ailleurs, cherchez sur Internet L’appel de l’arganier. C’est ma dernière chanson, elle pourrait vous plaire. » Prolixe, la caution berbère du RNI (élue sur leur liste nationale des femmes aux dernières législatives) a transposé son combat chantant dans le champ politique. Au sein de l’hémicycle, elle se fait la voix du militantisme amazigh. En dehors, elle continue, comme à son accoutumée depuis près de trente ans, à se produire sur scène et à sortir deux albums par an.
Rififi au parlement
Le 30 avril 2012, la députée Fatima Chahou, son vrai nom dans le civil, crée un précédent en posant une question en amazigh au ministre de l’Education, à propos de la généralisation de son enseignement à l’école. Fierté chez les uns, incompréhension chez les autres. Le coup d’éclat de la diva du Souss permet aux partis d’enfourcher la cause amazighe pour mener leurs propres chevaux à la bataille. Le PAM et l’USFP applaudissent Tabaâmrant, l’Istiqlal s’en sert pour prendre à partie le PJD. La raïssa ne se mêle pas à ces querelles politiciennes. Elle se contente de battre en retraite, comme pour mieux observer le symbole amazigh flotter au-dessus du parlement. En musique comme en politique, sa tactique semble être la même : jeter, presque naïvement, un pavé dans la mare, puis laisser à d’autres le luxe de l’analyse. Le chercheur et écrivain Ahmed Assid s’en donne à cœur joie : « Au fond de la poésie de Tabaâmrant, il y a une vision. Si elle a réussi à se hisser jusqu’au parlement, ce n’est pas uniquement pour une question de quota, mais parce qu’elle possède une véritable conscience politique ».
Ambassadrice de la tradition
Proche du mouvement amazigh, autodidacte talentueuse, unique raïssa à écrire ses propres textes, Tabaâmrant, 52 ans, est surtout la dernière survivante de l’école des raïssate traditionnelles. Elle qui a été mariée de force à l’âge de 17 ans ne chante pas l’amour, ou très peu, lui préférant des thèmes plus proches de son identité. Aux sentiments, elle préfère l’actualité, dénonce le machisme de la société, s’élève contre l’obscurantisme et la bigoterie, chante la fierté amazighe, devenant son ambassadrice la plus emblématique. Pour Brahim El Mazned, c’est « une vraie patronne : Tabaâmrant ne se contente pas de rester derrière un raïss et de faire de la figuration. Elle mène son équipe, choisit ses instrumentistes. Il faut du courage pour se lancer en politique et rester raïssa, avec toute la connotation que le mot sous-tend dans une société aussi conservatrice que la nôtre ». Le directeur artistique du festival Timitar rêve de lui découvrir une relève, ou mieux, de voir Tabaâmrant prendre en main quelques voix féminines. « Son statut de députée pourrait aussi lui permettre de défendre la cause et les droits des artistes », estime El Mazned.
La pasionaria des Imazighen
Depuis qu’elle est au parlement, Fatima Tabaâmrant joue intelligemment la carte de l’influence. Elle occupe l’espace médiatique avec deux rencontres annuelles, organisées par Tayri N Wakal, l’association qu’elle préside : la célébration de l’officialisation de la langue amazighe, le 1er juillet de chaque année, et le jour de l’an amazigh, qu’elle programme à Tiznit. Elle sait aussi s’entourer, poser les bonnes questions et toucher les puissants de sa culture. « La boîte vocale amazighe de Maroc Telecom, c’est grâce à Tabaâmrant, raconte Assid. Ahizoune m’a raconté qu’elle a elle-même insisté auprès de lui ». Si le parti de Mezouar a fait le choix de compter dans ses rangs une artiste aussi populaire que Tabaâmrant, il est difficile de l’imaginer servir une autre cause que celle des Imazighen. « Si elle avait choisi de rejoindre un autre parti, son combat aurait été le même », assure Ahmed Assid. Le deal semble clair : pour Tabaâmrant, le RNI est une plateforme officielle pour promouvoir ses messages, et pour le parti, la raïssa est un personnage public lui permettant de se défaire de son image élitiste en brassant plus large.
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