Les russes et les américains se disputent le gaz marocain

En pariant sur le gaz naturel liquéfié (GNL), le royaume met en concurrence deux des plus grands producteurs mondiaux, la Russie et les États-Unis.

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Pipeline Gaz. Crédit: DR

Le 15 mars à Moscou, le Kremlin est paré aux couleurs du Maroc. Dans la salle de réception, les Russes ont pris place du côté droit. La délégation marocaine accompagnant le roi Mohammed VI dans sa visite officielle en Fédération de Russie a déjà pris place du côté gauche de la salle, juste en face du monarque. En première ligne, les deux conseillers du roi, Fouad Ali El Himma et Taïeb Fassi Fihri échangent quelques sourires. En arrière-plan, les deux Aziz du gouvernement sont côte à côte. Le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, murmure quelques mots à Aziz Rabbah, ministre de l’Équipement et du Transport.

Complétant la délégation, Abdelkader Aâmara, ministre de l’Énergie et des Mines, attend pour signer avec son homologue russe Alexander Novak un mémorandum d’entente sur la coopération dans le domaine de l’énergie, notamment en matière de gaz naturel liquéfié. Les deux parties conviennent aussi de créer un groupe de travail bilatéral chargé de suivre sa mise en œuvre. Si les officiels marocains sont restés discrets sur les détails de ce mémorandum, leurs partenaires russes ont rapidement précisé que l’accord signé concernerait «l’approvisionnement en gaz naturel liquéfié, la création d’infrastructures gazières et l’exploitation d’hydrocarbures».

Une stratégie gazière

Un large éventail de biens et de services qui tombe à point nommé pour coller au plan de développement gazier lancé par le Maroc en décembre 2014 (voir encadré). La stratégie gazière du royaume vise à porter la consommation de gaz naturel à 5 milliards de m3 à l’horizon 2025. La visite royale au Kremlin est ainsi une première concrétisation: la Russie approvisionnera le Maroc en gaz. Ce qui confirme une précédente indiscrétion de Abdelkader Aâmara à TelQuel en janvier dernier. Le ministre de l’Énergie et des Mines nous affirmait alors que les négociations pour la fourniture de gaz étaient «presque terminées». Les opérateurs du marché de l’énergie n’attendaient plus que l’annonce officielle. Elle n’est pas encore au rendez-vous, mais c’est tout comme.

Quand on demande à un membre de la délégation marocaine à Moscou si le mémorandum d’entente engage les deux parties ou s’il s’agit d’un gentlemen’s agreement sans force exécutoire, la réponse fuse: «L’accord sera appliqué. Il n’y a aucun doute là-dessus.» Les contours de cet accord bilatéral ont été discutés bien avant le voyage officiel. C’est le très discret Abderrahim El Hafidi, secrétaire général du ministère de l’Énergie, qui a été chargé de cette mission, il aurait même réussi à négocier “un prix intéressant”. Contacté pour confirmer cette information, El Hafidi n’a pas donné suite à nos sollicitations. Si rien n’a filtré de ces négociations, c’est aussi parce que le sujet est hautement sensible. En plus des considérations de confidentialité liées au business, s’ajoute la compétition entre la Fédération de Russie et les États-Unis.

Parfum de guerre froide

Grand producteur de gaz naturel liquéfié qui s’est doté ces dernières années de capacités accrues, le géant américain lorgne aussi le marché marocain. C’est ce qui ressort de l’activisme diplomatique de Washington. Ainsi, l’antenne économique de l’ambassade américaine à Rabat s’est mise en mode séduction sur le sujet. En septembre 2015, elle organisait à la CGEM, en présence d’opérateurs et d’officiels, une visioconférence sur le thème « Gaz naturel américain: Quelles opportunités pour le Maroc? », animée par Tim Boersma et Charles K.Ebinger, deux spécialistes en énergie à la Brookings Institution, un think tank américain basé à Washington. Hasard du calendrier? Le mois suivant, le ministre Aâmara a profité d’une tournée des pays producteurs de gaz pour se rendre aux États-Unis. Une visite qui s’est soldée par la signature d’un mémorandum d’entente avec Cheniere Energy, la compagnie qui a construit la station Sabine Pass, première plateforme d’exportation de gaz naturel liquéfié aux États-Unis.

Plus récemment, quelques jours seulement avant le voyage officiel de Mohammed VI en Russie, la sous-secrétaire d’État américaine adjointe pour la diplomatie énergétique, Robin Dunniga, a visité le Maroc où elle a eu des entretiens avec les responsables du secteur énergétique. Elle a même accordé une interview à nos confrères de La Vie Eco, où elle revient sur le sujet du GNL. « Les Etats-Unis, précise-t-elle, sont capables dans 5 ans d’exporter 100 milliards de m3 de gaz par an », et d’ajouter que son pays « entend contribuer à l’approvisionnement du Maroc, dont les besoins en gaz augmenteront, selon elle, pour atteindre les 10 milliards de m3 par an ». Difficile au Maroc de résister longtemps à ces insistants appels du pied de son partenaire transatlantique. Car pour trancher entre Moscou et Washington, il faudrait prendre en compte d’autres critères que le simple intérêt commercial, les questions géostratégiques ont aussi leur importance. La guerre du GNL aura-elle lieu? En tout cas, pas au Maroc. « Nous partons du principe d’avoir plusieurs fournisseurs », confie un proche du dossier. Diversifier les approvisionnements relève de la prudence, et, au final, même si le royaume conclut un contrat de longue durée pour du GNL russe, rien ne lui interdit d’en signer un autre avec les États-Unis…

Plan gazier. 2021, c’est demain.

En décembre 2014, le Maroc a dévoilé sa stratégie gazière et entériné la place du gaz dans son mix énergétique. Ce choix s’est fait alors que la structure du marché international de gaz est en pleine restructuration. Il s’est transformé d’un marché « acheteur » (plus de demande que d’offre) en un marché « vendeur » grâce à la découverte de nouveaux gisements et l’arrivée de nouvelles productions, australienne, africaine et américaine notamment, qui se chiffrent en plusieurs milliards de m3. Le timing est donc bien choisi par le Maroc. D’autant que les contrats qui le lient à l’Algérie arrivent à échéance en 2021 et qu’il n’y a pas de visibilité sur leur possible renouvellement. Sans surprise, le plan gazier intègre cette date-clé. Toutes les actions du plan gazier doivent permettre au Maroc de procéder aux premiers essais de mise en service des infrastructures gazières et électriques entre janvier et juin 2021. Et cette feuille de route a un coût: pas moins de 40 milliards de dirhams d’infrastructures gazières et électriques devront être financées dans les prochaines années.[/encadre]

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