Enregistrer un album relève quasiment du parcours du combattant pour les artistes de la scène urbaine marocaine. Retour sur les difficultés qu’ils rencontrent tout au long de ce chemin jonché d’embûches.
“Sortir un album au Maroc est une véritable preuve de militantisme culturel. C’est quasiment un suicide financier pour les artistes, puisqu’il n’est jamais rentabilisé”, affirme Oum. La chanteuse, qui est devenue une référence du milieu musical marocain, a déjà à son actif deux opus : Lik’oum, sorti en 2009, et Sweerty, en 2012. Elle les a produits elle-même via Lofmusic, la boîte de production qu’elle a créée avec son mari en 2008. C’est certes un choix risqué, mais elle est loin d’être la seule à suivre ce modèle. Actuellement, la majorité des artistes de la nouvelle scène préfèrent s’occuper eux-mêmes de l’enregistrement et de la sortie de leur album.
Pourtant, au milieu des années 2000, la situation était différente. Plusieurs artistes et groupes qui cartonnaient à l’époque avaient été séduits par des labels comme Platinium, Sigma ou Clic Records, qui proposaient de prendre en charge la réalisation, la promotion et la distribution de leurs albums. En 2010, Maroc Telecom avait même financé l’enregistrement à Londres de l’album Nefs & Niya de Hoba Hoba Spirit. En contrepartie, les morceaux étaient disponibles en exclusivité sur le site Web de l’opérateur. Mais, depuis, les artistes, autant que les annonceurs —en pleine crise financière ces deux dernières années— ont déchanté. “Dès qu’un artiste signe avec un label, ou qu’il est sponsorisé, il perd clairement sa liberté de création, et doit faire plusieurs compromis”, explique Barry, qui parle d’expérience, puisqu’il travaille en ce moment sur un troisième album, qui sera son premier en autoproduction.
Le prix de la liberté
Alors, quel est le problème majeur qui se pose pour ces artistes qui font le choix de l’indépendance ? Trouver l’argent nécessaire pour finaliser leurs projets, alors qu’ils sont conscients à l’avance qu’ils ne gagneront jamais rien de la sortie de leurs albums. “Nous savons tous très bien que les albums ne se vendent pas. Au Maroc, le public reste attaché à Derb Ghallef et au téléchargement sur Internet”, explique Oum. Et sortir un album dans les règles de l’art, ce n’est pas donné. “Le public a tendance à l’oublier, mais il n’y a pas que les frais d’enregistrement et de mastering. Il faut prendre en considération les frais logistiques —au cas où l’album est enregistré dans une autre ville ou à l’étranger—, mais également les frais de graphisme, de photographie ou encore de pressage et d’impression si le disque est distribué physiquement et non pas seulement sur le Web”, analyse Hicham Bahou, codirecteur du festival l’Boulevard, et coproducteur du premier album du groupe punk issaoui Haoussa, dont la sortie est prévue en mai prochain. Un album, ça coûte donc cher : entre 50 000 et 500 000 dirhams, selon le style musical et la qualité sonore souhaités. En effet, un disque de hip hop ne revient pas aussi cher qu’un album de métal ou de fusion, qui nécessite plus de musiciens et plus d’arrangements.
Trouver un bon studio d’enregistrement n’est pas non plus chose évidente lorsqu’on est un artiste alternatif. La plus grande partie des infrastructures qui existent au Maroc sont spécialisées en chaâbi, en raï ou en musique orientale. “La première fois que j’ai mis les pieds dans un studio, l’ingénieur du son était complètement perdu car il ne comprenait rien au rap. Il a fini par mettre des effets affreux sur mes morceaux. Sur l’un d’eux, on aurait presque dit des arrangements de musique égyptienne”, raconte le rappeur Mobydick. “Il n’y a pas vraiment de problème de matériel d’enregistrement au Maroc. Par contre, nous sommes très en retard au niveau des métiers relatifs à ce domaine. Les ingénieurs et techniciens n’ont parfois malheureusement aucune idée du style de l’artiste qui est en face d’eux”, renchérit Hicham Bahou.
Actuellement, il n’existe dans notre pays qu’une petite poignée de studios professionnels qui s’y connaissent en rock, rap ou fusion. Mais ils restent malheureusement assez chers pour la majorité des artistes. C’est pour cela que certains préfèrent investir dans des home-studios et travailler eux-mêmes sur leurs compositions. C’est le cas de Mobydick, qui a fondé en 2008 Adghal Records, une boîte de production dont les studios sont situés chez lui. C’est là d’ailleurs qu’il a travaillé pendant deux ans sur son album L’moutchou family, l’un des opus hip hop marocains les plus réussis.
L’art pour l’art ?
Et une fois que l’artiste a surmonté tous ces obstacles et qu’il a son disque entre les mains, d’autres difficultés surgissent. Comment procéder pour promouvoir son album ? Et surtout, comment le distribuer ? C’est pourquoi, en général, les artistes produisent seulement entre 1000 et 5000 unités, qu’ils envoient à la presse, aux annonceurs et aux directeurs artistiques de festivals. Des exemplaires sont parfois mis en vente à la Fnac ou chez Virgin à moins de 50 dirhams, mais seuls quelques fans zélés les achètent.
Cependant, malgré tous ces obstacles, plusieurs artistes continuent à sortir des disques. Pourquoi ? Tout d’abord parce qu’un album, c’est surtout une carte de visite. “Pour pouvoir jouer au Maroc, et surtout à l’étranger, il faut absolument avoir des créations à présenter”, expliquent Oum et Barry. Un point essentiel dans la mesure où, chez nous, les artistes vivent principalement grâce à leurs passages sur scène. Par ailleurs, la sortie d’un album reste le meilleur moyen d’attirer l’attention des médias et faire le buzz. “Lorsque j’ai sorti mon album, je ne l’ai pas fait pour l’argent. Je l’ai fait pour mes fans et pour prouver que la musique, ce n’est pas seulement un passe-temps pour moi. C’est une véritable passion”, affirme de son côté Mobydick. Et quand on aime…
Répétitions. Mission impossible A vant d’envisager l’enregistrement d’un album, les artistes doivent tout d’abord travailler sur leurs compositions. Cela veut dire répéter régulièrement, dans un endroit adapté. Et c’est là où le bât blesse. Plusieurs groupes talentueux finissent par jeter l’éponge après plusieurs mois de galère, découragés par leurs voisins ou leurs parents, qui n’en peuvent plus de les entendre jouer dans leur salon ou leur garage. Actuellement, le seul endroit à Casablanca où les musiciens peuvent répéter dans des conditions professionnelles est le Boultek. Le Centre de musiques actuelles de l’association l’EAC-l’Boulvart permet à trente groupes de répéter chaque semaine, dans des studios équipés, pour 50 dirhams par heure. Un système qui gagnerait à être appliqué par les dizaines de Dar Chabab (maisons pour jeunes) que comptent nos villes. Cela permettrait aux groupes de la scène actuelle de sortir plus de disques et surtout de produire des albums de meilleure qualité. |
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