D’abord annoncées en 2012, ensuite en 2013, les élections locales n’auront probablement lieu qu’en 2014. Tout le monde le pense mais personne n’ose encore le dire. Quand le ministre de l’Intérieur prendra son courage à deux mains pour valider la rumeur, ce que je lui souhaite vivement, il va certainement s’aider de jongleries linguistiques pour nous expliquer le report. Mais il ne dira pas l’essentiel : les locales n’auront pas lieu parce que, en dehors du PJD, personne n’est prêt à les affronter. Les tenir dans les délais revient à offrir le Maroc sur un plateau en or au PJD. Et ça, personne n’en veut.
Si les islamistes ont déçu, comme prévu, les amoureux de la démocratie (TelQuel n°547), ils continuent de marquer des points, avançant dans une sorte de stratégie en mosaïque. Ce parti, c’est un mille-pattes, ses pas le conduisent dans des directions différentes, parfois opposées. Un vrai schmilblick.
En un an de gouvernement, ce parti a réussi l’exploit d’incarner à la fois le pouvoir…et l’opposition. C’est de ses rangs, et chez ses élus, que sont nées les oppositions les plus fortes à son action gouvernementale. Bingo, cela s’appelle la démocratie interne et le droit à la différence, voire à l’indépendance d’esprit. Et c’est la marque d’un grand parti moderne.
Le PJD qui gouverne n’est pas celui qui hurle dans le parlement. Il n’est pas, non plus, celui qui hume l’air dans les rues ou les mosquées. Quand le décor change, le parti change aussi. Le discours et l’attitude évoluent du tout au tout, selon deux paramètres que les experts ès com’ connaissent très bien : la cible et l’objectif. De mue en mue, le parti s’adapte à ses interlocuteurs, les séduit et leur dispense un message en filigrane : “N’oubliez pas que nous sommes là pour un bon bout de temps”.
Vis-à-vis du Palais, du roi et de ses influents amis, le PJD reproduit le schéma de l’USFP, de l’Istiqlal et de tous ceux qui ont été associés aux affaires : il dit oui. Quand il va loin, il demande pardon (la lettre d’excuses de Benkirane à l’entourage royal, l’été dernier), fait marche arrière (les cahiers des charges d’El Khalfi) et tend poliment la tête pour qu’on lui tire les oreilles. Cette docilité est un gage offert non seulement au Palais mais à tout l’establishment marocain, y compris la nomenklatura des milieux d’affaires.
Pendant ce temps, un autre PJD, celui qui habite l’enceinte du parlement, emprunte une tout autre direction : il demande la transparence sur le budget alloué annuellement à la maison royale et exige d’en débattre en public. Ce PJD-là séduit les progressistes et égratigne le Palais. Il a un discours de gauche et il marque des points à gauche.
La partition islamiste fait appel à d’autres mues et à d’autres figures de style pour “parler” à d’autres cibles. Au peuple impatient, on explique que le sous-développement social est un legs du passé et que les réformes iraient plus vite si personne ne mettait de bâton dans les roues du PJD. Au fqih qui sommeille en nous, on dit que les circuits de l’art et de la culture sont un bain de “débauche” et que l’on va, inchallah, y mettre fin. Au patronat, on rappelle que la taxation des riches ira crescendo comme dans une démocratie résolument socialiste. Aux chancelleries européennes, on sourit, on assiste aux cocktails servis avec alcool et on rassure. Aux épris de liberté, on promet un code de la presse sans peine de prison…
En 2014, les islamistes auront marqué beaucoup de points supplémentaires. Ils auront recruté de nouveaux électeurs et préparé une nouvelle moisson de cadres supérieurs et de responsables. Ils seront mieux armés pour tenir le législatif et affronter les communales. Il faut voir, alors, qui parmi leurs concurrents sera prêt à les affronter ?