Meryeme Laraki: «Le suicide n'est pas une maladie»

Meryeme Laraki est la présidente de l’association Sourire de Reda. A l'occasion de la journée Stop au silence, elle revient sur l'importance de cette campagne pour Telquel.ma.

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Meriem Laraki
Meryeme Laraki, présidente de l’association Sourire de Reda. Crédit : Yassine Toumi

En 2009, Meryeme Laraki fonde l’association Sourire de Reda à la suite du suicide de son fils, Reda. Cette année, la campagne de sensibilisation à la souffrance des jeunes qui se déroule du 31 janvier au 8 février est marquée par la journée Stop au silence, le 5 février.

Comment va se dérouler la journée Stop au Silence ?                             

Ce n’est pas par hasard qu’elle se déroule le 5 février, c’est la date à laquelle est décédé Reda ; mais c’est également l’une des journées francophones de prévention du suicide dans le monde. La campagne 2015 a pour objectif de sensibiliser, la société civile à l’existence de la souffrance des jeunes qui peut s’exprimer dans le mutisme, et parfois conduire au passage à l’acte. Une personne sensibilisée est dans la capacité de pouvoir sauver une vie. En dépassant ses croyances  sur le suicide, elle aura moins de peur à accueillir la parole d’un jeune en grande souffrance. Chacun de nous peut être acteur dans la prévention du suicide.

Pour le 5 février, Hit Radio réalise un partenariat avec l’association. La campagne porte notamment sur les réseaux sociaux (fanpage de Sourire de Reda et Hit radio) des messages forts de prévention avec les outils nécessaires à une bonne écoute : mythes et réalités, signes révélateurs du suicide, ce qu’il faut dire et ne pas dire, etc. La presse, écrite et web, contribue également à cette campagne, renforçant le réseau de prévention du suicide des jeunes.

Pour les autres événements, ils vont s’étaler dans le temps. Par exemple on a une équipe marocaine féminine qui va courir pour le Marathon des sables sous les couleurs de l’association du 3 au 13 avril. On organise également une vente aux enchères à la mi-février.

D’où vient cette collaboration avec Hit Radio ?

Nous les avons sollicité à mener cette campagne avec nous.  Leur cible est la notre. La musique est l’un des moyens d’exprimer sa souffrance pour les jeunes !  Lors de la campagne de prévention 2013, nous étions intervenus sur les ondes de Hit Radio pour notre campagne Stop Silence. Nous avons également fait des spots radio pour le recrutement des bénévoles. Les médias sont ouverts à la prévention du suicide des jeunes. Cette année nous avons proposé à Hit Radio de faire un événement pour cette journée. Ils ont accepté de le réitérer chaque année. Notre financement ? Nous ne disposons pas d’aides publiques. Par contre, nous sommes extrêmement soutenus par les donations en nature lors de nos événement et par les médias qui nous accompagnent et nous aident.

Comment s’organise le Comité des jeunes au sein de l’association ?  

L’association a trouvé sa source chez les jeunes. C’est leurs confidences sur la situation  que vivait Reda qui nous ont éclairé. C’est aussi là que nous avons découvert que d’autres vivaient la même chose dans le mutisme. Nous avons commencé à réfléchir comment éviter un autre suicide. Il manquait un espace où le jeune soit reconnu dans sa souffrance silencieuse, un espace dans lequel il puisse parler quand tout va trop mal. C’est ainsi  que Sourire de Reda s’est créée.

Au départ, le comité était constitué de jeunes qui connaissaient Reda. On s’est développé et maintenant c’est eux qui viennent nous chercher notamment pendant les journées de prévention dans les établissements scolaires. Ils se parrainent les uns les autres. Chacun des membres du Comité des jeunes bénéficient d’une formation pour pouvoir intervenir lors des journées de prévention. Cependant, ils sont toujours accompagnés par un adulte de l’association. Ils véhiculent l’image de l’association.

En quoi consiste le tchat anonyme stop silence ?

C’est un espace de ch@técoute. Il intervient dans un moment de crise ponctuel. Le ch@t stop silence est l’un de maillons du dispositif global d’aide. Gratuit, il s’adresse exclusivement aux mineurs et est accessible dans toutes les régions du Royaume. Il va permettre à un jeune qui n’a pas trouvé dans son entourage une écoute, de se confier en double anonymat. Pour certains, cela va les aider à retrouver un espace intérieur ainsi que des ressources dans leur environnement, pour d’autres, cela leur a simplement permis de faire une halte. Dans le cadre de Stop Silence, l’écoute, bienveillante et sans jugement, « centrée sur la personne », n’a pas caractère thérapeutique mais vise à permettre au jeune de dépasser l’état de crise. Depuis 2012, l’équipe est formée à l’ERS, évaluation du risque suicidaire, outil très puissant qui permet à l’écoutant de savoir comment orienter l’échange tchat, l’objectif étant de sécuriser le jeune, de l’orienter vers les structures publiques existante. L’écoute pratiquée en matière de soutien émotionnel sur le tchat a donc sa spécificité et répond aux normes internationales.

Qui sont les écoutants du tchat anonyme ?

Ce sont des bénévoles. Ils sont formés sur deux week-ends de formation théorique avec des spécialistes en suicidologie canadiens et des intervenants de SOS amitié France. La formation se poursuit par un stage pratique de quatre à six mois. L’écoute pratiquée en matière de soutien émotionnel sur le tchat est spécialisée. Ces bénévoles sont sélectionnés sur questionnaires et entretien écrit, en vis-à-vis et avec un psychologue. L’équipe des écoutants s’engage aussi à une supervision par un psychologue mensuellement.

Comment identifier le jeune en souffrance ?

Quand on parle de jeune en souffrance, on ne parle pas de maladie, de pathologie. Ils peuvent être dans un état de mal-être à la suite d’un harcèlement, de violences, d’une pression scolaire ou encore d’une rupture amoureuse. Nous n’excluons pas les souffrances à caractère pathologique mais ce n’est pas la pathologie que nous « écoutons ».  Nous faisons notre part pour alerter sur un danger possible d’isolement du jeune. Nous nous assurons que le jeune a une personne ressource qui va l’aider,  une structure qui va le recevoir pour son suivi thérapeutique, quand elle existe. Sourire de Reda n’est que le premier maillon de la chaine que doit être la prévention du suicide.

Il est difficile de réaliser que le suicide touche notamment beaucoup de jeunes. Il faut prendre conscience que les enfants peuvent souffrir dans le mutisme le plus total. Lorsque quelqu’un parle de suicide, il n’a pas besoin que l’on cherche frénétiquement des solutions à son problème. Il est capable de trouver tout seul ces solutions. Le plus souvent il a besoin d’une écoute qui le fasse sentir comme « pris dans les bras d’une grand-mère ». Il faut le laisser se confier sans l’interrompre. Aujourd’hui, on a souvent tendance à être curieux d’une situation plutôt que d’être dans l’accueil de l’expression de la souffrance de l’autre.

Vous avez des chiffres concernant le suicide chez les jeunes ?

Nous commençons à avoir quelques chiffres mais à notre sens, ils ne sont pas révélateurs et il n’est pas bon de les révéler ainsi. Ce qui est sûr c’est qu’il n’y a pas une semaine sans que l’on apprenne le suicide d’un jeune et cela doit être suffisant pour nous mobiliser, tous. N’importe quelle raison peut mener au suicide. L’une des croyances erronées sur le suicide est de croire qu’il faut vivre une situation difficile pour en arriver là. Chacun d’entre nous, tout au long de sa vie, vit des situations difficiles lesquelles sont intégrées, vécues, différemment selon chacun. Beaucoup d’entre nous ont déjà  pensé au suicide sans que cela ne soit dangereux. C’est lorsque ces pensées suicidaires deviennent  régulières et fréquentes qu’il faut s’en inquiéter et en parler le plus vite. Souvent l’isolement est l’un des principaux facteurs de douleur, le sentiment de ne pas être compris, aimé.

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