Nos voisins de l’est semblent totalement imperméables au vent de changement qui souffle sur le monde arabe. Lors des législatives du 10 mai, le FLN, le parti du président Bouteflika, a même fait mieux que lors des précédentes élections. Retour sur un scrutin très controversé.
Salle de conférence de l’hôtel El Aurassi, sur les hauteurs d’Alger. Le ministre de l’Intérieur algérien, Daho Ould Kabliya, entame sa conférence de presse sur les résultats du scrutin législatif de la veille. A l’annonce du score du Front de libération nationale (FLN), qui a remporté 220 sièges sur 462, toute la salle crie en chœur son étonnement. Et, avant même la fin de l’allocution du ministre, les journalistes —venus en nombre pour couvrir ces élections que les autorités algériennes voulaient exemplaires—commencent à s’interroger sur la crédibilité d’un tel résultat. “Comment un parti qui a été totalement discrédité en 1991 peut aujourd’hui jouir d’un plébiscite ?”, demande un journaliste algérien. Car même si de nombreux observateurs s’attendaient à une victoire du FLN, personne ne prévoyait un tel raz-de-marée. En comparaison avec les élections de 2007, le FLN a obtenu 84 sièges de plus lors de ce scrutin. Avec 47,61% des sièges de la nouvelle Assemblée, il ne lui manque plus que les sièges de son allié historique du Rassemblement national pour la démocratie (RND), arrivé deuxième avec 14,71 % sièges, pour détenir une confortable majorité. D’ailleurs, le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, a d’ores et déjà affirmé l’intention de son parti de reconduire la même alliance. “Nous maintiendrons l’alliance avec nos partenaires traditionnels”, a-t-il indiqué le soir même de l’annonce des résultats.
Des résultats contestés
Les chiffres annoncés par le ministre de l’Intérieur sont loin d’avoir plu à tout le monde. Les islamistes de l’Alliance de l’Algérie verte —une coalition qui comprend le Mouvement de la société pour la paix (MSP), El Islah et Ennahda— ont aussitôt émis des doutes sur la fiabilité des résultats annoncés. “C’est une régression de la démocratie”, a lancé Bouguerra Soltani, le leader du MSP qui, il y a à peine quelques mois, faisait encore partie de la majorité parlementaire. Un autre islamiste, Abdallah Djaballah, du Front pour la justice et le développement (FJD), est allé jusqu’à menacer le pouvoir algérien de révolution “à la tunisienne”. Les autorités “ont fermé la porte du changement à travers les urnes ; il ne reste à ceux qui croient au changement que le choix tunisien”, a-t-il lancé à un journaliste de l’agence AFP, criant à la fraude et dénonçant un scrutin qu’il n’hésite pas à qualifier de “mascarade”.
Même son de cloche chez Louisa Hanoun, la secrétaire générale du Parti des travailleurs. Selon elle, les résultats des législatives 2012 constituent une “provocation énorme contre la majorité du peuple algérien, vis à vis de ceux qui ont voté comme ceux qui se sont abstenus”. Elle estime que les scores obtenus par le FLN sont “irréels” et qu’ils ont forcément été “modifiés” au profit du Front. Bref, à part les deux vainqueurs, aucune formation politique ne s’est montrée satisfaite du déroulement de ces élections.
Pourtant, le président Abdelaziz Bouteflika avait promis des élections libres et transparentes et s’était personnellement investi dans leur réussite. Lui qui, habituellement, garde ses distances avec chaque rendez-vous électoral, il n’a cessé depuis son discours du 15 avril 2011 —l’équivalent du discours du 9 mars au Maroc— d’appeler les Algériens à participer en masse aux législatives pour réussir les réformes politiques. Deux jours avant le scrutin du 10 mai, il est allé jusqu’à déclarer à la télévision, en direct depuis Sétif, que “sa génération a fait son temps”. En évoquant la “décennie noire”, “Boutef” a même parlé de période de “guerre civile”… Une première de la part d’un président algérien ! Pour un journaliste local, “le pouvoir a tout au long de la campagne tenté de faire peur aux Algériens, n’hésitant pas à leur faire croire que le pays était menacé par une invasion de l’OTAN”. Ce qui n’a pas manqué de faire de l’effet, d’autant que bon nombre de citoyens sont encore sous le choc d’une décennie de guerre entre l’armée et les islamistes. Entretenir ces craintes incite les électeurs à refuser tout changement et à opter pour le FLN, présenté par les autorités comme seul garant de la stabilité du pays.
De “la poudre aux yeux”
Ce décalage entre les discours officiels et le désintérêt général que voue la population à la vie politique alimentent également des suspicions quant au taux de participation, établi à 42,9% par le ministère de l’Intérieur algérien. Selon le Rassemblement pour la
culture et la démocratie (RCD) —parti ayant boycotté les législatives—, le taux de participation ne dépasse pas 18%. “C’est même ce qui est noté par les commissions communales, pourtant soigneusement filtrées par l’administration”, déplore le président du parti kabyle, Mohcine Belabbas. Lors d’un point presse, ce dernier a aussi dénoncé “les bourrages des urnes, les bus de faux électeurs, les dépouillements à la sauvette, le dopage du taux de participation qui s’emballe en fin de journée, quand il n’y a plus grand monde dans les centres de vote…”
Un point de vue qui n’est pas partagé par les observateurs internationaux, pour qui il n’y a pas eu de dépassements majeurs. Le chef de la mission de l’Union Européenne, José Ignacio Salafranca, s’est d’ailleurs dit “satisfait du déroulement du processus électoral”. Mais selon un militant des droits de l’homme algérien, “les prérogatives des observateurs étaient très limitées ; ils n’ont même pas pu avoir accès aux fichiers électoraux”. Ce constat a été relayé par nombre de citoyens mécontents, qui ont vu dans la présence des membres de la mission de l’Union Européenne un simple satisfecit souhaité par le pouvoir pour mieux “vendre” son processus de démocratisation. De toute façon, les réformes entamées par l’actuel président ne semblent pas enthousiasmer outre mesure les Algériens. “Tel qu’il est, le système ne permet aucune transition démocratique. Ce sont plusieurs clans, formés de militaires et de politiques, qui gravitent autour d’un même noyau, contrôlé par le DRS (services secrets algériens, ndlr)”, commente ce journaliste de la place, pour qui les promesses de changement de Bouteflika ne sont que “de la poudre aux yeux”.
FIS. Demain, la revanche ? Le Front islamique du salut (FIS), principale formation islamiste dissoute en 1992, s’est félicité de “la leçon inoubliable de citoyenneté et de maturité politique que le peuple algérien a donné aux autorités en boycottant pacifiquement et massivement les élections”, dans un communiqué cosigné par les deux leaders fondateurs du parti, Abbassi Madani et Ali Belhadj. Grand gagnant du premier tour des élections législatives de 1991 (188 sièges sur 231), le FIS s’était vu “voler la vedette” suite au coup de force de l’armée qui avait interrompu le processus électoral. Conséquence : dix ans de guerre civile entre l’armée et les groupes islamistes armés, qui ont fait plus de 100 000 morts. Mais à travers ce communiqué —publié sur Internet vendredi après l’annonce officielle des résultats—, se dessine comme un rêve de revanche du FIS : les deux leaders appellent les “citoyens libres à continuer, d’une manière pacifique et civilisée, la lutte pour sauver l’Algérie des aventuriers et autres spéculateurs qui se sont éternisés au pouvoir”. Et il faut reconnaître que malgré le traumatisme de la “décennie noire”, les Algériens ne sont pas indifférents à l’opération séduction du FIS. |
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