Comme prévu, la projection du film Tinghir – Jérusalem à Tanger (cf édito n° 556) a davantage ressemblé à un meeting politique qu’à un moment de cinéma. Elle a même séparé notre petit monde en deux : les pro et les anti. Mais pro ou anti quoi, en fait ? Là est toute la question. Quand on défend la liberté de créer et de s’exprimer à propos d’un film qui raconte l’histoire des juifs au Maroc, on est catalogué pro-sioniste. Quand on prône l’interdiction du film, on passe pour un héros de la Palestine. J’exagère à peine. Une demi-heure avant la projection du film, ce ne sont pas les pro mais les anti qui ont donné de la voix, avec des dizaines de personnes rassemblées dans la rue pour “interdire” aux spectateurs de se rendre en salle. Derrière la banalité des slogans qui font la part belle aux amalgames et aux délires démagos (Vous ne vendrez pas la Palestine, Oui à la création – Non à la normalisation), il y a lieu de faire deux remarques intéressantes. La première, c’est que les manifestants liberticides n’étaient pas seulement islamistes. Et ils n’étaient pas tous politiques. Deuxième remarque : une heure après le début du sit-in, et alors que la projection du film avait déjà commencé, les rangs des liberticides ne se sont pas dégarnis ; au contraire, la masse des anti avait pu recruter un certain nombre de passants, attirés par des vocables “sexy” (Israël, Palestine, juifs, Arabes).
Et c’est là où je veux en venir : sous couvert d’antisionisme, c’est bien à une séance d’antisémitisme primaire que l’on a pu assister, ce jour-là à Tanger. Cette “cause” honteuse exerce un formidable pouvoir d’attraction sur Monsieur tout le monde et elle réussit l’exploit de mettre d’accord des gens qui ne sont jamais d’accord (les islamistes et les gauchistes, les syndicalistes qui ne marchent jamais ensemble, etc.). Ce délire collectif n’a été contrebalancé que par les forces de l’ordre, présentes en masse. Dans l’absolu, les anti n’étaient pas très nombreux mais, en face, il n’y avait rien. Car, pendant ce temps-là, les pro étaient emmurés dans le silence et l’auteur du film devait se sentir bien seul…
Pour la petite histoire, il y a lieu de relever que les défenseurs de la liberté se sont bien rattrapés par la suite, communiquant une pétition de soutien au film. Il n’empêche que la séance d’intimidation publique a marqué les esprits. Plus tard dans la soirée, en discutant avec l’un des membres du jury du festival, un homme qui a l’habitude de voyager dans les pays arabes, j’ai récolté l’observation suivante : “Loin de freiner l’antisémitisme, le Printemps arabe semble l’avoir renforcé, dans les pays où la révolution a eu lieu mais aussi dans les autres…”. Le Maroc fait partie de ces “autres”. Et il suffit que n’importe quel quidam décrète que vous êtes soi-disant “pro-sioniste” ou “ennemi de la cause palestinienne” pour décrocher le jackpot, fédérant islamistes et gauchistes, politiques et anonymes, et faisant de vous un authentique ennemi public.
Puisse l’exemple de Tinghir – Jérusalem, très joli film sur les retrouvailles émouvantes entre juifs et berbères, et la très grave manifestation d’antisémitisme et de bêtise humaine auxquels il a donné lieu, nous servir de leçon et de signal d’alarme.