Et maintenant, on va où ?

Par Karim Boukhari

Si vous êtes des lecteurs assidus de la presse marocaine, toutes tendances confondues, vous aurez sans doute relevé la manière très peu élégante, pour ne pas dire outrée et outrageante, avec laquelle l’arrivée de Driss Lachgar à la tête de l’USFP a été accueillie. Si vous avez raté cet épisode, je vous le déroule en accéléré, comme un petit cadeau de fin d’année, vous allez voir, cela en vaut la peine… En gros, et sans jeu de mots, le nouveau numéro 1 des socialistes, appelé à devenir de facto le premier opposant aux islamistes, souffre d’être gras, gros, de porter une moustache traditionnelle et de pointer un pedigree proche de zéro. Il ne descend de personne, il est beldi là où on l’aurait préféré smart, il parle le langage de la rue plutôt que celui de la poésie ancienne et de toute la littérature politique franco-marocaine accumulée, il fait intellectuellement pâle figure devant le flegme et la prestance d’un Abderrahim Bouabid ou même d’un Fathallah Oualalou, et il accuse de surcroît une énorme surcharge pondérale qui le ferait davantage passer pour le grossiste du coin que pour le plus bel espoir de la social-démocratie marocaine. Un leader de “poids”, donc, mais un homme du peuple plutôt qu’un homme d’Etat. Vous parlez d’une déconfiture ?

Maintenant, réveillons-nous et ouvrons bien les yeux : la victoire de Lachgar est tout sauf une surprise. Mieux, elle ne souffre d’aucune contestation. C’est un homme d’appareil, qui tient la base du parti de la rose et c’est bien la base qui l’a porté tout en haut. Point barre. S’il y a quelque chose à comprendre, c’est bien ailleurs qu’il nous faudra aller la chercher.

Sans faire injure à personne, Lachgar est à l’USFP ce qu’est Chabat à l’Istiqlal et, dans son genre, Benkirane au PJD. Figurez-vous, et le fait n’a été relevé nulle part, que c’est la première fois que les trois principaux partis du pays sont dirigés par des hommes de la post-indépendance. Des quinquas aux airs et aux manières de Monsieur tout le monde. Sociologiquement, le fait est totalement inédit. Il mérite que l’on s’y attarde un peu… Benkirane a “hérité” du parti fondé par Abdelkrim El Khatib, le docteur de Leurs Majestés (Mohammed V et Hassan II), Chabat a arraché l’Istiqlal à la famille Fassi Fihri (ce n’est pas une mince affaire) qui a toujours géré le parti comme un patrimoine foncier, et Lachgar a battu à plate couture tous les intellos et les “j’aurais voulu être président de la république” qui émargent parmi les descendant de Mehdi Ben Barka et Omar Benjelloun.

Aussi peu consistant – intellectuellement – qu’il puisse être, ou paraître, le trio Lachgar – Chabat – Benkirane ressemble davantage au Maroc d’aujourd’hui. Il est le fruit de notre monde, rondouillard, volubile et démago. Il est “jeune” et cela cadre assez dans le contexte marocain, un pays jeune dirigé par un chef d’Etat jeune. On peut lire cela comme un nivellement par le bas, bien entendu. La règle démocratique (n’oublions pas que ces gens ont été élus par leurs bases) nous oblige aussi à lire cela comme une homogénéisation de la néoréalité socio-politique qui est la nôtre.

Donc autant faire l’existant plutôt que de rêver d’un passé révolu : Ben Barka, Benjelloun, Bouabid ou même Boucetta étaient aussi le produit de leur époque. Ils ne reviendront pas. Ou alors si, mais il nous faudra travailler pour, beaucoup accumuler, prendre en main la génération prometteuse des 20 – 30 ans, et attendre quelque temps. Sur ce, je vous (nous) souhaite une joyeuse année.