Le Maghreb des Livres a eu 18 ans les 11 et 12 février à Paris et continue à être le grand rendez-vous de la production éditoriale maghrébine.
Ils étaient nombreux à braver le grand froid, à dépasser la tentation de la patinoire sur l’esplanade de l’Hôtel de Ville de Paris, à ignorer les immenses affiches annonçant les expositions de Doisneau et de Sempé, à insister face aux vigiles en grève qui les laissaient entrer au compte-gouttes. Ils se sont engouffrés, par une petite porte sans signalétique, dans les fastueux salons, pour souffler la 18ème bougie du Maghreb des Livres. Car c’est un rendez-vous désormais installé dans la vie parisienne. Près de 4500 personnes sont venues, samedi 11 et dimanche 12 février, découvrir les derniers livres des auteurs venus du Maroc, d’Algérie, de Tunisie ou de France, se les faire dédicacer, assister à leurs cafés littéraires ou aux tables rondes où ils participaient. Philippe Touron, directeur de la librairie Le Divan, qui fournit les livres au Salon depuis cinq ans, se frotte les mains. “C’est une bonne année. La qualité de l’offre, de la fabrication et du suivi éditorial est en hausse. On acquiert plus de connaissance et d’expertise sur ce fond”.
Un salon pour tous
Dans la grande galerie, éclatante sous la lumière des lustres et les ors de la république, une demi-douzaine de grandes tables présentent un aperçu de toutes les disciplines, littérature, arts, histoire, BD… publiées chez tous les éditeurs de la place. “3000 titres, 9000 volumes, plus de 3 tonnes de livres, 14 personnes en permanence”, martèle Philippe Touron, content de cette opération lucrative, qui suppose un travail considérable en amont et en aval. Les livres d’écrivains à succès comme Fouad Laroui, Yasmina Khadra ou Boualem Sansal côtoient le dernier essai de Ali Amar et Jean-Pierre Tuquoi, les rééditions des œuvres de François Maspéro ou de Frantz Fanon, des premiers romans comme celui de Sabri Louatah, Les Sauvages (Flammarion).
Le Maghreb des Livres donne à voir d’un seul coup des livres qui ne sont pas toujours tous en librairie. “C’est le Salon le plus sympathique et le plus chaleureux auquel je participe”, insiste Philippe Touron, pour qui il ne s’agit surtout pas d’un événement à base identitaire. “Nous ne faisons pas de militantisme ici car, en France, une personne sur dix est concernée dans sa vie par le Maghreb. Et que des gens qui n’ont pas forcément d’intérêt pour le Maghreb se retrouvent ici et achètent ces livres est une bonne nouvelle pour la littérature”. Des peintres et calligraphes ont eu l’occasion de partager leur art avec les amateurs, et les fans de BD ont pu se faire dédicacer les albums de Gyps, Dahmani et Slim. Au fond de la galerie, la journaliste Catherine Pont-Humbert recevait en boucle, tous les quarts d’heure, des écrivains comme Fadwa Islah, Tahar Bekri, Smaïn, Sapho, Gisèle Halimi ou Djilali Bencheikh, pour présenter leurs livres lors de conversations conviviales.
Le Maroc à l’honneur
Sur le côté, une longue table propose les livres édités au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Un record cette année, avec 1500 titres, dont 300 venus du Maroc. Roger Tavernier, directeur des éditions Zellige, nous guide : “Il y a quelques livres liés au Printemps arabe. En Tunisie il y a eu beaucoup de livres publiés sur Bourguiba. Ce n’est pas exactement d’actualité, mais la parole s’est libérée. Il y a eu aussi quelques livres sur Ben Ali. Au Maroc et en Algérie, il n’y a pas vraiment eu de Printemps arabe… On a quelques livres sur le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, écrits autant par des auteurs français qu’algériens”. L’ensemble paraît pauvre à côté de la masse d’ouvrages édités en France, mais le Maghreb des Livres est un reflet fidèle des réalités éditoriales.
Cette année, les lettres marocaines étaient à l’honneur. Manque de chance, le Maghreb des Livres – dont la date était fixée depuis plus de six mois – coïncidait avec le Salon international de l’édition et du livre de Casablanca. Très peu d’auteurs du Maroc étaient présents. On y a aperçu Sapho, Kebir Mustapha Ammi, Rita El Khayat ou Sonia Terrab, mais la plupart des habitués, comme Mohamed Nedali, Abdellatif Laâbi, Mohamed Hmoudane n’y étaient pas. La présence des lettres algériennes était plus marquée, au point que Roger Tavernier estime qu’“il aurait été plus judicieux de mettre à l’honneur l’Algérie pour le cinquantenaire de son indépendance”. L’an dernier, la Tunisie étant, par le hasard d’une rotation instaurée depuis 2001, à l’honneur, l’atmosphère était à l’euphorie de la Révolution de jasmin. Cette année, elle est bien retombée. Pour Georges Morin, président de l’association Coup de Soleil qui a initié l’événement : “On a fêté les révoltes arabes dans la joie avec la Tunisie et dans les pleurs cette année avec la Syrie, mais, comme dit Jean-Pierre Filiu, “le mur de Berlin est tombé dans le monde arabe et les pouvoirs qui tirent et tuent ont peur””.
Hommages en série
Parmi les temps forts de ces deux jours, un hommage a été rendu à Marie-Louise Belarbi pour son activisme au service du livre à travers la librairie Carrefour des Livres et Tarik éditions. “C’est grâce à Marie-Louise que le Maghreb des Livres existe”, a rappelé Georges Morin. Maurice Buttin, avocat de la famille Ben Barka, a salué son courage, et Fouad Laroui a confié qu’elle lui avait redonné l’espoir dans le Maroc. “Elle a fait plus pour la culture et le livre que le ministère”, a clamé Driss Bouissef Rekab. “Ce n’était pas difficile !”, a rétorqué Zakia Daoud. Deux autres hommages ont captivé l’auditoire : celui à Frantz Fanon, avec sa biographe Alice Cherki, et celui aux éditeurs engagés, comme François Maspéro ou Jérôme Lindon (Les Editions de Minuit), qui ont eu le courage de publier des ouvrages dénonçant la torture en Algérie pendant la guerre. Enfin, le prix Beur FM a été remis à une toute jeune écrivaine d’origine marocaine, Kaoutar Harchi, pour son deuxième roman, le terrible L’Ampleur du désastre (Actes Sud). A 23 ans, elle enseigne à la Sorbonne et prépare une thèse sur Kateb Yacine. Son travail, dur et profond, s’inscrit dans une perspective universelle : “Les frontières qui semblent nous séparer sont illusoires car, au fond, la souffrance et la douleur sont si fortes qu’elles font de nous des êtres proches, destinés à nous retrouver un jour. Et la littérature est le lieu de ces retrouvailles”.
Et surtout, le Maghreb des Livres est l’une des rares occasions pour les professionnels maghrébins du livre de se rencontrer. L’espace café ne désemplissait pas, et l’on peinait à trouver une table pour discuter des prochaines éditions, de l’organisation de telle rencontre ou de tel festival littéraire. Pour Soufiane Hadjadj, directeur des éditions Barzakh d’Alger, “c’est l’instant T de l’actualité éditoriale. Le fait qu’un pays soit à l’honneur n’a pas d’incidence”. “C’est ici qu’on a l’occasion de rencontrer les collègues maghrébins”, renchérit Karim Ben Smail, directeur de Cérès éditions (Tunis). Tous regrettent qu’une telle rencontre n’ait pas encore eu lieu sur la rive sud de la Méditerranée.
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