Kamal Hachkar: une certaine idée de l’amazighité

De long métrage en documentaire, l’ex-prof d’histoire, issu de l’immigration, continue de questionner la mémoire des siens sur un passé fantasmé, à travers le prisme d’une amazighité jadis heureuse.

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Crédit: Zakaria Ait Wakrim
Crédit: Zakaria Ait Wakrim

Le dimanche 5 février, à 21h30, 2M diffusait, dans la case “Des histoires et des hommes”, le second opus de sa nouvelle série documentaire consacrée à “L’amour au Maroc”. Après Shakespeare au Maroc de Sonia Terrab, c’était au tour de Tassanou tayrinou (Mon foie, mon amour) de Kamal Hachkar. Les deux docus sont de francs succès, aussi bien auprès du grand public que de l’élite culturelle. C’est frais, c’est vrai, c’est à la fois moderne et ancré dans la réalité des gens. De la télévision éclairante, parlante, touchante, tout en étant divertissante, comme on en voit peu sous nos cieux. Mais si Sonia Terrab s’est attachée à décrire une réalité urbaine, sondant sur le sujet la jeunesse casablancaise, Kamal Hachkar, lui, s’en est allé balader sa caméra, dans un réjouissant road-movie, du côté du sud-est du pays, en territoire amazigh, son lieu d’ancrage spirituel et historique, plus ou moins fantasmé, lui l’enfant d’immigrés déraciné, le citoyen du monde, comme il aime à se définir.

Du tachelhit en prime time

Tassanou tayrinou a enregistré 1,3 million de téléspectateurs, alors même que le film a été diffusé quasi entièrement en tachelhit, voix off comprise, sous-titré en français — une première à la télévision marocaine, en prime time qui plus est. Au grand étonnement de beaucoup, la voix off est celle de Hachkar lui-même ! “C’était une volonté de la chaîne. Je n’y aurais jamais songé de moi-même, avec mon tachelhit rudimentaire. J’ai été coaché, évidemment. J’ai accepté pour le symbole. Ça a épaté mon entourage. J’ai été touché aux larmes par la réaction de ma grand-mère, qui figure dans le film, d’ailleurs”, explique-t-il. Après l’avoir vu, en compagnie de vingt personnes, dans sa maison à Tinghir, cette dernière s’est fait filmer en chantant une vieille rengaine traditionnelle parlant d’amour qu’elle lui a fait poster pour lui exprimer toute sa fierté. “Un simple documentaire comme celui-ci suffit à rendre un peu de la dignité, à ce Maroc-là. Il est temps pour nous d’opérer une véritable reconnaissance de notre culture populaire orale. À tous les niveaux, en commençant par l’enseignement”, affirme Kamal Hachkar, qui insiste particulièrement sur le feed-back exceptionnel qu’il a reçu de la diaspora marocaine : celle installée en France et en Belgique, évidemment, qui capte 2M par satellite, mais également au Québec, où une radio communautaire en a parlé, donnant l’heure du replay.

Une poétesse-courtisane pour fil conducteur

De Meknès à Tinghir, en passant par Demnate, Imilchil, Megdaz ou Tindjad, le réalisateur a été questionner un large échantillon de personnes sur leur conception de l’amour — avec comme fil conducteur, les poèmes de Mririda N’Ait Attik, la fameuse et néanmoins mystérieuse courtisane poétesse qui a vécu dans les années 1920, que les quelques rares avertis connaissent à travers son recueil de poèmes traduits, à cette époque, par René Euloge, un instituteur français berbérisant qui fut, probablement, son amant. Des poèmes trahissant, à travers la description de diverses situations galantes, les mœurs tribales étonnamment “libres” de l’époque, du moins dans ces contrées montagneuses. Une certaine liberté dont on retrouve l’écho, encore aujourd’hui —  au niveau du ton et de l’aisance à aborder le sujet —, chez les anciens et anciennes, véritables personnages à la faconde truculente, contrastant fortement avec la pudibonderie “islamiquement correcte” affichée par leurs petits-enfants interviewés ! Dans son documentaire, le réalisateur rend un hommage appuyé à Hadda Ouakki, véritable diva de la chanson amazighe — qui a connu son heure de gloire dans les années 1970, bien avant Rouicha — qu’il n’hésite pas à comparer à une Nina Simone marocaine.

Au début étaient Baba Hassou et Yemma Chettou

Kamal Hachkar a quitté son Tinghir natal en 1977 — à l’âge de six mois, dans les bras de sa mère — pour rejoindre le père, ouvrier à Ambérieu-en-Bugey, à la faveur de la politique de regroupement familial mise en œuvre sous Giscard d’Estaing. Il garde de son enfance un heureux souvenir. “Mon père était simple ouvrier tuyauteur, mais il travaillait dans la construction et l’entretien de centrales nucléaires. Nos conditions de vie étaient bonnes. Nous changions souvent de ville, j’ai même vécu un an à Alexandrie. De plus, la communauté de Marocains travaillant dans cette boîte était très soudée. C’est Tata Naïma Lbidaouia qui a appris la darija à ma mère qui ne parlait, en arrivant, que le tachelhit. C’étaient les meilleures amies du monde”, se souvient-il. L’été, la famille retournait à Tinghir, où il a eu la chance de connaître ses arrière-grands-parents : Baba Hassou et Yemma Chettou, “de véritables personnages, aux mains et aux visages ravinés, qui nous racontaient le passé”. Très jeune, Kamal Hachkar a voulu être historien. Hanté par ces récits ayant bercé son enfance, racontant un Tinghir judéo-amazigh qu’il n’a pas connu, mais dont la substance fait écho à son propre destin d’éternel exilé, le prof d’histoire décide, un beau jour, de se mettre en disponibilité pour réaliser un film. Sorti en 2012, Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah connaît un succès international inattendu. Nous ne reviendrons pas, ici, sur l’extraordinaire engouement médiatique qu’il a suscité d’une part, ni sur la non moins virulente hostilité qu’il a provoquée chez certains, d’autre part, pour nous arrêter sur un fait assez curieux — et ô combien symbolique — qui en a découlé : c’est en racontant cette ancienne et douloureuse histoire d’exil, que Kamal Hachkar a réalisé que c’était ici, au Maroc, qu’il voulait être, à partir de Marrakech où il s’est, depuis, installé. La boucle est bouclée.  

Par Jamal Boushaba

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