Télévision. L’histoire de M’siou et Madame

Madame M’safra a fait un carton et des mécontents. L’émission, diffusée sur 2M il y a deux mois, a surtout été une première au Maroc : des hommes et des femmes se sont livrés à des caméras. Retour sur l’histoire d’un succès.

Les hommes marocains savent passer la serpillière, torcher leurs bambins et verser une larme quand leur douce moitié leur manque. Et si vous en doutiez, l’émission Madame M’safra est là pour vous le démontrer. Sur vos petits écrans, pendant un mois, les réalisateurs Zakia Tahiri et Ahmed Bouchaâla, ont invité des millions de téléspectateurs à découvrir le quotidien de dix familles du quartier populaire Hay Moulay Rachid à Casablanca. Les équipes de l’émission ont suivi ces personnages pendant 8 jours et en ont récolté plus de 400 heures de rush. “Ce n’est pas de la téléréalité, mais plutôt du docu-réalité”, tient à préciser la réalisatrice. Et d’ajouter : “On n’était pas à la recherche de sensationnel, mais juste à être dans le quotidien le plus simple des gens”. Le concept de Madame M’safra (Madame est en voyage) est simple : les femmes passent une semaine de vacances sous le soleil marrakchi, tandis que les hommes se dévouent pour s’occuper des enfants et des taches ménagères. Après des débuts chaotiques, les hommes prennent le pli et réservent d’agréables surprises à ceux qui ne voyaient suinter que du machisme chez le mâle marocain.

Succès télé
Le téléspectateur a pu suivre pendant quatre épisodes de 52 minutes l’incroyable aventure de ces “Marocains ordinaires”. Le programme a été créé par la chaîne britannique BBC (sous le nom “The week the women went”), et il a été adapté à la sauce marocaine. “On n’a pas fait un copié-collé du programme anglais. On se l’est approprié, on a acheté l’idée mais rien ne nous a été imposé. Du côté de la BBC, on nous a dit que c’était la meilleure adaptation faite dans le monde”, nous confie Zakia Tahiri. Sur 2M, diffuseur de l’émission, c’est le carton. Madame M’safra affiche des scores d’audimat ramadaniens, avec une moyenne de 5 millions de téléspectateurs par épisode. Mais Madame M’safra déclenche aussi l’ire de la frange conservatrice de la société. L’émission est accusée de porter “atteinte aux valeurs de la famille marocaine”, comme l’explique un groupe Facebook qui compte plusieurs centaines d’internautes moralisateurs.

Polémique
“Dans cette émission, on n’a pas vu un seul homme prier, invoquer Dieu ou lire le Coran”, s’époumone un imam sur une vidéo YouTube. Pendant près d’une demi-heure, l’homme de foi essaye de démontrer en quoi Madame M’safra est une insulte aux mœurs des Marocains. A la fin de la vidéo, il est impossible de retenir un seul argument. Il n’y en a pas. Par contre, le prêche est riche en phrases qui feraient bien rire si elles n’étaient gorgées d’inepties et de xénophobie. “Ce que font ces Marocaines, c’est ce que font les koufar (impies) en Europe. Mais attention, en Europe, la famille c’est une femme et un chien, il n’y a pas d’hommes et les enfants quittent tous leurs parents pour ensuite les enfermer dans une maison de retraite”, assène l’imam dans son prêche. Ce religieux n’est pas le seul illuminé à s’élever contre l’émission. Sur la Toile fleurissent des vidéos où les deux réalisateurs – mariés dans le civil – sont traités de tous les noms, qualifiés de “juifs” ou de “françaouias et algériens”. Sur le groupe Facebook “Tous contre Madame M’safra”, certains se demandent : “Les hommes de l’émission savent-ils avec qui leur femme était ?”, d’autres s’improvisent analystes de la “déchéance marocaine” et expliquent que “la Moudawana est à l’origine de cette dépravation”. A croire que certains, de plus en plus nombreux, n’en finissent pas dans leur dégringolade réactionnaire et puritaine.

La découverte du “je”
L’émission dérange, car elle tord le coup aux préjugés. “Les hommes ont enfin pu dire que leur femme leur manque, son odeur, son sourire. On est au-delà de l’histoire des serpillères”, souligne Zakia Tahiri. Pour certains, il était peut-être difficile d’imaginer que loin des beaux quartiers, dans les couches populaires de la métropole, on parlait amour avec autant de naturel. Dans Madame M’safra, on voit des hommes mettre toute leur énergie à composer une chanson pour leur femme, ou à pleurer son absence. “Très vite, les familles se sont livrées. Les gens ont besoin de parler et d’être écoutés”, explique Ahmed Bouchaâla.
Dans le dernier épisode, un des hommes de l’émission confie son désarroi à la caméra. Insulté par certains de ses voisins parce qu’il participe au programme télé, il revendique le droit de faire ses propres choix. Les choix d’un individu libre et indépendant. “Malgré les polémiques, on garde de très bonnes relations avec les familles. On ne les a pas trahies. Ils assument ce qu’ils disent et ont beaucoup d’humour”, affirment les deux réalisateurs qui ont pris fait et cause pour ces familles. Et d’humour, il est beaucoup question dans Madame M’safra. Dans le quatrième épisode, un des hommes est démasqué : lorsque sa femme est partie, il a fait venir sa maman qu’il a planquée loin des regards de la caméra. Il s’est bien sûr fait prendre, au grand bonheur des téléspectateurs. La vie d’un homme sans une femme est bien difficile, on en sort convaincu.

 

Bios. Jamais l’un sans l’autre
Elle a une voix masculine, grave, et lui une voix douce et posée. Zakia Tahiri et Ahmed Bouchaâla forment dans la vie comme dans le cinéma, une équipe complémentaire et soudée. Zakia, Marocaine, est entrée dans le cinéma par la porte des comédiens. Elle a entre autres joué dans Une porte sur le ciel, de Farida Belyazid, et A la recherche du mari de ma femme de Mohamed Abderrahmane Tazi. En 1993, Zakia rencontre Ahmed, producteur français d’origine algérienne. Ils co-écrivent de nombreux scénarios et réalisent plusieurs films : Origine contrôlée, Pour l’amour de Dieu et Belleville tour, diffusés respectivement sur les chaînes françaises Canal+, Arte et France 2. Au Maroc, Zakia réalise Number One, qui est produit par Ahmed. Le film fait un carton dans les salles et aborde un sujet cher à Zakia : l’égalité homme-femme.

 

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