Scandale. Amina, victime de la loi

Mariée à son violeur alors qu’elle était mineure, Amina Filali s’est suicidée pour mettre fin à son calvaire. Son acte désespéré a jeté un coup de projecteur sur les aberrations du Code pénal.

Deux semaines après le suicide d’Amina Filali, le Maroc est encore sous le choc. La jeune fille de 16 ans, qui s’est donné la mort en ingurgitant de la mort aux rats, après avoir été contrainte d’épouser son violeur, est devenue le sujet d’un débat national sur la législation marocaine. Objet de la polémique, le Code pénal écrit en 1962, en d’autres temps, avant la nouvelle Constitution qui stipule l’égalité devant la loi entre l’homme et la femme. En cause particulièrement, dans le cas d’Amina Filali, l’article 475. Il stipule que “quiconque, sans violences, menaces ou fraudes, enlève ou détourne, ou tente d’enlever ou de détourner, un mineur de moins de 18 ans, est puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans”. Sauf que cet article contient un alinéa 2 qui annule les poursuites si le ravisseur épouse sa victime… Voici résumée la courte vie d’une adolescente, Amina, mariée à son violeur qui, grâce à une parade juridique, a échappé aux poursuites judiciaires.

Tout le monde en parle

L’indignation autour du cas d’Amina s’est vite propagée. S’en est suivi des sit-in à Larache, devant le tribunal dont dépend le douar d’origine d’Amina, puis une manifestation devant le parlement, ponctuée de slogans “Nous sommes toutes des Amina” et agrémentée de pancartes “La loi m’a tuer”. Les médias nationaux et internationaux se sont emparés de l’affaire. Tout le monde parle désormais d’Amina, passée du jour au lendemain de paysanne lambda à exemple révélateur du véritable statut des femmes au Maroc. “Elle a été victime d’un article de loi qui efface d’un coup de gomme un double crime : le détournement de mineur et le viol. L’article 475 incriminé n’est qu’une des nombreuses dispositions du Code pénal révélant sa philosophie patriarcale et conservatrice. On y réduit les femmes à des corps à surveiller”, explique l’avocate et militante Khadija Rouggani.

Amina, un cas non isolé

Le dernier procureur en date à avoir convoqué sur le banc des accusés l’article 475 incriminé n’est autre que le Conseil national des droits de l’homme (CNDH). L’instance a déclaré que “la loi en vigueur a péché (…) en autorisant la cessation de toute poursuite contre le violeur qui épouse sa victime”.  La position du CNDH a mis du baume au cœur des associations féminines. Elles avaient vu jusque-là le gouvernement à dominante PJD souffler le chaud et le froid. “Côté pile, la ministre de la Femme, Bassima Hakkaoui (PJD), et le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi (PJD), ont fait des déclarations qui laissent espérer une réforme de l’article en cause. Mais, côté face, alors que le père de la victime a clairement parlé de menace au couteau sur sa fille (de la part de son violeur, ndlr), le ministre de la Justice, Mustapha Ramid (PJD), a publié un communiqué où il parle de consentement de la part d’Amina et non de viol”, explique, perplexe, Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique des droits des femmes (LDDF).

L’association s’est portée partie civile pour que le mari d’Amina Filali soit jugé. Ceci, alors que le département de Ramid soutient que tout s’est fait dans les règles. “Le Parquet s’est retenu d’engager des poursuites en prenant en compte l’intérêt de la mineure (ndlr : Amina Filali) et pour donner suite à sa demande et à celles de son père et de l’homme qui l’a épousée, conformément à la loi”, énonce ainsi un communiqué du ministère de la Justice. La loi aurait donc été respectée au pied de la lettre. Selon l’avocate Khadija Rouggani, cette ligne de défense ne tient pas compte de l’application au quotidien de cette loi : “Le mariage entre une fille mineure et l’homme qui l’a détournée se fait pour une raison majeure : la crainte de la chouha qui habite la famille de la victime”. En plein dans le mille dans le cas Amina. Son père, Lahcen Filali, a ainsi déclaré qu’il ne voulait pas aller chez le juge pour marier sa fille à son violeur. Mais il fallait le faire “pour que les gens arrêtent de se moquer de nous, pour faire taire la honte”.  

Mariée à tout prix

Le suicide d’Amina a mis en relief une autre disposition de la législation marocaine que les associations féminines combattent aussi. L’article 20 de la Moudawana qui autorise un magistrat à marier une mineure. “Cet article pose des conditions précisant que la décision du juge de la famille doit être soumise, entre autre, à une enquête sociale. Elle n’a jamais lieu dans l’absolu et n’a pas été menée dans le cas particulier d’Amina”, relève Khadija Rouggani. Un magistrat a donc marié Amina, sans tenir compte des gardes-fous pointés par la loi, fidèle en somme à l’usage. “Dans le cas d’Amina, on n’a a pas dérogé à la règle. Le juge a accordé l’autorisation de mariage comme cela se fait dans 85% des demandes de mariage avec des mineures”, surenchérit Fouzia Assouli. Ce qui devait donc être une exception est devenue la norme, selon les chiffres publiés par les associations féminines. “Les mariages de mineures n’ont fait qu’augmenter, selon les données en notre possession. Ceci, sans tenir compte des mariages selon la Fatiha qui ont encore lieu dans les zones enclavées et que l’on ne retrouve pas dans les statistiques”, ajoute la militante associative. A l’instar d’autres féministes, Fouzia Assouli milite pour que soit votée une loi-cadre sur la violence à l’encontre des femmes. “Tout l’arsenal juridique devra s’y conformer et notamment le Code pénal, truffé d’articles discriminatoires envers les femmes. Une telle loi aurait permis la mise en place des moyens et des mécanismes de protection des mineures comme Amina, qui n’aurait pas été contrainte d’épouser son violeur”, conclut Assouli. Et éviter ainsi que d’autres jeunes filles se retrouvent dans la situation d’Amina Filali.

 

Viol. Les points noirs du Code pénal

Les associations féminines réclament depuis des années que l’on réforme les articles de loi légiférant sur le viol. L’article 488 considère ainsi le viol avec défloration comme une circonstance aggravante. Or, pour les féministes, c’est le signe qu’on accorde la priorité au maintien de l’ordre social et de la morale, ce crime étant considéré comme une atteinte à la famille et à la société et non pas comme une atteinte à l’intégrité physique et à la dignité de la femme violée. On désire aussi plus de rigueur de la part des juges. Les peines de prison prévues en cas de viol dans l’article 486 du Code pénal sont sévères, mais dans la pratique elles ne sont quasiment pas appliquées. Entre les quatre murs d’un tribunal, c’est souvent la victime qui est suspecte tandis que son agresseur bénéficie d’une totale bienveillance. Les juges demandent ainsi, dans la majorité des cas, aux victimes de présenter des témoins et ne reconnaissent que très rarement d’autres preuves comme les expertises médicales, les rapports de psychologues ou les photos de la victime violentée. Les associations veulent aussi que les tribunaux admettent, en plus de la violence physique, la violence morale (chantage, pression psychologique, etc.) qui est souvent utilisée par le violeur. Enfin, dernier point, les féministes exigent que l’on pénalise le viol conjugal, qui n’est pas reconnu dans la législation marocaine.

 

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