Le dernier roman graphique de l’Américain Craig Thompson, que vous pouvez commander auprès de votre libraire, est une invitation à voyager au cœur des mythes et traditions orientales. Une œuvre réussie, saluée par la critique internationale. A découvrir.
C’est un pavé qui ne doit surtout pas vous décourager. Le dernier roman graphique —bande-dessinée, pour les old school— de Craig Thompson est un bijou. Il est vrai qu’il commence mal et qu’en apparence il cumule les handicaps. Les premières pages racontent le mariage forcé d’une gamine de douze ans à un érudit pataud qui en a le triple. Le parallèle avec l’union du prophète Mohamed et de sa tendre Aïcha n’échappera pas au lecteur. Il pourrait donc s’attendre à une avalanche de clichés sur l’islam, les musulmans et les Arabes. Il n’en est rien. Que raconte alors cet Américain, du fin fond de son Oregon, dans ces 700 pages qu’il a baptisées Habibi ? Craig Thompson dessine l’amour, le désir, la quête de soi et la rencontre de l’autre.
Cet auteur et illustrateur, qui connaît le Coran et la Bible sur le bout des doigts, voue une véritable passion à la calligraphie arabe et s’est sans doute nourri pendant de longs mois des récits des Mille et une nuits. Résultat, Habibi est un conte onirique avec de nombreuses références aux textes religieux, réalisé sur des planches noires et blanches qui revisitent la calligraphie et les mythes islamiques. Et ce n’est pas parce que l’actualité donne à cet ouvrage une certaine résonance qu’il est de qualité. Promis, juré.
Le traumatisme des corps
Dodola est la belle héroïne de ce roman graphique. Après un mariage forcé, elle est kidnappée par des marchands d’esclaves et vendue à un sultan. Dans sa vie de harem, Dodola a le corps meurtri. Mais si elle sait le mettre en sourdine lorsqu’elle subit les assauts de celui qui la possède, elle a plus de mal à faire taire la douleur de son cœur. L’objet de son tourment, c’est Zam, fils d’une esclave que l’héroïne recueille à l’âge de trois ans et dont elle a dû se séparer malgré elle. Le roman est chargé de scènes violentes et traumatisantes, comme ce passage où Zam devient eunuque. Le lecteur est pris dans une spirale infernale de brutalité et d’injustices. Le traitement réservé aux corps des héros est terrible, ils vont de blessures en blessures. Et c’est finalement ça le cœur de Habibi : comment survire aux traumatismes psychologiques et sexuels, ou du moins s’en accommoder. Craig Thompson n’a pas la prétention d’apporter une réponse ou un mode d’emploi, même si dans son récit l’espoir est saillant. Heureusement pour le lecteur. Il réussit assez justement à traduire la complexité des êtres et des situations. Son pinceau n’est jamais dans l’invective primaire des bourreaux et la défense naïve des victimes.
Ode à la tolérance
L’intelligence de ce roman graphique, salué au dernier Festival d’Angoulême, rendez-vous incontournable de la bande-dessinée dans l’Hexagone, tient aussi (et surtout) aux parenthèses religieuses qu’il comporte. Au milieu du cauchemar et de la violence, Craig Thompson invite Moïse, Mohamed, Ismaïl, Isaac, etc. Des figures bibliques et coraniques qu’il respecte et qu’il confronte sans jamais trancher. Des lettres hébraïques se mélangent à la calligraphie arabe, une manière pour l’auteur de livrer une ode graphique à la tolérance. Craig Thompson avoue ne pas savoir lire et écrire l’arabe, mais c’est grâce à ses amis arabophones qui ont traduit ses textes qu’il a pu reproduire la calligraphie avec un pinceau. “Pour moi, la calligraphie arabe est une rivière ininterrompue, un flot musical”, expliquait-il dans un hebdomadaire français. Avec son dernier ouvrage, l’auteur de “Blankets, manteau de neige” et d’Un Américain en balade jette un pont entre deux mondes qui ont de plus en plus de mal à s’entendre et se comprendre. Grâces lui soient rendues.
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