Fonds d’aide. Réalise-moi un chef d'oeuvre

En promulguant un nouvel arrêté pour régir l’aide à la production cinématographique, l’Etat confirme sa volonté de soutenir encore plus le cinéma marocain. Son but principal ? Améliorer la qualité des œuvres. Décryptage.

Les réalisateurs marocains peuvent se réjouir. Aujourd’hui, l’état à travers le Centre cinématographique marocain (CCM), leur offre toutes les chances pour réussir leurs longs-métrages. Fin septembre, un nouvel arrêté a vu le jour et concerne la production cinématographique. Quelques semaines après la publication du texte au Bulletin Officiel, une lettre royale de Mohammed VI confirme cette nouvelle orientation lors des Assises nationales du cinéma. Dans son message, le roi déclare qu’il faut “préserver les acquis engrangés dans le secteur cinématographique et favoriser les conditions de son essor et son développement, tout en soulignant la nécessité d’arriver à une production de qualité, permettant de passer du quantitatif au qualitatif”. Le message est clair, et le monde du cinéma marocain l’a compris. “Cette lettre est clairement un message d’encouragement aux réalisateurs. Nous savons que l’état est dernière nous, et qu’il ne nous laissera pas tomber”, explique le réalisateur Noureddine Lakhmari. Mais qu’est-ce qui va vraiment changer sur le terrain ?

 

Money, money, money

Tout d’abord, le budget consacré à l’aide à la production. En 2013, le fonds d’aide du CCM devrait attribuer 60 millions de dirhams aux avances sur recettes, alors que depuis 2007 cette enveloppe tournait autour de 40 millions par an. Par ailleurs, le nouvel arrêté donne la possibilité aux producteurs de recevoir du fonds d’aide jusqu’à 2/3 du coût de production d’un long-métrage validé par la commission. Une somme qui peut aller jusqu’à 10 millions de dirhams pour une seule œuvre. Cette décision a déjà été appliquée lors des deux dernières sessions du fonds d’aide. Tout d’abord en mai dernier, bien avant la publication du nouveau texte au Bulletin Officiel, et plus récemment, la semaine dernière. Lors de ces deux sessions, des records ont été enregistrés. Le réalisateur Jérôme Cohen Olivar a décroché 6 millions de dirhams d’aide la production pour son film L’orchestre de minuit, et avant lui, Yassine Fennane a obtenu 5,6 millions de dirhams pour Karyan Bollywood. Des sommes jamais égalées. Mais si cette aide est plus importante qu’avant, les responsabilités des réalisateurs et des producteurs sont également plus grandes. Et cela, la commission, présidée par l’économiste Driss Benali, n’a pas hésité à l’expliquer de vive voix aux réalisateurs venus présenter eux-mêmes leur projets. Une première. En effet, depuis le mois de mai, ils doivent défendre leur projet de film devant les 12 membres de la commission. Une sorte d’oral qui ne dérange pas le moins du monde les cinéastes. “Il est tout à fait normal que la commission rencontre en chair et os les réalisateurs à qui elle va avancer de l’argent public pour faire un film. C’est un jeu démocratique auquel j’adhère totalement”, affirme Mohamed Achaour, dont le prochain film, Once upon a father, a décroché 3,4 millions d’aide en 2011. 

 

Promises, promises

Mais si l’état, à travers le fonds d’aide, a décidé de consacrer plus d’argent à la production, c’est clairement pour augmenter les chances d’avoir plus d’œuvres de qualité. “Aujourd’hui, sur une vingtaine de films produits chaque année, 5 ou 6 sont des œuvres de très grande qualité, qui sont projetés dans de prestigieux festivals comme Cannes, Berlin ou Venise. C’est une très bonne proportion, mais nous pouvons aller encore plus loin”, affirme confiant Noureddine Saïl, Directeur général du CCM. En octroyant de plus grandes sommes aux producteurs, le CCM espère que les tournages ne se feront plus dans l’urgence, et que les acteurs, les scénaristes ou encore les techniciens seront mieux rémunérés, et donc plus aptes à perfectionner leur travail. Mais est-ce là une réelle garantie que ces films seront des chefs d’œuvres ? Le critique de cinéma Mohamed Bakrim est sceptique. “Ce n’est pas un texte qui va améliorer la qualité des films, il ne faut pas être dupe. La commission peut valider un projet qui semble très bon sur le papier, avec un scénario très intéressant, qui s’avérera être un film très moyen, voire mauvais”, affirme t-il. Les raisons ? “Le jeu des acteurs peut être mauvais, les décors mal faits, les prises de vue ratées. En cinéma, on ne peut jamais connaître le résultat à l’avance”, poursuit Bakrim. Que faire alors ? Accorder du temps aux réalisateurs et aux autres professionnels du cinéma pour se perfectionner, en leur facilitant les conditions matérielles, pour que l’argument du manque de moyens ne soit plus une excuse qui justifie la médiocrité d’un film. “Il ne faut pas oublier qu’en soutenant plus de films, le CCM crée plus d’opportunités de travail pour les techniciens et plus de possibilités d’apparition pour les acteurs, et permets aux réalisateurs de montrer ce dont ils sont capables. C’est une dynamique globale qui a déjà porté ses fruits depuis 2004, et qui va se poursuivre”, précise Saïl. Actuellement, le CCM est le principal guichet de financement des productions cinématographiques. Ce qui est loin de rassurer les producteurs. “Le problème au Maroc, c’est que les investisseurs privés hésitent toujours à mettre leur argent dans le cinéma. Sans d’autres guichets de financement, il n’y aura jamais de véritable industrie du cinéma au Maroc”, affirme le réalisateur Latif Lahlou. Le cinéma au Maroc est-il donc un art sous perfusion ? Sans l’état, peut-il exister ? La réponse est évidemment non. Mais le cinéma vert et rouge n’est pas le seul dans cette situation. “Le 7ème art français, espagnol ou encore italien n’existeraient pas sans les subventions de l’état”, tient à rappeler Saïl. A méditer.

 

 

Remboursement. Mythe ou réalité ?

 

Aujourd’hui, le rôle primordial du fonds d’aide à la production cinématographique marocaine n’est plus à remettre en question. Entre 1988 et 2003, le CCM accordait une “aide à fonds perdus” aux productions nationales. Le manque de transparence et une véritable envie de révolutionner le domaine du cinéma au Maroc a fait que le “fonds de soutien” du CCM est devenu “un fonds d’aide” en 2004, modifiant la donne. Depuis, les producteurs sont tenus de rembourser les sommes que leur avance le CCM, sur la base des recettes générées par l’exploitation de leur œuvre sous toutes ses formes (salles, vente des droits, etc.). Sauf que dans la réalité, la très grande majorité des producteurs sont dans l’impossibilité de le faire, vu que très peu de films arrivent à être rentables, même s’ils cartonnent au box-office. “Le CCM n’a jamais été pensé comme une banque qui donne des prêts. C’est un organisme qui est là pour promouvoir le cinéma marocain. Après, il est clair qu’il a également un rôle pédagogique : à savoir, faire comprendre aux producteurs qu’ils ne peuvent pas faire n’importe quoi avec l’argent public. Et ça marche. Actuellement, le principe du remboursement est acquis chez les producteurs”, analyse Mohamed Bakrim. Que gagne donc le CCM ? Une production marocaine en augmentation, qui fait le tour du monde, et qui remporte des prix dans plusieurs festivals aux quatre coins du globe.

 

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