Reportage. L’art islamique, le vrai

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Le 8ème département du Louvre ouvrira ses portes en septembre. Une des plus riches collections d’art de l’islam va enfin être présentée au public, après des années de travaux. Visite guidée.

Longtemps annexés au département des antiquités orientales et confinés dans des salles très compartimentées, les arts de l’islam ont désormais leur propre espace au sein du prestigieux musée du Louvre, à Paris. Autonomes depuis 2003, ils prennent en ce moment leurs quartiers dans la salle de la Joconde, avoisinant les collections de l’Antiquité tardive de la Méditerranée orientale, les skouroi de Grèce préclassique, l’Egypte copte et romaine et les œuvres de Phénicie ou de Palestine. Après quatre ans et demi de travaux, les ouvriers ont quitté le gigantesque chantier de la cour Visconti et les scientifiques s’apprêtent à installer près de 2500 œuvres dans cet écrin de choix.

 

Design contemporain

Le résultat est une réussite esthétique, aux effets changeants selon la lumière, qui installe avec élégance l’architecture contemporaine dans ce bâtiment historique. A l’intérieur, on se sent toujours dans le palais, grâce à la transparence des baies vitrées. L’espace est lumineux et sobre à la fois, avec des sols de béton noir incrusté de copeaux de laiton pour accrocher le soleil. Le dessous de l’escalier prend la forme bombée d’une coque de bateau, et certaines œuvres s’intègrent à l’architecture, comme ce porche mamelouk du XVIIème siècle, arrivé à Paris fin XIXème et longtemps oublié dans des caisses. Les espaces creusés sous la galerie Daru permettront d’abriter les œuvres les plus fragiles, comme les arts du livre ou les tapis. Au final, ce sont 2800 m2 d’espaces muséographiques sur deux niveaux, soit le triple de ce que la collection occupait précédemment.

Et ce n’était pas de trop pour les 18 000 pièces qui constituent aujourd’hui le fonds du Louvre. Si certaines œuvres sont arrivées dès la création du musée, avec la nationalisation des collections royales à la Révolution française, c’est surtout vers la fin XIXème qu’il a pris de l’ampleur. Beaucoup de dons et une politique d’achat depuis près d’un siècle et demi ont rassemblé près de 15 000 pièces, dont d’éminents chefs-d’œuvre couvrant une période du VIIème au XIXème siècle, avec une excellente représentation du Moyen-Age islamique. En passant du plat au porte-étendard illustrant les premiers empires aux Fatimides, de l’Andalousie à l’Iran, des Safavides à l’Inde moghole et de l’Egypte aux Ottomans, on découvre un éventail très complet des techniques : architecture, tapis, ivoires, métaux, céramique, livre…

La collection s’enrichit aujourd’hui d’un dépôt du musée des Arts décoratifs, 3400 pièces illustrant surtout les XVIème-XVIIIème siècles. Deux collections constituées de façon complémentaire, car concertée, les deux musées étant voisins et les conservateurs du Louvre siégeant dans le conseil d’administration des Arts déco. A l’occasion de ce grand projet, un travail d’inventaire et de documentation exhaustif a été réalisé. Des nuées de restaurateurs se sont penchés sur 3500 pièces, les photographes et les documentalistes ont complété les données disponibles. Nombre de livres, de catalogues, d’audioguides, de dispositifs multimédia et tactiles à destination des enfants et des malvoyants, ainsi que des documentaires sont en préparation.

 

Balayer les préjugés

Coût total de l’opération : près de 100 millions d’euros, dont la restauration des façades et des collections. Le Louvre et l’Etat français en assument le tiers, le reste est versé par des mécènes, dont le roi du Maroc, Al Waleed Bin Talal Al Saoud, l’émir du Koweït, le sultan d’Oman et l’Azerbaïdjan. Vingt ans après la réalisation de la Pyramide, ce sont les travaux les plus importants envisagés par le Louvre, qui a par ailleurs fait un appel à des dons complémentaires pour obtenir les dix millions d’euros manquants à la réalisation de ce projet. Mais c’est l’enjeu symbolique qui est encore plus considérable.

L’ouverture des nouvelles salles donne certes l’occasion d’un redéploiement des collections, mais surtout d’un plaidoyer renforcé pour une autre image de cette civilisation. Sophie Makariou, conservatrice en chef du département depuis 2009, travaille depuis 2002 sur le projet. Historienne et diplômée de Langues O’, cette élève de Lucette Valensi (la spécialiste de l’islam méditerranéen) a œuvré ardemment à sa réalisation. Avec Renaud Piérard, qui a signé la muséographie avec Mario Bellini, elle a concocté un parcours chronologique, destiné à faire comprendre les grands mouvements de fond. Objectif : simplifier. “On ne raconte pas l’histoire de l’islam avec 30 dynasties, car l’histoire de l’art ne suit pas forcément celle des dynasties et ça perd le public. Nous voulons que les gens puissent avoir une vision plus claire, tout en leur faisant sentir la complexité”, explique Sophie Makariou.

L’idée est aussi de montrer les interactions entre Arabes, Turcs, Persans, à travers l’absence de cloisonnement. La nouveauté : la présentation du matériel des fouilles de Suze, au sud de l’Iran, car “ce fond archéologique aborde d’autres questions que la collection constituée par achats : on évoque la production des objets, leur circulation, des questions plus économiques qu’une collection de chefs-d’œuvre”. En contextualisant les explications, Sophie Makariou souhaite attirer l’attention sur l’importance des villes comme lieux de production de culture ou sur la diversité des langues inscrites dans les caractères arabes, qu’elle donne à entendre via des stèles audio qui diffusent de la poésie. Elle cite d’ailleurs Soliman le Magnifique, qui parlait le turc ottoman, le tchaghataï, l’arabe et le persan.

Ici, il s’agit surtout de balayer des préjugés sur cette culture, comme le prétendu interdit de la représentation : “L’image est très ancrée dans la tradition, il y a une abondante iconographie sur le prophète. Mais seulement à l’échelle miniature, pas à l’échelle habituelle…”

Son casse-tête du moment ? Monter un à un les 572 carreaux de céramique ottomane pour constituer un mur de 12 mètres de long sur 3 de haut, et rappeler  que ces œuvres étaient intégrées aux bâtiments et ne se regardaient pas comme des tableau. Un travail admirable au service de collections publiques. Et si on en prenait de la graine ?

 

 

Zoom. Trois chefs-d’œuvre

 

Le Baptistère de Saint Louis

“C’est un cas unique au monde”, explique Sophie Makariou. Ce bassin, constitué d’un alliage de cuivre incrusté d’or et d’argent, a été réalisé probablement en Syrie vers 1340 et est arrivé à la cour de France au terme d’un long périple. Pendant des siècles, il a servi au baptême des Enfants de France, avant d’entrer, avec les collections royales, dans les premières collections du Louvre en 1793.

 

La Pyxide au nom d’Al-Mughira

On l’appelle “La Boîte de Pandore”. Datant de 968, cette petite boîte en ivoire d’éléphant finement gravé est un condensé d’histoire. Elle présente des médaillons illustrant les plaisirs princiers (la musique, la chasse), et d’autres qui ont longtemps posé des problèmes d’interprétation. “La pyxide porte le nom du fils du calife Abderrahman III, dont l’assassinat a mené à la fitna et à l’effondrement du califat omeyyade de Cordoue. Cette iconographie complexe a abouti à la réécriture de l’histoire”, raconte Sophie Makariou.

 

Plat à décor épigraphique

“C’est la beauté sur terre”, s’émerveille Sophie Makariou. Dans ce plat de céramique réalisé à Samarcande vers les Xème-XIème siècles, on est frappé par la beauté de l’écriture, la simplicité et l’équilibre visuel, avec le motif central inspiré du yin et yang. L’inscription, elle, est un adage : “Le goût de la magnanimité est amer au début, mais à la fin devient plus doux que le miel”.

 

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