Commission des finances. Ces élus qui tirent les ficelles

Après la discussion générale, le projet de Loi de Finances entre cette semaine dans une phase décisive, celle des amendements. Avant-goût des principaux projets qui feront débat et zoom sur les députés qui les portent.

Bouclé dans les délais malgré le grand cafouillage sur la formation du nouveau gouvernement, le projet de Loi de Finances est vite entré dans le circuit législatif. Et c’est en commission des Finances de la première chambre qu’il atterrit en premier. Une commission qui passe au peigne fin les dispositions du projet de loi, et qui concentre tous les grands enjeux du moment. Passé les premiers jours de discussions générales, centrées sur le politique, la commission devra dès mercredi prochain passer aux choses sérieuses. “Les vrais débats autour du budget vont démarrer mercredi. Toutes les dispositions du budget 2014 seront discutées point par point”, précise ce membre de la commission. Et pour cette année, les débats promettent d’être houleux, entre une nouvelle majorité encore fraîche et une opposition plus que jamais virulente. “Les partis de la majorité devront coordonner leurs projets d’amendements, ce sera également l’occasion pour le RNI d’apporter sa touche à ce projet de loi”, nous dit ce vieux routier de la commission. Les partis de l’opposition, quant à eux, la joueront solo, chacun dans son coin, malgré les prémices de rapprochement entre deux de ses principales composantes, l’Istiqlal et l’USFP. “Le rapprochement n’est pas encore mûr pour qu’on puisse faire front commun sur les amendements”, signale ce député socialiste. En attendant le début des travaux approfondis sur la première mouture du budget, voici les députés qui risquent de voler la vedette au sein de la commission des Finances.

Mehdi Mezouari (USFP)

Taxer plus les entreprises télécoms

Issu d’une famille ittihadie, Mehdi Mezouari a rejoint l’USFP en 1992, quand il avait à peine 15 ans. Diplômé de la faculté de droit de Mohammedia, il est aujourd’hui l’un des jeunes les plus en vue du parti de Bouabid. Elu communal à Mohammedia depuis 2009, il est porté à l’hémicycle en 2011 sur la liste nationale du parti de la rose. Depuis, l’homme n’a pas chômé. Vice-président du groupe parlementaire socialiste, il est également un des membres actifs de la commission des Finances, dont il occupe aussi la vice-présidence. Pour cette année, son cheval de bataille au sein de la commission est clair : faire tomber toutes les mesures fiscales touchant au pouvoir d’achat des ménages. “L’augmentation de la TVA telle que proposée par le gouvernement va rapporter à peine 140 millions de dirhams, alors sa charge symbolique est très forte. Nous proposerons de revoir ces taux, tout en insistant sur la nécessité de surtaxer les produits de luxe”, confie Mezouari. Même logique pour la TVA sur le matériel agricole, qu’il propose tout simplement de supprimer : “Nous sommes pour la taxation des grands exploitants agricoles. Mais cette mesure va toucher tous les agriculteurs, y compris les petits. Elle sera totalement contre-productive”. Sur le chapitre de l’IS, Mezouari compte également s’attaquer aux opérateurs télécoms, en proposant de les aligner sur les banques, qui paient un IS de 37%. “Les entreprises télécoms bénéficient de positions presque monopolistiques et font de gros bénéfices. Ils paient pourtant le même IS que les PME. Cette aberration doit cesser”, tonne le député socialiste.

Hakima Fasly (PJD)

Revoir l’IS agricole

Elue sur la liste nationale en novembre 2011, Hakima Fasly fait partie de cette nouvelle génération de députés du parti islamiste. Très active, cette prof d’économie à la faculté de Mohammedia a été logiquement choisie pour représenter le parti au sein de la commission des Finances. Une mission que la députée prend très au sérieux, quitte à aller à contre-sens du courant majoritaire. “Le projet de Loi de Finances 2014 a apporté d’énormes points positifs, mais on ne manquera pas l’occasion d’y apporter des changements pour le perfectionner”, confie-t-elle. Elle pense notamment à la TVA sur les produits de luxe, vieille revendication du PJD, et qui n’a subi pourtant aucun relèvement dans ce projet de loi. La députée militera également pour l’augmentation des budgets alloués aux divers fonds à caractère social. Mais son cheval de bataille reste sans conteste l’IS agricole. “On ne peut pas taxer tout le monde de la même manière. La rentabilité des exploitations agricoles varie selon la nature des produits cultivés. Prendre le chiffre d’affaires comme seul repère d’imposition n’est pas très logique. Il faut le mettre en adéquation avec les coûts de production qui dépendent de la nature de l’exploitation agricole”, précise-t-elle.

Anas Doukkali (PPS)

Les riches dans le collimateur

Membre du conseil de la ville de Rabat depuis 2003, ce docteur en chimie est depuis 2011 le Monsieur “Finances Publiques” du PPS à l’hémicycle. Membre du bureau politique du parti du livre, ce prof à la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat doit en principe être parmi les fervents défenseurs du projet présenté par le gouvernement Benkirane II. Mais c’est mal connaître les héritiers de Ali Yata. “Nous allons présenter plusieurs projets d’amendements. Notre priorité c’est de consacrer le principe de solidarité des plus aisés avec ceux qui le sont moins”, dit-il. Comment ? En défendant l’instauration au niveau du barème de l’IR d’une “tranche de solidarité” qui s’appliquerait aux très hauts revenus, tout en augmentant la TVA sur les produits de luxe. “La taxation des produits dits de luxe devra donner moins mauvaise conscience aux riches, car elle serait un acte de solidarité”, explique notre quadra. Mais ce n’est pas tout. Doukkali a une autre fenêtre de tir : l’investissement productif. Il compte ainsi proposer l’exonération des plus-values de cession de biens rentrant dans l’exploitation des entreprises, mais à condition que ces revenus soient réinvestis dans le renouvellement ou la modernisation de l’outil de production.

Mounia Rhoulam (PI)

L’IS progressif pour commencer

Elle est la voix du Parti de l’Istiqlal au sein de la commission des Finances. Membre de l’Alliance des économistes istiqlaliens présidée par Adil Douiri, cet ex-chef de service des études économiques au HCP connaît par cœur son sujet. Et ce projet de Loi de Finances, elle le trouve indolore et incolore. “C’est un projet qui ne contient que des mesures éparpillées et sans âme, ni politique ni économique”, lance-t-elle. Mais le pire pour elle, c’est qu’aucune mesure de relance économique n’ait été proposée. Un point sur lequel son groupe parlementaire va se focaliser dans ses projets d’amendements. “Nous allons défendre des mesures fiscales pour soutenir les PME, à travers la mise en place d’un IS progressif, tout en mettant en place un régime fiscal dédié à la très petite entreprise”. Comment ? Et selon quel barème de taux ? “Nos projets d’amendements sont prêts, mais je ne pourrai pas communiquer dessus. J’ai peur que d’autres partis nous copient”, nous dit-elle.

Rachid Talbi Alami (RNI)

Touche pas aux équilibres !

Il est l’un des ténors du parti de la colombe. Ancien ministre des Affaires générales sous Driss Jettou, Rachid Talbi Alami connaît les problématiques liées au budget de l’Etat sur le bout des doigts. Passé tout récemment de l’opposition à la majorité, l’homme doit désormais défendre le projet de Loi de Finances du gouvernement, même si son parti n’a pas eu trop la main dessus. Une position délicate que l’homme tente de clarifier. “Nous sommes aujourd’hui dans la majorité, et nous soutiendrons en toute logique ce projet. Mais cela ne nous empêchera pas de déposer des amendements sur des questions qui nous semblent essentielles”. Quel genre d’amendements ? “Tout ce qui peut améliorer ce projet de loi, sans toucher aux équilibres du budget”, précise-t-il. Vous l’aurez donc compris : Talbi Alami soutiendra mordicus Mohamed Boussaïd, son collègue au parti devenu argentier du royaume, et fera barrage contre toute proposition qui risquerait d’augmenter les dépenses de l’Etat ou réduire ses recettes. “La priorité aujourd’hui, c’est de sauvegarder les équilibres budgétaires. Nous ne voulons pas entrer dans un nouveau plan d’ajustement structurel et condamner la croissance du pays pour les dix prochaines années”, explique-t-il.

Younes Sekkouri (PAM)

Feu à volonté

A 32 ans, il est déjà l’un des hommes forts du parti du tracteur. Ingénieur en télécoms, et double MBA de Ponts et Chaussées de Paris et de la Fox Business School aux Etats-Unis, Sekkouri a été élu en 2011 à la tête des listes des jeunes présentés par le PAM. Et c’est tout naturellement dans la commission des Finances qu’il se retrouve, mettant à profit son expérience d’entrepreneur dans les IT, et de haut cadre du ministère de l’Intérieur chargé de la modernisation de l’administration et de la réforme des collectivités locales. Pour ce projet de Loi de Finances, Sekkouri ne sort pas de la ligne affichée par son parti, qui se résume en trois mots : feu à volonté. “Toute personne censée vous dira qu’il relève de la chimère qu’une politique aussi dépensière puisse assurer la maîtrise de nos indicateurs macroéconomiques”, explique-t-il, en insistant sur le fait que le budget ne prévoit aucune avancée sur les gros dossiers que sont la compensation, les retraites ou la fameuse réforme de la justice. Quand on lui pose la question sur les amendements qu’il défendra, l’homme sourit, comme pour nous signifier que cela ne sert absolument à rien. “Nous avons droit à des mesures incomplètes, rédigées à la hâte et non étudiées, comme pour les secteurs du transport, la TVA ou encore l’agriculture. Les articles de la Loi de Finances traduisent un manque profond de vision, de stratégie et de cohérence. Ceci ne me permet pas d’être optimiste quant à l’utilité du débat au sein du parlement…”, assène le jeune député, nommé tout récemment directeur exécutif du parti.

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