Dans le paysage de la presse électronique marocaine, Qandisha.ma est apparu tel un ovni, répondant aux attentes de celles qui rêvaient d’un espace libre pour faire entendre leur voix. Découverte d’un “magazWine” pas comme les autres.
Il arrive souvent que la presse se fasse le porte-parole de luttes politiques. Cependant, qu’un magazine féminin s’engage et participe à pareil combat est un fait beaucoup plus rare, surtout au Maroc. Désormais, depuis quelques mois, ce paradigme n’est plus. Qandisha est né : un magazine collaboratif féminin, “porte-voix de la femme marocaine”, selon sa fondatrice, Fedwa Misk. Sur Internet, ce “magazwine”, tel que l’appelle son équipe, suscite l’émoi. On lit, on clique, on aime, on partage sur les réseaux sociaux, on commente, on débat, on dénonce. Qandisha, c’est la petite république où les femmes intelligentes—et les autres aussi— trouvent refuge pour fuir l’injustice, les interdits et les tabous avec lesquels la société les étouffe. “Plus féminine du cerveau que du capiton”, devise du magazine féminin français Causette, aurait pu être celle de Qandisha. Les amatrices de mode, psycho-tests, recettes de cuisines et autres informations avec lesquelles on a longtemps ciblé —et attiré, il faut l’avouer— le lectorat féminin, devront passer leur chemin. Un cerveau de femme, oui ça existe et ça s’intéresse à l’actualité, à la politique et aux sujets sérieux qui remuent notre société. Si vous en doutiez, voici la démonstration par Qandisha.
Au-delà de toute pudeur
A l’origine du projet, il y a une femme. Médecin de formation et journaliste de profession, Fedwa Misk est la “qandisha en chef” de ce nouveau venu de la presse Web marocaine. “J’ai lu un article sur slate.fr qui parlait des magazines féminins qui se ressemblaient tous. Les femmes y sont toujours lisses. Partageant ce constat, j’ai voulu lancer un journal différent, qui traite de l’actualité et dont la ligne éditoriale se résume en trois points : la protection de la femme, le respect des droits de l’homme et celui des libertés individuelles”, explique-t-elle. Le 21 août 2011, le projet voit le jour. Avec 10 000 dirhams d’investissement de départ, juste assez pour financer la conception du site, Fedwa se dit : “Je n’ai rien à perdre. Au pire qandisha.ma sera un petit blog, avec seulement une vingtaine de visiteurs par jour”. Dès le lancement du magazine, l’écho de ses articles dépasse le premier cercle des collaboratrices et leurs amis. Les premiers jours drainent près de 7 000 visiteurs uniques.
Aujourd’hui, l’équipe de Qandisha est constituée d’une quarantaine de collaboratrices et collaborateurs, certains plus prolixes que d’autres. Les plumes du magazine contribuent gracieusement à alimenter le site. Dans le civil, ces contributeurs sont des journalistes, écrivains, fonctionnaires, commerciaux, instituteurs, etc. Une équipe hétéroclite qui traite de sujets tout aussi variés. Sur qandisha.ma, on cause livres, virginité, religion, droit… sous l’œil attentif de la rédactrice en chef, qui revêt la casquette de modératrice plusieurs heures par jour : “Je ne censure que les commentaires insultants et diffamatoires ainsi que les spams. Mais les attaques gratuites sont très peu nombreuses”. Fedwa nous confie que le site “subit plus d’attaques de la part de ceux qui se présentent comme des laïcs que des religieux. Des femmes voilées collaborent à Qandisha et sont très ouvertes au débat”.
De l’agora au journalisme
Sur qandisha.ma, on a très vite compris qu’il ne fallait pas compter sur Bassima Hakkaoui, l’actuelle ministre du “deuxième sexe”, pour porter haut la voix de la femme marocaine. Depuis l’affaire Amina Filali, cette jeune femme violée puis mariée à son bourreau, les articles d’indignation pullulent sur le site. Et lorsque la ministre de la Femme déclare que le mariage de la violée à son bourreau ne lui porte pas un réel préjudice, les “qandishates” lui répondent par une série de témoignages de femmes violées sous la bannière “la honte doit changer de camp”.
Libérer la parole et faire porter la voix de la femme marocaine, voilà deux missions que le site s’est données et qu’il semble bien remplir. Mais Qandisha pèche par excès d’écrits éditoriaux et par manque d’articles d’information. La faute à pas de moyens financiers. “Je travaille sur un business plan. Il nous faut de l’argent pour professionnaliser notre travail et payer des journalistes pour réaliser des enquêtes et des articles de bonne qualité”, nous confie Fedwa Misk. Qandisha a déjà reçu deux propositions de rachat, l’une émanant d’un organisme marocain et une autre étrangère. Mais, pour le moment, l’équipe veut se donner le temps de la réflexion et avoue préférer une “alliance marocaine”.
Extraits. Paroles de “qandishates” “Qandisha osait exhiber sa beauté, elle se baladait dans les rues en portant, pour tout voile, son sourire et sa grâce. Elle n’était rien d’autre qu’une femme libre qui, quand les autres osaient à peine glisser un œil craintif derrière leurs fenêtres, osait sortir la tête découverte. N’est-ce pas ce que nous faisons toutes, tous les jours ? A l’instar de Qandisha qui a tombé le voile, nous autres aussi tombons le masque”. Mounya El Aouni “Aïcha Qandisha est un esprit d’eau. Rares sont ceux parmi ses captures, succombant à ses “délices”, qui s’en sortent vivants. Parmi ces miraculés, certains perdent totalement la raison, les plus chanceux et qui n’ont pas de liens sacrés de mariage, sont condamnés au célibat, quant aux hommes mariés leurs foyers deviennent un enfer où impuissance, maladie, stérilité sont les lots de leur désastreuse aventure. Mais les vrais rescapés sont ceux qui, dès son premier appel, devinent son identité et plantent de suite un couteau en acier dans le sol (in The Nature of the Arab Ginn, Edward Westermark, 1899). Mais cette beauté vénéneuse de Aïcha Qandisha, qui attire l’homme dans les rets de sa redoutable séduction pour le mener à sa ruine et à sa perdition, n’est-ce pas d’abord celle de la femme? Cette image de Aïcha Qandisha n’est–elle pas une parabole misogyne ?[…] Le magazWine Qandisha voudrait s’inscrire dans la contribution à cette lutte féminine et œuvrer dans le sens de la restauration d’une image positive de Aïcha Qandisha”. Souad Debbagh |
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