Casablanca peut-elle (vraiment) devenir une ville intelligente ?

Casablanca a abrité la Smart City Expo. Une ville au service de ses habitants, qui propose une gestion raisonnée de ses ressources et une mobilité intelligente : l’image fait rêver. Mais Casablanca se donne-t-elle les moyens de passer du rêve à la réalité ?

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Casablanca © Yassine Toumi

Les 18 et 19 mai, la crème des experts internationaux en matière de smart cities était réunie à Casablanca pour la Smart City Expo. L’événement a été l’occasion de discuter et d’échanger autour des solutions concrètes à adopter pour rendre nos villes plus intelligentes. Il est communément admis qu’une ville est intelligente («smart») quand elle est plus efficace dans l’utilisation de ses ressources, ce qui lui permet ainsi de réduire ses coûts et son empreinte écologique et d’offrir une meilleure qualité de vie à ses habitants. Le tout facilité par l’utilisation des TIC (Technologies de l’information et de la communication). Économie durable, mobilité intelligente, environnement durable, habitants intelligents, habitat intelligent, gouvernance durable sont les six piliers de la ville intelligente. Concrètement, c’est par exemple un capteur présent dans une poubelle qui lance le signal quand elle est pleine (permettant ainsi de réduire les trajets des camions de ramassage d’ordures), des microgrids (réseaux électriques de petite taille) ou encore, beaucoup plus simplement, des pistes cyclables distinctement séparées de la route.

«L’événement de la semaine dernière a permis de positionner Casablanca en vrai hub en matière de smart city», nous explique Mohammed Jouahri, directeur général de Casablanca Events et Animation, la société de développement local (SDL) qui a organisé l’événement. Mais est-ce réaliste pour une ville dépourvue de pistes cyclables, où les voitures (environ 1,5 million) foncent sur les piétons (au Maroc, 27 % des morts suite à des accidents de la route sont des piétons), dans laquelle les rues sont inondées à la première pluie, et les trottoirs impraticables pour les personnes en situation de handicap ?

Un manque de coordination ?

Existe-t-il une vraie stratégie en la matière ? «Le problème du smart city à Casablanca, c’est Casablanca», nous lance une ingénieur qui travaille de près sur le sujet, avant de poursuivre : «Il y a bien une chargée de mission smart city à la mairie mais on n’a pas l’impression que la mairie est le leader de la question». «Au-delà des moyens Casablanca a-t-elle les compétences nécessaires en matière de techniciens et d’élus par exemple ?», s’interroge Nidam Abdi, consultant en innovation.

Pourtant, ce n’est pas le néant. Des acteurs pensent déjà aux solutions à apporter à Casablanca pour la rendre plus intelligente. Parmi eux : le cluster e-madina (dédié à la question), Maroc Numeric Cluster ou encore les chercheurs (de l’université Hassan II notamment). Le problème : «Casablanca manque d’une vraie relation avec ses pôles universitaires», commente Nidam Abdi. «Chacun fait des choses dans son côté», ajoute notre source précédente, qui conclut : «La ville n’a pas de stratégie», mais préfère relativiser en estimant que «c’est le début».

Le temps des prémices

C’est bien ce que défend Mohammed Jouahri, de Casa Events et Animation. Il nous explique que c’est justement le rôle de sa SDL, bras armé de la ville en la matière, de «coordonner et fédérer» les différents acteurs. «Smart city, ce n’est pas un projet, mais c’est une vision, un état d’esprit», résume le responsable.

Nidam Abdi nous l’assure, tout comme l’expliquait le 18 mai Boyd Cohen, chercheur en innovation urbaine et dans le domaine des villes intelligentes, il n’existe pas de formule magique, de modèle figé de gouvernance, pour mener cette vision. «Il n’y a pas vraiment de règle. Cela peut venir d’en bas, d’en haut, cela peut être la vision d’un seul homme, comme cela a été le cas pour la ville italienne de Trento ou pour ce qui est train de se passer dans l’Eure-et-Loir… Tout est possible. Mais tous les éléments ne peuvent pas venir d’en haut et il faut une cohésion entre les universitaires, les entreprises et les élus», estime Nidam Abdi. Au Chili, le ministère des Transports est l’un des acteurs qui s’est approprié le thème en créant une unité spéciale smart city, qui teste des applications dans des villes de taille moyenne avant de tenter de les dupliquer à Santiago, la capitale.

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Besoin d’une volonté politique

Bien sûr, les TIC ne suffisent pas à rendre une ville intelligente, les experts présents lors du Smart City Expo n’ont eu de cesse de le rappeler. Abdelaziz El Omari, maire de la ville, lors de l’ouverture de l’événement, reconnaît quand même que «le numérique est un outil au service du citoyen». Mais Casablanca a-t-elle les moyens financiers de mener une vraie stratégie ? «L’argent n’est pas une priorité, c’est juste une excuse», expliquait le 18 mai Gil Peñalosa, président des deux associations 8 80 Cities et World urban park, qui milite pour des espaces publics attractifs permettant de se faire côtoyer des personnes de milieux sociaux différents. Bogota, New-York… l’expert a multiplié les exemples de bonnes pratiques, avant de conclure son exposé en expliquant que le sujet n’était «pas technique, mais politique».

Mohammed Jouahri rappelle que la ville est déjà engagée en matière de villes intelligentes, en témoigne la manière dont laquelle a été élaboré le plan de développement de Casablanca pour 2015-2020, en «impliquant le citoyen». Et d’évoquer le centre de vidéosurveillance lancé par Mohammed VI en janvier 2016. À terme, plus de 700 caméras permettront de réguler les carrefours de la ville, en adaptant la fréquence des feux tricolores en fonction de la densité de circulation. Les réseaux de bus et le tramway devraient bientôt proposer des services permettant aux usagers de minimiser les désagréments des retards. Lors de la Smart City Expo, une équipe de jeunes a été récompensée. Son idée : équiper les poubelles de fameux capteurs signalant quand elles sont pleines. Son plus : équiper les écoles de telles installations et associer le signal à une petite musique, pour inciter les élèves à jeter leurs déchets à la poubelle. Reste à convaincre les sociétés délégataires concernées et les écoles…

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