Une amie de Zakaria Boualem croisée au tribunal de Aïn Sebaâ lui a posé une question difficile. Elle souhaitait connaître la raison de la présence de barrières nombreuses à l’entrée de la noble bâtisse. La sécurité, sans doute, a répondu le Guercifi blasé. Oui, mais ces barrières créent un goulot d’étranglement sans contrôle
particulier, a ensuite répliqué l’insolente. Bah, c’est pareil au stade, à la wilaya, à l’aéroport… On crée de grandes portes et ensuite on les ferme pour forcer les gens “normaux” à passer par des portes plus petites, ou alors on met des barrières, c’est une autre option pour obtenir le même résultat, celui de confiner un peu les gens… Combien de boîtes prestigieuses construisent des sièges pharaoniques avec des entrées dignes des marches de Cannes pour demander à leurs employés de faire le tour et de passer par un sas lugubre ? Le constat ayant été entériné par les deux interlocuteurs, reste la question : pourquoi ?
Oui, c’est à vous que je pose la question, Zakaria Boualem ne peut pas tout faire tout seul… Et s’il vous plaît, ne répondez pas qu’il s’agit de sécurité, n’importe qui peut vérifier par lui même que ces goulots d’étranglement créent au moins autant de problèmes qu’ils n’en résolvent. Non, cette passion immodérée pour les barrières est forcément irrationnelle. Zakaria Boualem a l’impression que cette création collective est une sorte de réflexe. Il faut contenir les Marocains, sinon ils ne connaissent pas leurs limites. C’est un défaut bien connu chez eux. La preuve, au moment où la nouvelle Constitution leur accorde de nouveaux droits, ils en profitent pour en demander encore plus. La barrière comme matérialisation des limites à ne pas dépasser, comme réduction physique des degrés de liberté, Zakaria Boualem vous laisse réfléchir…
Le Morocco Mall, de son côté, ne laisse aucune place à l’interprétation, il propose le menu complet. Barrière d’étranglement à l’entrée, filtrage des gueux ou supposés gueux et pancarte fièrement affichée à
l’entrée du temple : “La direction du mall fait autorité dans la validation des tenues vestimentaires”. Cette phrase est bien entendu formidable. Notez le choix des termes “direction”, “autorité” et “validation”, qui relèvent plus d’un ministère de l’Intérieur que d’un lieu commercial, et aussi l’absence de toute formule de politesse pour adoucir le message. Walou. La direction, donc, doit “valider” nos tenues. Toi, tu t’habilles et nous on valide.
La prochaine étape, c’est la webcam à la sortie de ton domicile. “Montre-moi comment tu es habillé…tourne-toi, c’est bon, tu peux venir… Mais je ne vais pas au Morocco Mall… C’est pas grave, nous on valide en général, des fois que tu changerais d’avis…”. On imagine sans peine les dirigeants de ce mall s’indigner entre eux : mais on a pas construit tout ça pour que n’importe qui puisse rentrer et déranger les vrais clients, quand même ! Merci au correcteur d’orthographe de laisser cette dernière phrase sans retouche, et même celle qui lui demande de ne pas retoucher sur sa lancée. Le problème, ce n’est pas le fait même d’exercer une surveillance à l’entrée d’un lieu public, c’est la brutalité du concept affiché et la profonde incompétence qui accompagne sa mise en œuvre. Tout le monde sait qu’il y a des méthodes pour repérer les gens louches, des techniques pour évacuer ceux qui créent des problèmes. Mais elles nécessitent un savoir-faire, du tact, de la discrétion, un travail sur l’ensemble de la surface surveillée et non pas sur la seule entrée. C’est un peu plus compliqué que de placer un molosse à l’entrée à qui on aura expliqué qu’il faut laisser entrer uniquement les gens “n9iyines”, lui laissant le loisir de l’interprétation de cette notion floue – qu’il reportera intégralement sur la longueur des cheveux. Bref, comme souvent, ce qui fait réellement peur, c’est juste l’incompétence. Et merci.