La directrice du FIDADOC, Nouzha Drissi, a perdu la vie dimanche 4 novembre dans un accident de la circulation à Casablanca. Elle laisse en deuil le monde du documentaire.
“Elle avait des étincelles dans les yeux”, se souviennent ses amis, effondrés par la brutale disparition de Nouzha Drissi. Indépendante, courageuse, elle avait un engagement profond pour faire partager sa passion du documentaire et donner aux Marocains cette indispensable ouverture sur le monde.
La voix des minorités
Nouzha Drissi est née en 1965 et, après des études au lycée Descartes, s’envole pour Paris où elle devient, en 1996, productrice de documentaires. Elle dirige pendant cinq ans Grain de Sable, avant de créer TACT productions, qui se donne pour mission de faire “des films pour traduire le monde que nous vivons, pour dire, exprimer et explorer nos sociétés, dans leurs diversités et leurs complexités”. Elle travaille avec les plus grands : “J’ai été sidéré qu’une Marocaine ait produit, avec un vrai regard éditorial, Jean-Michel Carré, le pape du documentaire social”, se souvient Reda Benjelloun, directeur des magazines d’information et du documentaire à 2M. Ses films, une cinquantaine, passent sur Arte, France 5 et d’autres chaînes en Europe, sont sélectionnés et primés dans des festivals internationaux, et témoignent d’une ouverture exceptionnelle à l’autre. Elle emmène ses spectateurs au Zimbabwe, en Abkhazie, à Hong-Kong et évoque tous les débats d’actualité : pouvoir de l’industrie et de la finance, rôle des femmes dans la démocratie… Chaque fois, elle donne à voir et à réfléchir sur les histoires de ceux qui vivent dans les marges : handicapés, demandeurs d’asile, skinheads… “Elle s’attaquait aux choses les plus compliquées, avec un niveau artistique et intellectuel très élevé”, affirme Marianne Dumoulin, productrice à JBA (Paris). Pour Vincent Melilli, directeur de l’ESAV de Marrakech, “elle était dans la lignée de Jean Rouch, d’un cinéma qui témoigne de l’expérience plus qu’il ne transmet une information. Elle faisait la différence entre le documentaire et le reportage”. “Elle faisait des films d’humanité, pour remettre l’Homme au centre des préoccupations, avec un regard universel. Elle ne faisait pas de grand discours, elle faisait. Avec une pratique d’artisan”, résume Laurent Bocahut, producteur aux Films d’un jour (Paris). Alex Szalat, directeur de l’Unité Actualité, Société et Géopolitique à Arte-France, l’a retrouvée aux quatre coins du monde, cherchant des films.
Eveil citoyen
En 2007, Nouzha Drissi rentre au Maroc. “Elle a quitté un confort matériel et professionnel en Europe, parce qu’elle avait un véritable engagement de veille citoyenne”, rappelle Reda Benjelloun. Elle lance le festival du documentaire à Agadir, le FIDADOC, pour ouvrir des espaces de débat dans cette région excentrée, et se bat pour instaurer un dialogue Sud-Nord et Sud-Sud, avec l’Amérique Latine, l’Inde… Et, surtout, elle insiste sur l’aspect éducatif : elle fait une programmation spéciale pour les étudiants et des projections en plein air dans les quartiers, lance des ateliers et des rencontres professionnelles pour les lauréats d’écoles de cinéma. “Elle donnait des outils aux jeunes, les faisait rencontrer des professionnels, partageait son réseau international”, précise Adil Semmar, programmateur au FIDADOC. En 3 éditions, le FIDADOC acquiert une reconnaissance internationale. “Elle a fait reconnaître le documentaire. Aujourd’hui, les autres festivals marocains lui ouvrent une section, et cette culture commence à se développer, notamment dans les films d’école”, rappelle Hicham Falah, coordinateur du FIDADOC. Un genre “qui a eu du mal à trouver sa place, vu l’histoire de la censure”, explique Vincent Melilli, en martelant : “L’enjeu essentiel, c’est la démocratisation”. Malgré cela, c’est un combat perpétuel pour trouver des financements.
La 4ème édition doit se tenir du 27 février au 3 mars 2012, Nouzha Drissi était sur le point de boucler la sélection, après avoir visionné près de 600 films inscrits. Elle rêvait de créer un festival international de documentaires ambulant, qui circulerait toute l’année dans différentes régions. Même sous le choc, son équipe est unanime : le meilleur hommage qu’on peut lui rendre, c’est que le FIDADOC ne s’arrête pas. Nouzha Drissi en était l’âme, mais elle a donné les outils pour continuer…
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