Veit Helmer, réalisateur : “Presque tout est devenu trop ‘télévision’ dans le cinéma”

Lors de la troisième édition du Festival international du cinéma indépendant de Casablanca (FICIC), organisé du 19 avril au 25 avril, le réalisateur, scénariste et producteur allemand Veit Helmer a présenté son dernier film muet, “Gondola”. Avant de partir à Essaouira, le réalisateur a partagé pendant quelques instants son savoir-faire et sa vision non conventionnelle du cinéma.

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Le réalisateur allemand Veit Helmer ("Gondola", 2024) au Festival du film indépendant de Casablanca. Crédit: DR

Les films de Veit Helmer, comme Tuvalu, Absurdistan, Bra et son dernier Gondola, donnent libre cours à l’audace et à l’extériorisation d’un univers émotionnel et humain qui n’a pas besoin de mots pour se raconter ni s’expliquer.

Le spectateur est transporté par les voyages mis en scène dans ses films, avec liberté, légèreté et une apparente simplicité qui garde comme trésor la vie même, telle qu’elle peut être quand elle est scrutée avec attention et espoir.

Gondola est un film muet, qui prend pour décor les montagnes de Géorgie dans lesquelles un téléphérique relie un village à une petite ville dans la vallée. Deux jeunes femmes, Iva et Nino, y sont employées et leurs cabines se croisent une fois toutes les demi-heures, créant à chaque fois un moment de bonheur et de fête.

TelQuel : Vous donnez une importance cruciale à l’image dans vos films. Il n’y a pas de dialogues, pas de paroles. Le spectateur fait un voyage exclusivement visuel. L’œil du spectateur devient alors un peu comme une caméra et ne s’attarde pas sur les textes ou les sous-titres. Pourquoi ?

Veit Helmer : Pour moi, la force du cinéma, ce sont les images. À partir du moment où les acteurs parlent, ça laisse moins de place pour les images. Ça devient de la télévision. Raconter les histoires avec les images, c’est vraiment le sens du cinéma. C’est un travail dur, mais je l’adore. Quand c’est réussi, c’est un petit triomphe pour moi.

Les gestes et la communication non verbale émanent-ils naturellement des acteurs, ou bien il y a aussi un jeu théâtral ? Comment travaillez-vous avec eux ?

“Lorsque quelqu’un a des sentiments, on peut le voir dans ses yeux”

Veit Helmer

Parfois, les acteurs pensent qu’ils doivent faire beaucoup de grimaces quand il n’y a pas de dialogues pour exprimer leurs sentiments, mais c’est faux. Lorsque quelqu’un a des sentiments, on peut le voir dans ses yeux. En fait, il ne faut pas faire de théâtre au cinéma : la caméra est un instrument très sensible, qui transmet beaucoup.

Vous travaillez souvent avec les peuples slaves. Trouvez-vous qu’il y a une magie, un surréalisme ou un “réalisme magique” dans ces terres ?

Dans mes recherches de lieux de tournage, je suis allé loin de mon pays. Je viens de Berlin. Mon premier long-métrage était filmé en Bulgarie. J’ai tourné d’autres films dans le Caucase, en Azerbaïdjan et en Géorgie, notamment pour Gondola.

Là-bas, il y a des cinéastes très forts. J’ai trouvé des équipes bien rodées. Quand je trouve quelqu’un avec qui je suis ravi de travailler, je le prends pour le prochain projet. Il y a aussi beaucoup de lieux de tournage qui ne sont pas encore montrés au cinéma, et j’adore trouver ces “trésors” pour moi et pour les spectateurs.

Vous ne trouvez pas ces “trésors” en Allemagne ?

Je suis en train de finir un nouveau film pour les enfants. Il est tourné 100% en Allemagne, à Berlin et dans les régions autour de la ville. Ça, c’est l’autre côté de mon travail, très fou. Pour les enfants, je fais d’autres expérimentations. Je travaille avec beaucoup d’animaux. Les enfants aiment voir les animaux évoluer, ils trouvent ça très drôle.

Au moment du casting des acteurs, que cherchez-vous dans leur visage et leur jeu ?

“Un acteur qui risque peut se tromper, mais peut surtout réussir. Un acteur qui ne risque jamais ne peut rien faire”

Veit Helmer

Le casting est le travail le plus important. Quand je trouve les bons acteurs, la mise en scène devient vraiment facile, et je préfère avoir des acteurs qui me surprennent, qui essaient de faire quelque chose, qui risquent. Un acteur qui risque peut se tromper, mais peut surtout réussir. Un acteur qui ne risque jamais ne peut rien faire.

Cherchez-vous dans votre cinéma la “pureté” et la naturalité de l’enfant ? Est-ce que ça vient de votre enfance, cette envie de magie dans la vie ?

Comme le réalisateur français Leos Carax (connu pour ses films mêlant bizarrerie et tragédie, ndlr) l’a souligné lors de sa masterclass pendant le festival, “le cinéma c’est aussi un jeu, et chaque génération invente son jeu”. Moi, j’ai grandi avec les films de Charlie Chaplin et Jacques Tati. J’ai trouvé quelque chose dans ce cinéma qui s’est perdu après, qu’on ne retrouve pas dans le cinéma d’aujourd’hui.

Presque tout est devenu trop “télévision” pour moi. Je cherche dans mon travail à créer quelque chose de simplifié. La simplicité n’est en fait pas quelque chose de simple, c’est quelque chose de difficile à faire.

Pourquoi y a-t-il tellement de personnes seules, isolées, qui n’arrivent pas à communiquer dans ce monde, comme si elles étaient dans des “petites boules de cristal” ?

Pour moi, c’est un peu le lien entre tous mes films, je raconte des histoires de gens seuls, solitaires, qui dans la solitude essaient de contacter les autres, de se rapprocher. Peut-être que c’est un peu la question centrale de la vie, la communication entre les humains.

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