Industrialiser l’Afrique : oui mais comment ?

L’Afrique peut-elle encore développer son industrie ? Comment ? Celle-ci est aujourd’hui reléguée au plus bas niveau de la chaîne des valeurs mondiale, quand l’économie des pays reste très dépendante des exportations de ressources naturelles.

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Pour certaines industries, l’accès à des matières premières est un facteur déterminant dans l’implantation africaine. Crédit: DR

Les pays d’Afrique disposent d’un réel potentiel d’industrialisation, mais encore faut-il trouver le modèle approprié. Après l’indépendance de la plupart de ces pays dans les années 1960, certains d’entre eux ont tenté de s’industrialiser par substitution aux importations. L’objectif : produire au sein de ses frontières les biens qui étaient jusque-là importés. En raison de la faiblesse des marchés intérieurs et de la maturité des appareils productifs à l’étranger, le succès n’a pas été au rendez-vous.

Les recettes libérales ont, elles, été appliquées à partir des années 1980. Les mesures des Programmes d’ajustement structurel, imposés dans les années 1990 par le FMI comme préalable à l’octroi de nouveaux prêts, vont maintenir les économies africaines au plus bas. On parle même de “décennie perdue” pour le continent.

Depuis quelques années, il faut aussi compter avec l’émergence des marchés asiatiques. Plusieurs auteurs au cours des années 2000 ont notamment analysé et tenté d’évaluer l’impact de l’économie chinoise sur les dynamiques industrielles et commerciales des pays africains. Leurs conclusions convergeaient : l’Afrique s’exposait à un risque croissant de désindustrialisation.

Il est crucial pour les pays africains d’adopter une stratégie d’industrialisation en phase avec les défis internes – besoin de nourrir une population grandissante – et externes – respect des normes et principes environnementaux. Pour des économies qui peinent à se financer, identifier les secteurs d’investissements les plus pertinents s’avère plus important encore. C’est ce à quoi nous avons consacré nos recherches.

Un avantage comparatif

Depuis les travaux fondateurs de David Ricardo en 1817, beaucoup d’études ont poursuivi la réflexion sur la place de chaque pays dans le commerce international. Ce que montrait l’économiste anglais est que le monde sort gagnant du fait que les pays se spécialisent dans les secteurs dans lesquels ils sont relativement plus efficaces que les autres nations.

En prolongeant cette réflexion et en utilisant des modélisations qui en ont été tirées, nous montrons que, dans le secteur textile, les pays à faible revenu possèdent un avantage relatif dans les produits d’entrée de gamme et un désavantage dans les segments de prix supérieurs. Les pays d’Afrique présentent également un avantage relatif dans le segment d’entrée de gamme du secteur des appareils électroménagers et électroniques.

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Un atout des pays à faibles revenus d’Afrique est leur bas niveau de salaire. Contrairement aux autres industries, les stratégies de positionnement dans le secteur textile dépendent fortement des niveaux de salaires, en particulier pour les produits d’entrée de gamme. Nos résultats sont, sur ce point, cohérents avec ceux de Bruno Amable, professeur à HEC Paris, et de son collègue Bart Verspagen qui montraient que la compétitivité n’est déterminée par des facteurs de prix que dans les secteurs à très faible technologie comme le textile.

Voilà pourquoi diriger les investissements en direction de pareilles industries paraît pertinent, la demande nationale et internationale nourrissant un effet de levier. Les produits à faible technicité sont en effet les plus accessibles pour des populations pauvres. C’est sur ce créneau que se situe la demande africaine.

Des opportunités à saisir ?

Cependant, dans ce même secteur, les pays d’Afrique sont confrontés à la concurrence, qui demeure forte, de certains pays à revenu intermédiaire, en Asie et en Amérique latine. Pendant plusieurs décennies, la Chine a connu un croissance fulgurante dans son commerce de produit d’entrée gamme.

Elle est cependant aujourd’hui confrontée à une augmentation des salaires. Elle a été annuellement de 2,4 % en moyenne dans les années 2000 et la hausse des revenus s’est accentuée depuis. Compte tenu de l’épuisement de son modèle d’exportation et de l’orientation prise vers le marché intérieur, la Chine semblait par ailleurs chercher à se positionner dans les produits haut de gamme. Entre 2012 et 2017, le pays s’est mis à peser moins lourd sur les produits à faible coût dans le commerce international.

La tendance s’est ensuite inversée, mais la dynamique a pu bénéficier à certains pays asiatiques comme le Vietnam et le Bangladesh. Ce fut peu le cas pour l’Afrique. Les seuls qui semblent en tirer profit aujourd’hui sont l’Éthiopie, le Rwanda, le Kenya et le Lesotho.

Le développement de ces produits en Afrique appelle ainsi la mise en place de politiques industrielles inspirées de celles qui ont favorisé le développement économique de plusieurs pays d’Asie. Certaines nations africaines telles que l’île Maurice, Madagascar, le Nigeria, l’Éthiopie et le Kenya ont ainsi développé, par exemple, des zones de libre-échange attractives pour les IDE et mis en place des politiques de promotion afin de stimuler les exportations. Le plan de développement de l’industrie à Maurice, qui a permis à l’île de réduire sa dépendance au commerce de la canne à sucre, en est une illustration.

En raison de la concurrence féroce des pays émergents et de ce qui semble être un retour de la Chine sur le créneau, l’émergence de l’industrie manufacturière africaine ne sera couronnée de succès que si les consommateurs locaux sont prêts à modifier leur comportement pour s’adapter à la nouvelle offre. Développer une industrie de transformation plutôt qu’une filière d’exportation de matières premières, c’est aussi tout un changement culturel à opérer pour le continent. Les gouvernements auraient intérêt à l’encourager en facilitant l’accès au financement, aux subventions et aux marchés publics.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Voici l’article original, signé Diadié Diaw, Maître de conférences en économie, Université Rennes 2 ; Albert Lessoua, Associate professor in economics, ESCE International Business School et Louis César Ndione, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)