Istiqlal. Le combat des chefs

Le vieux parti se retrouve sans leader. Sur fond de duel entre Hamid Chabat et Abdelouahed El Fassi, la formation politique est aujourd’hui au bord de la scission.

Le Parti de l’Istiqlal a frôlé l’implosion lors de son 16ème congrès, qui s’est déroulé du 29 juin au 1er juillet. Un rendez-vous où, pour la première fois de son histoire, le PI n’a pas réussi à trouver de consensus autour de son futur leader. Deux jours avant le démarrage du congrès, Hamid Chabat, patron de l’UGTM (Union générale des travailleurs du Maroc) et maire de Fès, avait mis le feu aux poudres en se portant candidat au poste. Selon lui, il s’agit de mettre un terme au “règne” des El Fassi en contrant Abdelouahed El Fassi —fils de Allal, leader historique de l’Istiqlal. Aujourd’hui, malgré de multiples tentatives de médiation, les discussions concernant la situation est au point mort. La guerre entre les deux camps se poursuit sur les colonnes des journaux ainsi que dans les régions où chacun des deux candidats essaie de mobiliser le maximum de membres du conseil national (850). En effet, c’est cette instance qui élira le futur SG, au plus tard au mois de septembre prochain.

Les Istiqlaliens se rebellent

“Le peuple veut le changement”, “Non au parti de la famille !” ou encore “Le peuple dit non à l’hérédité !” Ces slogans n’ont pas été scandés par des militants du Mouvement du 20 février venus jouer les trouble-fête au congrès de l’Istiqlal, mais par Hamid Chabat, porté sur les épaules des siens et sillonnant la salle couverte du complexe Moulay Abdellah de Rabat (qui a abrité la grand-messe istiqlalienne). Et aujourd’hui encore, le maire de Fès ne veut pas lâcher prise. Il passe même à un stade supérieur pour accuser le clan El Fassi, en la personne du SG sortant, de mauvaise gestion du parti, de ses structures et ses biens. Toutefois, Hamid Chabat, qui se présente comme le candidat du renouveau, est loin de faire l’unanimité. “Je refuse de militer dans un parti dirigé par quelqu’un comme Hamid Chabat. C’est une question de style et de méthode”, nous confie une militante. “Nous avons longtemps attendu ce moment pour nous débarrasser d’un secrétaire général à qui le scandale “Annajat” a toujours collé à la peau. Et nous ne voulons pas nous retrouver avec un autre qui traîne d’autres affaires peu glorieuses”, renchérit un congressiste de Salé. Les poursuites judiciaires contre les fils de Chabat sont sur toutes les langues et le candidat à la succession d’El Fassi est accusé de briguer le poste de SG afin de couvrir ses arrières. “Ils peuvent affirmer ce qu’ils veulent. Notre priorité, c’est de secouer le cocotier et de dire que l’on ne peut plus continuer à fonctionner comme il y a des décennies. Le parti appartient à tous les Istiqlaliens”, réagit Abdelkader El Kihel, patron de la jeunesse du PI et l’un des principaux soutiens de Hamid Chabat. En fait, le duel entre le clan Chabat et les El Fassi cache un bras de fer qui ne date pas d’hier. 

Querelles de famille

Au moment de la formation du gouvernement Benkirane, Hamid Chabat voulait imposer quelques protégés au sein de l’Exécutif comme Abdelkader El Kihel et Ghalia Sebti. Abbas El Fassi et le comité exécutif lui avaient alors opposé leur veto, préférant placer les leurs, à l’instar de Mohamed El Ouafa et Nizar Baraka, respectivement beau-frère et beau-fils de Abbas El Fassi. Ce sera la goutte qui a fait déborder le vase entre les deux clans. Le maire de Fès, fort de la présidence de l’UGTM, du soutien de la jeunesse et des notables du Sahara ainsi que de ceux du nord du pays, est passé à la vitesse supérieure dans sa guerre contre le clan El Fassi. Il a commencé par imposer les siens dans la composition du comité préparatoire du 16ème congrès, pour surveiller ce qui s’y passe et orienter les grandes décisions, notamment celles concernant l’amendement des statuts du parti. Il brouille les pistes à propos d’une possible candidature au poste de SG en apportant publiquement son soutien à l’ancien ministre Adil Douiri. Et, en même temps, nous confient des sources internes, il fait miroiter monts et merveilles à Mohamed El Ouafa. En fin de compte, dans un revirement très inattendu, il annonce sa propre candidature, quelques jours seulement avant le congrès. “D’abord, on avait cru à une stratégie savamment étudiée pour imposer un quota au sein du comité exécutif et se retirer”, admet un dirigeant istiqlalien. Sauf que Hamid Chabat a décidé de jouer la partie jusqu’au bout en maintenant sa candidature. Quitte à risquer une implosion du parti… “Cette affaire a pris trop d’ampleur. Hamid Chabat doit à présent entendre raison”, explique un cadre de l’Istiqlal. De son côté, Abdelouahed El Fassi, ancien ministre de la Santé, garde le silence et s’interdit toute déclaration à la presse. Néanmoins, tout comme Chabat, il sillonne actuellement les régions du pays et multiplie les rencontres avec les militants pour les convaincre avant le scrutin de septembre prochain, qui sera décisif.

Une troisième voie ?

Passer par l’épreuve des urnes lors de la prochaine session du conseil national sera une autre première dans la vie du parti de la balance, qui n’a jamais eu recours aux élections pour désigner son patron. Mais ce scénario n’est pas le seul possible. D’ici septembre, la médiation pour trouver un terrain d’entente entre les deux candidats va continuer, sous la supervision du conseil de la présidence (M’hamed Boucetta, M’Hamed Douiri et Abdelkrim Ghellab). Elle est menée par un groupe de jeunes dirigeants istiqlaliens. “L’idéal serait que l’un des deux candidats se désiste et prenne le poste de président du conseil national nouvellement créé”, nous confie un dirigeant de l’Istiqlal. L’autre scénario possible serait une réédition du congrès de 1998, quand les Istiqlaliens avaient opté pour un troisième candidat, Abbas El Fassi, pour éviter une confrontation, par les urnes, entre M’hamed Boucetta et M’hamed Douiri, deux poids lourds du PI. “Nous allons sonder toutes les pistes pour éviter le recours au vote”, affirme une source à l’Istiqlal. Des noms ? Mohamed Al Ansari, qui a présidé ce 16ème congrès, ou encore l’ancien ministre Mohamed Saâd Alami, figure respectée dans les rangs du parti, voire des jeunes leaders comme Taoufiq Hejira et Karim Ghellab. “Ce qui nous intéresse le plus, c’est de préserver l’unité de notre parti. Il nous faut un secrétaire général qui puisse gérer le contexte délicat que vit notre pays”, répond un membre du comité exécutif sortant. Mais la tâche ne sera pas aisée car, même au sein du conseil de la présidence et du comité exécutif, les prétendants au poste de SG ne font pas l’unanimité…

 

Statuts. Ce qui a changé

L’une des grandes nouveautés de ce 16ème congrès est la création du poste de président du conseil national. Mais d’autres amendements, non moins importants, ont été introduits dans les statuts du PI. Ainsi, le candidat au poste de secrétaire général devra justifier d’un seul mandat au sein du comité exécutif (avant la tenue du congrès). C’est d’ailleurs cet amendement qui a été utilisé pour barrer la route à Mohamed El Ouafa. Le nombre des membres de la direction, lui, passe de 22 à 27 élus, auxquels viendront s’ajouter les directeurs des deux quotidiens du parti (Al Alam et L’opinion) ainsi que les trois membres du conseil de la présidence. Abbas El Fassi, malgré les moments difficiles qu’il a vécus lors du congrès, est pressenti pour rejoindre ce conseil des sages où ne siègent plus que trois personnes depuis le décès de Aboubakr Kadiri : Abdelkrim Ghellab, M’hamed Douiri et M’hamed Boucetta. Quant aux grandes orientations, l’Istiqlal reste fidèle à son discours de toujours sur les “constantes” du pays, notamment la défense de l’intégrité territoriale et une politique du juste milieu. Soit l’essentiel de la pensée de son leader historique, Allal El Fassi, dont le livre L’autocritique est cité à tout bout de champ.

 

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