Dix ans plus tard…

Par Karim Boukhari

Il est rare qu’un proche du roi émette, en public, un point de vue personnel, c’est-à-dire avec suffisamment de lucidité et de distance critique, sur la monarchie et plus généralement sur le pays. Ça dénote et ça fait crac. Les proches sont des gens qui ne réfléchissent pas, ou alors dans les salons sans table d’écoute et une fois leurs téléphones éteints et les batteries mises hors d’état de nuire. Ce n’est pas une loi qui le dit mais une règle, une espèce de code non écrit mais usuellement admis. Un proche, ça se tait. Et quand ça parle, c’est pour livrer le fruit de sa réflexion à son maître et protecteur, le roi. Voici pour la théorie…

Tout proche du roi (ou supposé comme tel) qu’il est, Hassan Aourid a brisé la glace en émettant un point de vue très intéressant sur l’évolution du Maroc sous Mohammed VI. Bien lui en a pris. Il l’a fait dans le cadre d’une rencontre publique organisée par la jeune et dynamique association Capdema et, depuis, on assiste, comme prévu, à une mini-tempête. Qui, lui ? Et pour dire quoi ? Et attaquer qui ?

Aourid est un ancien camarade de classe de Mohammed VI, il est même celui qui passait pour l’intellectuel de la bande. Introduit dans les arcanes du pouvoir sous Hassan II, déjà, il a pris du galon à l’avènement de son “ami” Mohammed VI. Le nouveau roi a fait de lui son porte-parole, une fonction et un titre absolument inédits dans l’histoire marocaine. Bien entendu, et comme il ne disait plus grand-chose à l’époque, Aourid a rapidement hérité du sobriquet, fort justifié, de porte-silence officiel du Palais. Quand il fallait parler, il se taisait. Et quand il parlait, c’était pour ne rien dire. En homme intelligent, il en a souffert et son “ami” Mohammed VI a abrégé ses souffrances quand il l’a nommé wali de Meknès, ensuite historiographe du royaume. Sur le papier, ces nominations ressemblent à une ascension. Dans les faits, ils correspondent à une mise au placard. Le “proche” a été progressivement éloigné au point de ne plus occuper aucune fonction officielle. Il est donc revenu à ses premières amours, qu’il n’avait jamais réellement quittées : la réflexion et l’écriture (je vous invite à lire son dernier livre en date, Le Morisque, un roman d’histoire aux résonances étrangement actuelles). Et il “parle” !

Nous sommes donc en face de l’un des principaux théoriciens du nouveau règne, l’un de ceux qui ont essayé de donner du sens à la marche suivie par la monarchie depuis que Hassan II a passé le flambeau à Mohammed VI. Devant le public jeune et averti de Capdema, dont beaucoup de militants du Mouvement du 20 février, Aourid a expliqué deux choses principales, et qu’il est toujours utile de rappeler : la première, c’est que l’ouverture démocratique n’a pas commencé sous Mohammed VI mais sous Hassan II, en 1995, déjà, quand il a prononcé son fameux discours (“le Maroc est au bord de la crise cardiaque”) au lendemain d’un rapport accablant de la Banque Mondiale. La deuxième, c’est que 2002 a marqué un coup d’arrêt au processus : dans les suites des élections qui ont consacré la victoire de l’USFP, Mohammed VI a choisi de nommer un Premier ministre technocrate, cassant la logique démocratique et installant de facto une monarchie exécutive, c’est-à-dire, en plus simple, une monarchie qui gouverne à la place du gouvernement.

Je m’arrête simplement à ces deux points et à ces deux dates et vous invite à y réfléchir. Je suis convaincu que beaucoup parmi vous trouveront l’analyse de Aourid juste. Surtout pour ce qui est du coup d’arrêt de la triste année 2002… Des journalistes et des intellectuels ont payé le prix fort, harcelés et malmenés, pour avoir dit la même chose, en 2002 déjà. Et voilà que dix ans plus tard, un proche parmi les proches épouse le même point de vue. Et le dit. Intéressant, non ?   

Je me joins à toute l’équipe de TelQuel pour vous remercier de nous lire et de nous soutenir, et vous dire au revoir et à septembre prochain, inchallah