Document. Musulmans mais différents

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A quel point la religion compte dans votre vie ? Croyez-vous en Dieu et en Mohammed ? Priez-vous ? Lisez-vous le Coran ? Faites-vous le ramadan ? La Zakat ? Croyez-vous au paradis, à l’enfer, aux anges, aux djinns, à la sorcellerie ? Le PEW Research Center, institut de recherche américain réputé, a passé au crible les comportements et le profil religieux des musulmans du monde. Marocains compris (et comment !). Statistiques à l’appui, l’étude dresse, en quelque sorte, le portrait-robot du “musulman (marocain) moyen”. Elle offre des éléments de comparaison entre les grandes nations de l’islam, donnant à voir ce qui nous rassemble, et ce qui nous différencie des autres pays. Lisez, vous ne serez pas déçus.

 

11% ne font pas une fixation sur la religion

Si 89% des Marocains sondés estiment que la religion occupe une place prépondérante dans leur vie, le reste (11%) n’en font pas une fixation. Qu’en est-il dans les autres terres d’islam ? Au Moyen-Orient et au Maghreb, 85% des Jordaniens et des Palestiniens placent la religion au centre de leur quotidien. Ils sont 78% en Tunisie, 67% en Turquie et 59% au Liban. Les pourcentages les plus élevés sont enregistrés en Afrique Subsaharienne, dans des pays comme le Sénégal, où l’on frôle la barre des 100%. En Indonésie et en Malaisie, plus de 9 sondés sur 10 accordent une place de choix à la religion (93%) dans leur quotidien. 

 

50% estiment que les chiites ne sont pas musulmans

à la question : “Pensez-vous que les chiites sont musulmans ?”, 37% des Marocains estiment que oui, et 50% affirment que les chiites ne sont pas leurs frères de religion, le reste (13%) étant indécis. En Egypte, où les sunnites sont majoritaires, 53% des participants considèrent les chiites comme non musulmans, alors que 42% pensent le contraire. En Irak, les chiites sont considérés comme musulmans par 82% des sondés. Dans d’autres nations de l’islam, comme l’Indonésie, les sondés se disent “juste musulmans”, sans distinction.

 

71% ne sont pas favorables aux marabouts

Seuls 29% des Marocains estiment qu’il n’y a rien de mal à visiter des marabouts. Les autres (71%) considèrent cela comme anormal. En Tunisie, 36% du panel n’y voient pas d’inconvénient. Les plus stricts sur cette question restent l’Egypte et la Jordanie avec respectivement 4 et 3% des sondés, qui estiment que faire un tour du côté d’un saint n’est pas tolérable. A l’inverse du Liban, où aller se recueillir dans un marabout est considéré comme “halal” par 98% du panel.

 

41% affirment que les soufis ne sont pas musulmans

à peine 1 Marocain sur 100 dit appartenir à une confrérie soufie. Un autre chiffre parlant : 41% des sondés du royaume affirment que les soufis ne sont pas des musulmans et 16% n’ont aucune idée sur la question ou n’ont jamais entendu parler de soufis. En Jordanie, le soufisme est à peine plus populaire qu’au Maroc, avec 2% des sondés qui disent appartenir à cette confrérie, contre 3% en Irak. L’Egypte et le Liban enregistrent tous deux un taux de 9%. Sans surprise, le Sénégal est un monde de soufis, avec 92% des sondés se disant appartenir à cette communauté.

 

33% ont été élevés comme musulmans “tout court”

Voilà un sujet qui met tout le monde d’accord dans la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient : de fait, 100% des sondés (Marocains compris donc) estiment avoir été éduqués dans les préceptes de l’islam. En allant plus dans le détail des statistiques, on apprend  que deux tiers des Marocains (65%) ont été élevés en tant que musulmans sunnites et 33% comme musulmans “tout court”.

 

58% sont favorables à une lecture multiple des préceptes de l’islam

Les enquêteurs ont demandé aux sondés s’ils estimaient qu’il y avait une seule et unique manière d’appréhender l’islam. La réponse : 58% des Marocains se disent pour une interprétation multiple de l’islam, quand 34% sont pour une lecture monolithique. Sur cette question, Tunisiens et Marocains sont sur la même longueur d’onde. En Egypte, 78% des personnes interviewées disent que l’islam ne saurait être sujet à de multiples visions. Les Jordaniens n’en pensent pas moins, avec 76% des sondés en faveur d’une seule et unique lecture de l’islam.

 

2% ne croient pas forcément en Dieu

98% des sondés (marocains) pensent qu’il n’y a qu’un seul Dieu et que Mohammed est son prophète, conformément à la chahada qui constitue le premier (et principal) pilier de l’islam. Qu’en pensent les 2% restants ? L’étude ne répond pas à la question, mais par déduction, on peut dire qu’ils ne croient pas en Dieu et en Mohammed. Sont-ils athées, bouddhistes, animistes ? Allahou A3lam, Dieu seul sait !

 

33% ne font pas leurs prières

Deux Marocains sur trois disent accomplir leurs cinq prières quotidiennes. Le reste, 33%, ne fait pas ses cinq “salates” du jour, ou n’en fait aucune. Les égyptiens semblent moins portés sur la prière, puisqu’à peine 53% sacrifient à l’exercice. Les champions en la matière sont les Irakiens, avec 83% d’entre eux s’adonnant à la génuflexion cinq fois par jour. Et plus on avance dans l’âge, plus la proportion de prieurs augmente. Au Maroc, le taux passe ainsi de 61% de prieurs assidus chez les 18-34 à 79% pour les 35 ans et plus. 28% de l’échantillon marocain déclarent se rendre à la mosquée plus d’une fois par semaine, alors que 26% n’y vont que pour la prière du vendredi. Il y a aussi ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un jama3 (7% des Marocains et 9% des Marocaines).

 

1% n’ont jamais lu le Coran

Les Marocains lisent peu, et le Coran ne fait pas exception à la règle. Si 39% s’adonnent à la lecture du texte saint quotidiennement, la majorité (58%) ne révisent leurs classiques que sporadiquement. 1% de nos compatriotes n’ont jamais feuilleté le Coran. Les Jordaniens et les Palestiniens sont les premiers de la classe en matière de lecture du Coran, avec 52% qui se livrent à l’exercice une fois par jour. Ils sont 51% en Tunisie, 49% en Egypte et, en bas du classement, 31% au Liban.

 

8% ne donnent pas la Zakat

à en croire l’étude, les Marocains sont des âmes très charitables, puisque 92% d’entre eux affirment donner la Zakat, qui constitue un des piliers de l’islam. Nos compatriotes sont ainsi les plus “généreux” des musulmans de la zone Afrique du Nord/Moyen-Orient, même si 8% d’entre eux ne donnent pas un kopeck. 84% des Palestiniens mettent la main à la poche pour la Zakat, imités par 81% des Tunisiens et 70% des Egyptiens. Les plus charitables, selon l’étude, sont les Indonésiens, dont 98% redistribuent une partie de leurs revenus, et les Malaisiens (93%).

 

94% ne sont jamais allés à La Mecque

Le pèlerinage à La Mecque est un des piliers de l’islam, mais seuls ceux qui en ont les moyens doivent l’accomplir. Et il faut croire qu’ils sont une minorité, vu que seuls 6% se sont ainsi rendus dans le lieu saint pour accomplir leur devoir de croyant. Selon les auteurs du rapport, la faible proportion de Marocains à s’être rendue à La Mecque s’explique non pas par un manque de dévotion, mais essentiellement par l’éloignement géographique, qui occasionne d’importantes dépenses. Les Libanais et les Egyptiens, plus proches de La Mecque, comptent en revanche 20% de Haj.

 

3% ne croient pas au paradis

à la question : “Croyez-vous au paradis ?”, une écrasante majorité (97%) des Marocains ont répondu “oui”. Plus généralement, la croyance dans une vie après la mort est très largement répandue dans le monde musulman. Ainsi, 99% des Tunisiens sont convaincus de l’existence de l’éden, talonnés par les Irakiens et les Libanais (98%). Les Palestiniens, peut-être plus désabusés, ne sont en revanche que 88%…

 

2% ne font pas le ramadan

Parmi leurs frères africains et arabes, les Marocains sont les plus appliqués dans l’observation du jeûne, puisqu’ils sont 98% à faire ramadan (2% n’observent donc pas le jeûne). C’est du moins ce qu’affirment les sondés… Nos compatriotes sont suivis des Tunisiens (96%), viennent ensuite les Egyptiens (95%), les Palestiniens (94%), les Irakiens (94%), puis, les Libanais et les Jordaniens, avec respectivement 88% et 86% de jeûneurs.

 

6% pensent que les anges n’existent pas

Si pour 94% de Marocains, les anges, qui sont régulièrement cités dans les textes religieux, existent, la minorité qui croit le contraire est de l’ordre de 6%. Cela nous situe entre les Tunisiens, les plus “croyants” avec 99%, et les Jordaniens avec 90%. Les auteurs du rapports notent que plus les sondés sont pratiquants et accomplissent leurs prières, plus ils ont tendance à croire à l’existence des anges. C’est valable au Maroc comme ailleurs.

 

9% refusent l’idée de mektoub

91% des Marocains croient en le Qadar ou mektoub (la prédestination) selon les chiffres du rapport, mais 9% sont contre l’idée d’une vie toute tracée. En Tunisie, 98% des sondés pensent que rien ne sert de courir, tout est une question de mektoub. Les Libanais sont un peu moins fatalistes, avec 89% qui croient au Qadar.

 

10% pensent que l’enfer n’existe pas

Déni ou croyances à géométrie variable, seulement 90% des Marocains croient à l’enfer. Les Irakiens sont un peu plus nombreux, avec 93% des sondés persuadés de l’existence de la punition éternelle. La proportion des Libanais est de 97%. L’enfer est craint par 99% des Tunisiens, et “seulement” 85% des Palestiniens.

 

49% ne croient pas à El Mahdi El Mountadhar

La prophétie d’El Mahdi El Mountadhar, le “messie” dont le retour précéderait le jugement dernier, divise les Marocains. 51% y croient, 49% n’y croient pas. Libanais (56%), Tunisiens (67%) et Irakiens (72%) y croient plus. Palestiniens (46%), Jordaniens (41%) et Egyptiens (40%) y croient moins.

 

14% ne croient pas aux jnoune

Les djinns, ou jnoune comme on dit chez nous, sont pris au sérieux par 86% de nos compatriotes, contre 79% des Tunisiens, 73% des Libanais, 69% des Egyptiens, 67% des Palestiniens. Les Jordaniens et les Irakiens ferment la marche avec 58% et 55%. En Asie centrale, moins d’un habitant sur quatre de ces régions croient en l’existence des jnoune, à l’exception des Turcs, dont 63% sont persuadés de l’existence des esprits. Là encore, l’étude note une corrélation évidente entre pratique de la prière et croyance dans les jnoune. 3% des Marocains pensent qu’il est acceptable de faire des offrandes aux djinns. Plus généreux avec les djinns, les Libanais, qui sont 7% à penser qu’il est permis de leur offrir des présents. La totalité des sondés égyptiens s’accordent, quant à eux, à dire qu’il ne faut pas leur faire de cadeaux.

 

22% ne croient pas à la sorcellerie

Le s’hour, ou sorcellerie, reste un phénomène de société. Une grande majorité (78%) de l’échantillon marocain pense que la sorcellerie n’est pas une vue de l’esprit, contre 22% seulement qui n’y croient pas. Les Tunisiens sont encore plus “croyants” (89%), au contraire des Irakiens (50%), Jordaniens (26%), Libanais (23%), Egyptiens (16%) ou Palestiniens (14%). Remarque importante : si les Marocains croient majoritairement au s’hour, seuls 3% d’entre eux estiment que cette pratique est “acceptable”, autrement dit halal, en islam.

 

20% refusent le mauvais œil

Le Ta9was, sport national ? C’est ce que pense une majorité de Marocains du panel, soit 8 personnes sur 10. 20% cependant n’y croient pas. Les Tunisiens sont en revanche plus nombreux (90%) à redouter le regard qui tue. Les taux les plus faibles sont enregistrés chez les Libanais (50%) et les Palestiniens (59%).

 

7% portent un talisman

Moins d’un Marocain sur 10 (précisément 7%) portent un talisman, généralement une Khmissa ou H’jab, sur eux. Cela dit, ne pas porter amulette et grigris ne signifie pas qu’on n’en possède pas. Ainsi, 16% des Marocains disent avoir des objets pour conjurer le mauvais œil. Les Tunisiens sont nettement plus nombreux (47%), les Irakiens (42%), les Libanais (33%) et les Egyptiens (29%).

 

34% ont recours aux services d’un fqih

Un Marocain sur trois déclare avoir recours aux guérisseurs traditionnels quand lui ou un membre de sa famille tombe malade. Ils sont 24% dans les territoires palestiniens, et un peu moins (20%) au Liban. Ce taux grimpe en Irak à 46%, en Egypte à 44% et en Tunisie à 41%.

 

18% ont assisté à une séance d’exorcisme

Si les séances d’exorcisme ne semblent pas intéresser une grande majorité de Marocains, ils sont tout de même 18% à avoir été témoins au moins une fois dans leur vie d’une telle expérience contre 11% des Palestiniens, 7% des Egyptiens et des Jordaniens. 6% des Irakiens et des Tunisiens ont également assisté à une session d’exorcisme en live contre 3% des Libanais.

 

98% sont opposés à l’idée de communiquer avec les morts

Pas question d’invoquer des proches ou des ancêtres décédés, répond l’écrasante majorité des sondés. Au Maroc, ils sont seulement 2% à juger cela  acceptable, quand 98% s’y opposent. Idem en Tunisie, en Jordanie et en Egypte. Autre topo chez les Libanais et les Irakiens, où communiquer avec l’au-delà est toléré par respectivement 22% et 28% des sondés.

 

94% estiment que la danse est (un peu) haram

Au Maroc, seulement 6% du panel jugent qu’il est acceptable de célébrer Dieu en dansant, contre 16% des Egyptiens ou 27% des Libanais. Dans le monde musulman, ce sont les Turcs qui arrivent premiers avec 72% de oui. Normal, au pays des derviches tourneurs, le danseur est roi.

 

96% possèdent des inscriptions coraniques dans leur maison

A la question de savoir s’ils ont des inscriptions coraniques (versets et sourates principalement) à la maison, les Marocains et les Irakiens arrivent premiers du classement, avec 96%. Ils sont suivis par les Tunisiens (95%), les Libanais (93%), les Palestiniens (91%). Plus loin, on retrouve les Egyptiens (85%) et les Jordaniens (77%). De même que les talismans, notent les auteurs du rapport, ces inscriptions sont d’abord censées repousser le mauvais œil et l’infortune.

 

Pew research center. Fact think, pas think tank

Relevant du Times Mirror (ancêtre du Los Angeles Times), le PEW research center est un prestigieux centre de recherche américain basé à Washington. Il se présente plus comme un “fact tank” qu’un think tank. Son cœur de métier consiste donc à rapporter des chiffres, beaucoup de chiffres. Le PEW research center se définit comme non partisan et s’interdit de prendre des positions politiques ou d’émettre des recommandations. Financé par une organisation caritative, son travail s’articule autour de nombreux projets, dont “The Pew Forum on Religion & Public Life”, qui a produit ce dernier rapport. Le PEW research center est présidé par Andrew Kohut, un ancien de l’organisation Gallup, entreprise spécialisée dans les sondages d’opinion.

 

 

Enquête. Musulmans du monde, mais pas tous…

L’enquête du PEW a ratissé large, très large. Menée dans 39 pays musulmans, de la Tanzanie à l’Albanie, en passant par la Jordanie, la Turquie, la Thaïlande, la Russie. Et, bien sûr, le Maroc. Autant de pays dont la religion officielle est l’islam ou qui disposent de fortes minorités musulmanes. Au total, 38 000 personnes ont été interviewées, en face à face et dans plus de 80 langues. Au Maroc, l’opération s’est déroulée entre novembre et décembre 2011, et a concerné 1474 personnes âgées de 18 ans et plus, issues de quinze régions du pays. Les entretiens ont été conduits en langues arabe et française. Loin du pavé académique indigeste, cette enquête se présente comme une mappemonde des croyances et pratiques

à travers le monde musulman. Une étude partielle néanmoins, puisqu’elle fait l’impasse sur des nations “majeures” de l’islam, comme l’Iran,  l’Arabie Saoudite, l’Algérie et plusieurs autres pays du Golfe, qui ne font pas partie des pays sondés. Pour quelle raison? à cause de “la sensibilité du sujet”, et pour éviter d’éventuels “soucis pour la sécurité des enquêteurs”, répond le centre PEW. Mieux, dans certains pays, les sondeurs ont dû “zapper” certaines questions jugées blasphématoires par des sondés, comme celle où il s’agissait de demander  aux interviewés s’ils étaient convaincus que “le Coran était la parole de Dieu”.

 

Plus loin. Chacun son islam

Le document du Pew Research Center fait écho à un autre document, L’Islam au quotidien (Ed. Prologues, 2007). Le livre du trio de chercheurs Mohamed Tozy – Mohamed El Ayadi – Hassan Rachik sondait, et surtout analysait, le comportement religieux du Marocain moyen (lire TelQuel n°301). L’enquête américaine complète ce travail en le recoupant, en le croisant, voire en le complétant. Elle est neutre et se contente de ressasser des chiffres et des faits (et c’est déjà très bien comme ça). Mais elle a l’avantage d’explorer des zones vierges (du genre : combien sont-ils à ne pas jeûner, à ne pas croire en Dieu ?), d’offrir des éléments de comparaison intéressants avec ce qui se fait dans le reste du monde musulman. Surtout, elle a le mérite d’être la première étude de terrain sérieuse, et à grande échelle, à avoir vu le jour depuis le déclenchement du Printemps arabe. Elle nous rapproche donc encore plus de l’autre, celui qui habite en terre d’islam, qui est catalogué musulman, qui l’est sur le papier mais sans l’être dans les faits et pratiques de la vie quotidienne. Elle nous met, en fait, devant le musulman non pratiquant, voire non croyant. Parce qu’il existe aussi, l’hypocrisie sociale, et même politique, ne pourra pas le cacher. Sonder ce “musulman-là”, cette minorité, ne serait-ce que par petites touches, voilà qui nous apporte un plus. Précieux. Youssef Ziraoui

 

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