Médéric Turay : "Je sais que Sa majesté a beaucoup de goût en matière d'art"

L'artiste ivoirien Médéric Turay expose à travers "African Dreamer" son "amour" pour le Maroc et sa passion pour les masques ancestraux africains.

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Médéric Turay. © DR

Casquette vissée sur la tête, chaînes et bagues en or façon rap game et lunettes de soleil, Médéric Turay arrive avec un léger retard à la cafeteria de la Galerie 38 où il exposera « African Dreamer » dès le 7 décembre.

Pluridisciplinaire, l’artiste ivoirien de 39 ans au goût immodéré pour les couleurs et les masques africains donnera à voir de nouvelles créations entre sculptures (dont une monumentale) et tableaux ultraflashy, mais aussi des créations plus épurées comme les tableaux de figures monochromes perlées. Rencontre.

Telquel: Vous êtes de retour avec une nouvelle exposition « African Dreamer » à la Galerie 38 de Casablanca, un an après votre dernière exposition à la galerie BCK de Marrakech. Qu’est-ce qui a changé entre les deux?

Médéric Turay : Pour cette nouvelle exposition, j’ai joué sur une nouvelle esthétique et j’ai mis l’accent sur mon engagement politique. Je me considère comme un « African dreamer », car je crois que l’Afrique peut devenir un rêve pour les générations futures. Et j’espère qu’un jour nos jeunes arrêteront de rêver d’Amérique.

Je sais que ce n’est pas facile et que nos espoirs et rêves sont généralement étouffés par les dysfonctionnements de notre continent, mais il faut y croire. C’est un éveil indispensable pour moi et c’est le message que véhicule mon exposition. C’est à mi-chemin entre le coup de cœur et le coup de gueule.

Vous vous rêvez en Martin Luther King contemporain?

Je pense que tout le monde a un côté Martin Luther King, car en chacun de nous, il y a l’espoir de régler nos problèmes structurels et d’apporter des changements significatifs… Je me pose constamment la question de savoir comment je pourrais à ma manière contribuer au changement en Afrique. Et comme l’art est un bon vecteur de communication, cette question prend une dimension importante pour moi.

Lost paradise, Médéric Turay, 2017. © MT / Galerie 38
Lost paradise, Médéric Turay, 2017. © MT / Galerie 38

 

 

 

 

 

 

 

 

Au Maroc, vous avez aussi pris part à la manifestation « L’Afrique en Capitale » de Rabat où vous avez recouvert le tramway et les trains de vos œuvres, mais aussi les murs du Musée d’art moderne et contemporain. Qui a fait appel à vous et comment s’est déroulée cette collaboration ?

J’ai eu la chance que Mehdi Qotbi ait eu un coup de cœur pour mon travail. Et avec la galerie 38, nous avons convenu du projet. J’ai trouvé l’idée originale d’investir la ville et ses transports en commun. Ça donne un nouvel esprit à notre continent. Et c’est toujours agréable d’être au plus près du public. Ça m’a permis de rencontrer des personnes et des artistes extraordinaires.

Qu’est-ce qui vous a poussé à penser au Maroc comme espace et laboratoire de travail?

C’est d’abord grâce à mon épouse qui poursuivait ses études ici que j’ai découvert le Maroc. Et on peut dire que je suis tombé amoureux de ce pays. J’ai aussi rencontré plusieurs personnalités du milieu de l’art à Marrakech et Tanger.

Qui par exemple?

Je ne veux pas citer de noms pour ne froisser personne, mais par exemple à Tanger j’ai rencontré feu Pierre Berger qui a beaucoup aimé mon travail. On devait se revoir, mais bon le destin en a décidé autrement.

Le déclic qui a fait que j’ai décidé de travailler ici c’est que je me suis senti comme chez moi. C’est une sensation qui m’arrive rarement quand je voyage, et Dieu sait combien j’ai baroudé. Historiquement le nombre de prestigieux d’artistes qui ont fait escale au Maroc est assez incroyable. Je me suis dit: pourquoi ne pas faire partie aussi de cette histoire?

Sans titre, Médéric Turay, 2017. © MT / Galerie 38
Sans titre, Médéric Turay, 2017. © MT / Galerie 38

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le roi est un passionné d’art, il a une collection importante d’artistes africains. Pouvez-vous confirmer qu’il a déjà acquis une de vos œuvres?

Je sais que Sa Majesté a beaucoup de goût en matière d’art et donc je ne m’inquiète pas, je sais que c’est faisable si ce n’est déjà fait…

Vous cultivez le mystère, mais c’est mentionné sur votre site…

J’ai envie de mettre cette question entre parenthèses (rires).

La prestigieuse galerie Saatchi a aussi acquis quelques-unes de vos oeuvres. Cela a-t-il boosté votre carrière à l’international?

Ils se sont intéressés à mon travail après que j’ai gagné un concours de jeunes artistes africains. Juste après j’ai collaboré avec la galerie londonienne Sulger Buel Lovell. Et depuis le temps, ma cote a grimpé. Et à y voir de plus près, j’ai envie de dire que le marché de l’art est une illusion, il s’agit plutôt de villages d’art…

Et combien vaut aujourd’hui une œuvre de Médéric Turay ?

Un tableau de 1x1m vaut aujourd’hui 5.000 euros, car je n’ai pas envie d’être inaccessible. Je tends à ce que le public et les collectionneurs adhèrent à mon art et à son universalité. Et je n’ai surtout pas envie d’avoir un rapport mercantile avec eux.

Le café est un des matériaux les plus présents dans votre travail. Est-ce un hommage à la Côte d’Ivoire, cinquième exportateur africain?

Nous sommes producteurs de café et c’était naturel pour moi de travailler avec ce produit. J’ai pris plaisir à faire des expérimentations avec cette graine et à la marier avec d’autres matériaux et peintures.

Sans titre, Médéric Turay, 2017. © MT / Galerie 38
Sans titre, Médéric Turay, 2017. © MT / Galerie 38

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vos oeuvres rappellent celles de Jean Michel Basquiat. Que représente-t-il pour vous ?

On me parle souvent de Basquiat, un artiste que j’aime beaucoup, mais je crois que nous sommes assez différents. Basquiat a réussi à réinventer l’art africain, mais j’estime que je suis à sa source. Les rappels aux masques ancestraux dans son travail et dans le mien trouvent leur origine dans mes racines. Il se trouve jusque que Jean Michel avait une plateforme occidentale grâce à laquelle il a pu briller…

Et parmi les artistes africains, quel est celui qui vous inspire ?

Les artisans et artistes anonymes confectionneurs de masques africains sont mon ultime inspiration. Ils ont inspiré des artistes notables connus de tous, mais malheureusement personne ne les connaît. Et je me donne pour mission d’être le vecteur de leur art ancestral.

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