Parution. France, ce pays d’Orient qui s’ignore

Ce bel ouvrage collectif nous conte, par le texte et par l’image, treize siècles de présence arabo-orientale en France. Une véritable anthologie.

Certes, l’ouvrage est bien ce qu’on appelle un beau-livre. Sur la couverture grand format, cartonnée et pelliculée mat, s’étale, en sépia, le portrait –  on ne peut plus glamour – de Louisa Tounsia, une chanteuse des années d’après-guerre, qui a fait les belles nuits des célèbres cabarets orientaux tels le Djazaïr ou La Kasbah. Mais qu’on ne s’y trompe pas : La France arabo-orientale, treize siècles de présences, récemment paru aux éditions de la Découverte, est un livre savant, abondamment illustré, mais digeste. Pas moins d’une quarantaine d’intervenants ont participé à sa rédaction – historiens, anthropologues, sociologues et autres chercheurs – sous la direction, entre autres, du très médiatique Pascal Blanchard, historien, défenseur acharné d’une « autre histoire de France ». Une histoire dans laquelle seraient enfin inscrites « ces identités multiples » qui devraient faire partie intégrante du « récit national postcolonial ».

De Cordoue à Bonaparte

Un livre savant et militant donc, mais également un livre passionnant dont on dévore les quelque 360 pages d’un seul trait. Le sujet ? L’histoire, fait par fait, de la présence des Arabo-Orientaux en France, depuis le VIIIe siècle jusqu’à nos jours. Que recouvre, au juste, ce vocable d’Arabo-Oriental ? Cela va des Turcs ottomans jusqu’aux Maghrébins, en passant par les Arméniens, les Syro-Libanais et les Egyptiens, aussi bien que les chrétiens, juifs que musulmans. Seul l’Iran a été exclu de ce regroupement théorique, car jugé trop éloigné, en termes de rapports historiques et d’immigration. Le premier tiers du livre est consacré aux relations entre la France et les Arabo-Orientaux depuis la prise de Narbonne par les Omeyyades de Cordoue – ils y resteront quarante ans – jusqu’à l’expédition d’Egypte de Bonaparte, en 1798, symbole de la naissance de l’impérialisme français. On y apprend notamment et dans le détail, combien les relations entre l’Empire ottoman et la France ont été étroites et imbriquées, et ce aussi bien avant, pendant, qu’après les Croisades. Une histoire que les manuels scolaires ignorent ou, tout au mieux, ne font qu’effleurer.

Un roman colonial

Les deux tiers restants de l’ouvrage déroulent, avec une érudition et une minutie sans précédent, le roman colonial français, lequel démarre avec la prise d’Alger, en 1830, et se clôt avec l’indépendance de l’Algérie en 1962.

Entre-temps, deux guerres mondiales, suivies d’une industrialisation à pas forcées, auront pour conséquence l’installation, par vagues successives et dans des proportions jusque-là inédites, de populations maghrébines en terre de France. C’est ce qu’on appellera, bientôt, le phénomène de l’immigration. Un bouleversement socio-ethno-historique que le pays de la Révolution française, des droits de l’homme et de la citoyenneté, n’a toujours pas fini de digérer.

Tout cela est écrit avec un engagement assumé n’excluant en rien la lucidité. En effet, le parallèle, clairement établi, entre l’intégration avancée des communautés chrétiennes arméniennes et judéo-maghrébines d’une part, et celle, bien plus problématique, de la communauté maghrébine de confession musulmane, nous pose cruellement question.

Allant de la photographie militaire à l’affiche de propagande en passant par la pochette, l’iconographie parsemant l’ouvrage est impressionnante par sa quantité, sa qualité et sa diversité. Donc, oui, il s’agit bien là d’un beau-livre, mais un beau-livre qu’on lit et qui nous instruit.  

 

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