Enseignement. Passe ton bac français d’abord

L’annonce de l’instauration d’un « bac français » au sein des lycées publics a suscité de vives critiques, notamment de la part du PJD. Ce programme n’a pourtant rien de révolutionnaire. Le point.

La polémique n’en finit pas d’enfler. Le 18 février dernier, le Maroc et la France ont signé un accord de coopération qui prévoit la mise en place de sections internationales et la généralisation d’un baccalauréat international option français (BIOF) dans 82 lycées du royaume. Le but étant d’améliorer le niveau en français des lycéens au sein des établissements publics. Cette décision a provoqué l’ire des responsables politiques de tous bords. Au sein du PJD, par exemple, la question divise. Plusieurs membres du parti, fervents défenseurs de l’arabe classique, y voient une « remise en cause de la souveraineté linguistique marocaine ». Une déclaration que Mohamed Yatim, député du parti de la lampe et secrétaire général de l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), n’a pas hésité à qualifier de « réaction passionnelle ». Peu après, il a tout de même sommé Rachid Belmokhtar, le ministre de l’Education nationale, d’entamer un dialogue national sur la mise en place des filières internationales, arguant qu’elles ne devaient pas seulement être ouvertes au français. Du côté de l’Istiqlal, artisan historique de l’arabisation du système éducatif, des députés ont accusé le ministre de « dénaturer l’identité nationale ». C’est pourtant l’Istiqlal qui était au pouvoir en 2009, lorsque le processus de généralisation du bac international a démarré sous l’impulsion du gouvernement Abbas El Fassi.

Ce BIOF qui divise

Où en est le BIOF, cinq ans après ? « En phase expérimentale », répond Rachid Belmokhtar. Depuis la rentrée scolaire 2013-2014, six lycées pilotes (Agadir, Casablanca, El Jadida, Marrakech, Meknès et Tanger) ont ouvert une section internationale option français pour le baccalauréat. « Le programme est le même que dans les autres établissements publics, sauf que l’enseignement de la langue française est plus poussé », poursuit le ministre. Parmi les principaux changements, deux heures de cours supplémentaires par rapport au programme classique, l’enseignement de toutes les matières scientifiques en français afin de fluidifier le passage aux études supérieures et un module de « communication orale » pour les élèves de la filière littéraire. « Il n’y a donc rien qui diffère de la Charte nationale de l’éducation, se défend Rachid Belmokhtar, puisqu’elle stipule que les lycéens doivent avoir une ou plusieurs matières en langue étrangère et que les sciences doivent être enseignées dans la même langue que l’enseignement supérieur ». Une justification qui ne convainc pas Rachid El Kabil, député PJD et membre de la commission parlementaire de l’enseignement, de la culture et de la communication : « Si l’arabe était la langue d’enseignement à l’université, les élèves ne vivraient pas la dichotomie qu’ils vivent actuellement. Opter pour l’instauration d’un bac en français, c’est tenter de résoudre un problème avec un autre problème ».

Pour écarter l’idée d’un « retour au colonialisme français », l’un des arguments phares des détracteurs du bac français, le ministère compte également lancer deux expériences pilotes de baccalauréats internationaux, option anglais ou espagnol, dès la rentrée 2014-2015. En parallèle, le dispositif du BIOF sera étendu à l’ensemble du territoire, y compris dans le secteur privé. Pour l’instant, le ministère de l’Education nationale n’a pas encore réalisé une étude de faisabilité du projet ni élaboré de budget prévisionnel, mais bénéficie déjà du soutien des réseaux scolaires et culturels français au Maroc, notamment pour la formation et l’agrégation des professeurs marocains, ou encore la traduction des programmes scolaires marocains. Malgré tout, la généralisation du BIOF éveille encore le scepticisme. « L’une des causes de l’échec de l’arabisation a été le manque de ressources humaines et de formation du corps professoral. Cela risque de se reproduire aujourd’hui », remarque Abdenasser Naji, conseiller auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. « La mise à niveau des professeurs risque de prendre une à deux générations, car ils sont tous issus du système éducatif actuel qui n’a fait qu’accentuer les problèmes linguistiques », abonde Ismaïl Karimi, professeur au sein d’une classe préparatoire aux grandes écoles.

Un pôle d’excellence

« L’initiative du ministère est courageuse. Les baccalauréats internationaux dans les lycées publics sont une chance pour les élèves qui n’ont pas accès aux missions étrangères et aux lycées privés. Il était temps de s’adapter à la réalité. Aujourd’hui, l’apprentissage des langues, que ce soit l’arabe, l’anglais ou le français, est mauvais et le baccalauréat marocain ne vaut pas grand-chose à l’échelle internationale », estime pour sa part Abdelaziz Mountassir, secrétaire général adjoint du Syndicat national de l’enseignement. En théorie, la création d’un baccalauréat international avec l’option d’une langue étrangère est assez séduisante, puisqu’elle devrait permettre à tous les élèves, sans distinction de classe sociale, d’avoir accès à un enseignement de qualité et donc, à un tremplin pour poursuivre des études supérieures, souvent dispensées en français. Une manière de « remettre les pendules à l’heure, selon Rachid Belmokhtar, et d’instaurer une véritable méritocratie ». « Sans compter qu’actuellement, le français est employé par une élite économique qui favorise l’employabilité des profils francophones », ajoute Ismaïl Karimi. Seulement, l’élite évolue dans un environnement francophone dès la prime enfance. Comment faire alors pour qu’il en soit de même auprès des élèves issus des couches défavorisées ou moyennes ? « Nous allons mettre en place un renforcement des langues, notamment du français, dès la troisième année du collège », répond le ministre de l’Education, avant de poursuivre : « Bien entendu, les élèves devront passer un test de qualification pour être acceptés au sein des filières internationales, car il ne serait pas raisonnable d’ouvrir cette option à ceux qui n’ont pas le niveau ». Suivant cette logique, le baccalauréat international pourrait donc devenir un pôle d’excellence au sein des lycées publics, « afin de garder une élite que l’enseignement public risque de perdre, ou d’attirer des élèves issus du secteur privé qui n’ont plus envie de dépenser un budget colossal pour assurer leur avenir », avance Ismaïl Karimi.

« Des airs de réformette »

La question d’un baccalauréat international met également le doigt sur une problématique plus profonde : la crise du système éducatif marocain. « Cette proposition a des airs de réformette face à la gravité de la situation. Actuellement, c’est tout le système qui doit être audité puis réformé », estime pour sa part Abdenasser Naji. Si la généralisation d’un baccalauréat international avec l’option d’une langue étrangère est menée à terme, qu’adviendra-t-il alors de la valeur du baccalauréat classique ? « On risque de creuser un fossé encore plus béant entre les lycéens. Si on ne fait rien pour améliorer et valoriser le bac marocain, les élèves vont affronter deux fois plus de ruptures, de déperdition et de déclassement social », affirme Ismaïl Karimi. Interrogé sur la question, Rachid Belmokhtar se veut rassurant, sans vraiment y parvenir : « Le ministère de l’Education nationale et le Conseil supérieur de l’enseignement réfléchissent à une révision globale de l’école marocaine, particulièrement en ce qui concerne le système pédagogique et le développement du périscolaire ». L’espoir est-il encore permis ?

Réciprocité. L’arabe est peu enseigné en France

L’arabe est officiellement reconnu comme étant une « langue de France ». C’est d’ailleurs la deuxième langue la plus parlée dans l’Hexagone, avec quatre millions de locuteurs. Or, près de 45% des départements ne proposent pas son enseignement. En primaire, dans le cadre des enseignements de « langue et culture d’origine », 50 000 enfants apprennent l’arabe. Au collège et au lycée, ils ne sont plus que 9000, tandis que 6 à 8000 étudiants choisissent cette langue comme matière principale au sein des quelque 25 universités qui l’enseignent. Des chiffres assez faibles, qui ne remettent pas en cause la demande des élèves mais l’offre du système éducatif public français. En effet, le nombre d’enseignants d’arabe est passé de 218 en 2010-2011 à 197 en 2012-2013 et à 187 aujourd’hui. Le Capes, diplôme pour devenir professeur d’arabe, a été fermé en 2014 et les enseignants partis à la retraite n’ont pas été remplacés. [/encadre]
 

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