Le débat autour de la Caisse de compensation est tout à fait passionnant. Il mérite que tout le monde y prête attention parce qu’il ne s’agit pas simplement de réformer un système de subventions publiques qui maintient les produits de base à un prix accessible mais de plus, beaucoup plus.
C’est bien connu, pour contrôler un peuple, il suffit d’agir sur son pouvoir d’achat. Un peuple affamé ne répond plus de rien et, ici comme ailleurs, les révoltes les plus importantes ont été “nourries” par le pain. Quand le protectorat a inventé la Caisse de compensation, ce n’était pas tant pour améliorer le niveau de vie des Marocains que pour s’acheter une paix sociale. Cette même philosophie continue de prévaloir aujourd’hui. Sous Hassan II comme sous Mohammed VI, les différents gouvernements qui ont dirigé le pays ont toujours considéré la Caisse de compensation comme une patate chaude et un domaine de souveraineté. Y toucher, c’est prendre le risque de soulever la population et de renverser le régime. Parce que, comme dit l’adage, ventre affamé n’a point d’oreilles. Le roi seul décidera.
Mais voilà qu’aujourd’hui le gouvernement islamiste relance le débat et prend sur lui de réformer la Caisse. C’est courageux. La Caisse coûte cher, elle appauvrit l’Etat et sa raison d’être, qui est de protéger les pauvres, est largement dévoyée. Donc autant la réformer. Comment ? Le PJD propose de lui substituer un système d’aide directe aux populations ciblées. Cela coûterait moins cher et, surtout, l’aide bénéficierait directement et exclusivement aux concernés. Pourquoi, alors, le gouvernement se tâte et éprouve le besoin de lancer un débat public avant d’appliquer “sa” solution ? Parce que ce n’est pas si simple.
Ainsi imaginée, la “décompensation” peut, via la hausse des prix, créer de nouveaux pauvres, en affaiblissant le pouvoir d’achat de la classe moyenne. Le risque est sérieux et nul ne peut en prédire les conséquences. Mais si, malgré tout, la décompensation version PJD réussit, les islamistes risquent de s’en servir comme argument électoral, eux qui surfent déjà sur leur dernier succès aux législatives 2012.
On le voit bien, les enjeux autour de la réforme de la Caisse de compensation sont nombreux. L’équation est à la base économique (comment aider les pauvres, comment alléger les dépenses de l’Etat), mais elle comporte des inconnues politiques (électoralisme), sociales (paupérisation et reconfiguration des classes sociales) et sécuritaires (soulèvement des nouveaux pauvres). Si la réforme de la Caisse est bien un projet de société global, général et ambitieux, le PJD peut-il et a-t-il le droit, à lui seul, de le porter, de l’assumer ? Je ne le crois pas.
Il est bien dommage, par ailleurs, d’observer que tous les intervenants mettent en avant l’argument économique pour défendre la réforme, voire la suppression de la Caisse de compensation. C’est un motif sérieux mais absolument pas suffisant. Il nous rappelle même de mauvais souvenirs. Rappelons-nous que c’est parce que “cela plombe les finances de l’Etat” que les bourses des étudiants ont été réduites, que la gratuité des soins a été supprimée et que Hassan II est allé jusqu’à envisager, au beau milieu des années 1980, de privatiser tout le secteur de l’enseignement.
Avant de réformer la Caisse de compensation, il vaut mieux se poser une série de questions. A quoi sert et combien coûte l’INDH ? Où en est exactement le RAMED ? Qu’en est-il des difficultés de la CNSS, des systèmes d’entraide et de prévoyance sociales ?