Il y a deux manières d’appréhender le fait que le Maroc vient de lancer, définitivement, le chantier d’une ville verte. La première est d’applaudir des deux mains parce que la bataille de l’environnement est un train dans lequel il faut monter, pas rester à quai. La deuxième est de grincer des dents parce que le royaume vient, une fois de plus, d’envelopper une cause juste par toute une série d’incongruités. Au point que l’environnement devient un moyen, et non une fin, pour servir d’autres causes.
Une phrase résume tout le malaise : la ville verte est en train d’être érigée à Benguerir, elle s’appelle Mohammed VI et l’Office des phosphates est son principal bailleur de fonds. En retournant la crêpe, nous obtenons ceci : le roi se fait plaisir et offre un cadeau à son plus proche conseiller, Fouad Ali El Himma, en sollicitant une vache à lait, l’OCP, qui a pourtant d’autres priorités. Et voilà comment la cause verte s’évanouit, engloutie par d’autres calculs, d’autres desseins.
Il y a très exactement cinq ans, le Maroc lançait, déjà, le projet d’une ville verte. Ce n’était pas à Benguerir mais près de Rabat, le projet ne s’appelait pas Mohammed VI mais Bab Zaer, et son principal promoteur n’était pas le roi mais son cousin d’Amérique, Moulay Hicham. Le prince rouge rêvait d’une ville verte, une cité ex nihilo, la première du genre au Maroc et probablement en Afrique. Question de prestige. Et sans doute question d’ego aussi. Un an plus tard, et alors que le projet Moulay Hicham traîne en longueur, son cousin le roi le double et annonce le projet d’une ville verte à Benguerir qui avance, lui, comme un couteau fendant le beurre. Vite, vite. Dans cette course à la ville verte, aux allures de course à l’ego, le roi avait bien l’intention de franchir la ligne verte en premier. Rien de mieux, alors, que de graver cette victoire dans le marbre en baptisant la ville Mohammed VI. Ce qui fut fait.
Au-delà de ces considérations royales, ou princières, la nouvelle cité est un cadeau en or pour Monsieur Benguerir : El Himma. En avait-il besoin ? Ou simplement envie ? Au moment de sa députation, en 2007, l’enfant des Rhamna avait promis monts et merveilles à sa région natale. Il est en train de tenir parole : un festival (Awtar ou le printemps culturel du Haouz) surgi de nulle part pour s’imposer immédiatement comme l’un des plus coûteux et des mieux sponsorisés de tout le royaume, une ville verte sortie de terre, des chantiers générateurs d’emploi dans tous les coins, etc. Cela ne vous rappelle rien ? Oui, oui. Driss Basri. Comment l’oublier ? Comment ne pas penser à l’enfant de Settat qui, du temps de Hassan II, avait mobilisé une énergie folle, des capitaux privés, des fonds publics, et tout un monde pour faire de sa ville une cité estudiantine, industrielle, et même “côtière” via un incroyable redécoupage administratif…
Et puis il y a l’OCP. Personne ne blâmera l’Office de Mustapha Terrab d’investir dans une ville verte. Mais tout le monde sait que le groupe a tout le mal du monde à contenir la pression sociale qui monte de villes phosphatières comme Khouribga et Safi. Deux grandes villes (surtout la deuxième) qui ne sont connectées à aucun réseau autoroutier, aucune ligne ferroviaire. Riches de leurs phosphates mais enclavées, bouillonnantes, largement désœuvrées. Comment faire comprendre aux populations impatientes de ces deux cités, comment surtout leur faire accepter que “leur” Office ne leur offre pas la moitié de ce qu’il donne, si vite, si bien, à Benguerir ?
Le facteur écologique méritait de venir au monde dans de meilleures conditions. Il ne reste plus qu’à lui souhaiter de ne pas se noyer entre les feux de la royalisation, de la “basrisation”, et de leur cortège de bizarreries.