“Le Maroc est un arbre dont les racines sont ancrées en Afrique mais dont les branches s’étendent en Europe”. Vous avez deviné, cette phrase, qui ressemble à un slogan ronflant de l’Office du tourisme, est de Hassan II. Elle n’est pas anodine. Le monarque l’avait improvisée au moment où il tentait, il y a trois décennies, d’intégrer le royaume dans la défunte CEE (actuelle UE). Sans succès. L’Europe a dit non et le Maroc s’est retrouvé sans branches… et sans racines non plus puisque, dans le même temps, il avait claqué la porte de l’OUA (actuelle UA). Pas d’Europe et pas d’Afrique. Coupé de ses branches et de ses racines. Ni européen, ni africain.
Je me suis rappelé de la formule de Hassan II au moment où j’ai découvert, surpris, comme la plupart d’entre vous, la couverture de Maroc Hebdo, “Le péril noir”. Notre confrère, qui voulait pointer la situation difficile des migrants africains, a déclenché bien involontairement un buzz énorme et, à vrai dire, malheureux. Nous avons vu fleurir partout des “périls”, aussi stupides les uns que les autres : arabe, maghrébin, musulman, etc. Mais à quelque chose malheur est bon et la Une de Maroc Hebdo renvoie, à sa manière, à celle du magazine français Le Point : “Cet islam sans gêne”. Vous êtes choqués ? Atterrés ? Dégoûtés ? Révoltés ? Indignés ? N’accablez pas trop nos confrères pour autant, ce n’est pas en effaçant leurs titres que l’on effacera le mal. Parce que, derrière le choc se cache, bien tapi au fond de nos sociétés, le monstre : racisme, xénophobie, intolérance. Comment l’ignorer ?
Il y a quelques semaines, TelQuel a publié le cri d’alarme de Boubacar Seck, un architecte d’origine sénégalaise qui a fait ses études au plus beau pays du monde. Notre frère africain nous rappelait notamment ceci : “Paradoxe, c’est au moment où un parti islamo-conservateur arrive au pouvoir que les valeurs de tolérance, d’ouverture et d’hospitalité prônées par l’islam s’affaiblissent. C’est au moment où le pays questionne ses principes de liberté, de démocratie et de sécularisation que le repli s’organise”.
De terre de transit, le Maroc est devenu par la force des choses terre d’exil. Sans y être le moins du monde préparé. L’étranger, l’autre, n’était plus seulement européen, donc “supérieur”, ou arabe, donc “frère”, mais aussi et de plus en plus africain, donc noir, donc “inférieur”. Noir et africain, cela fait double peine. L’imaginaire collectif méprise le noir parce que “descendant d’esclaves”, il méprise aussi l’Africain parce que “pauvre (et noir)“. Du coup, le quotidien, notre quotidien, est devenu un théâtre permanent de haine “anti-noir”. C’est de l’ordre du racisme ordinaire, que l’on condamne en silence parce que “on comprend” : on sait d’où ça vient et à quoi ça tient.
Je vais vous citer quelques échanges comme vous avez pu en surprendre par dizaines : “Il est beau, riche, grand ? – Il est noir !”. “Où va ce pays, il y a trop de noirs !”. “Mais que viennent faire tous ces noirs, ils ne voient donc pas que l’on a suffisamment de problèmes entre nous ?”.
Je rappelle aussi qu’il y a quelques mois à peine, un célèbre humoriste marocain avait traité, en direct d’un plateau de télévision, les noirs de “cafards”. Et cela avait fait rire des imbéciles !
Puisse cette Une de Maroc Hebdo (qui s’apprête, au moment où ces lignes sont écrites, à présenter des excuses, ce qui est tout à son honneur) nous faire comprendre qu’il est temps de rétablir l’africanité de ce pays. Parce que, contrairement à ce que pouvait laisser croire la fameuse phrase de Hassan II, tous les Marocains ne sont pas conscients de leurs “racines africaines”. Ils les ont oubliées, négligées, comme le démontrait l’excellente enquête du trio Mohamed Tozy – Mohamed Ayadi – Hassan Rachiq, L’islam au quotidien (éd. Prologues, 2007). A la question de savoir comment ils se définissaient, les échantillons sondés ont répondu, dans l’ordre, musulmans, Marocains, Arabes, Berbères, et loin, très loin derrière, Africains. La majorité a classé l’identité africaine en dernière position et personne, mais alors personne, ne l’a placée parmi les deux premières !