Cactus. Qui s’y frotte s’y pique

Dans l’industrie du cactus, rien ne se perd puisque tout peut être transformé en produit à forte valeur ajoutée. Voyage au cœur d’une filière aussi épineuse que juteuse.

L’kermouss l’hendi, hendia, figues de barbarie… sont autant d’appellations qui désignent un même fruit. Il y a ceux qui savourent son goût unique et ceux qui le méprisent. Pourtant, de la cueillette à l’assiette, en passant par le commerce et la charrette, la figue de barbarie génère chaque été des milliers d’emplois. Sa richesse, à la fois économique et thérapeutique, est aujourd’hui indiscutable. En témoigne le business qui se développe autour de cette plante, qui cache en réalité une mine d’or “vert” jusqu’ici inexploitée.

Planté dans l’ensemble des régions du royaume, on estime à 120 000 hectares les surfaces dédiées au cactus. L’essentiel des récoltes provient des régions de Aït Baamrane (40 000 hectares), Souss (48 000 hectares) et Rhamna (26 000 hectares). La première vraie chaîne de transformation de ce fruit a d’ailleurs vu le jour à Skhour Rhamna, près de Kelaât Sraghna, en 2011. Cette usine, qui appartient à “Confins du Maroc” (entreprise spécialisée dans la production d’huile de cactus et de poudre des raquettes, tournée à 90% vers l’export), réunit dans son tour de table deux noms bien connus des marchés financiers : Jalal Houti et Hassan Aït Ali, les deux cofondateurs de la banque d’affaires Upline. Quant au DG de l’entreprise, il s’agit également d’un ancien d’Upline, Hicham Benjilali. Les trois hommes ont compris que les figues de barbarie pouvaient devenir un marché juteux mais à forte concurrence. Car ces investisseurs doivent composer avec l’arrivée imminente d’Inovag Processing, un nouveau venu qui affiche ses ambitions. “Nous avons investi 10 millions de dirhams et comptons employer 20 permanents et 120 saisonniers dans notre usine, qui est en cours d’achèvement, à Skhour Rhamna”, nous confie Adnane Benbrahim, le cofondateur de l’entreprise. Après deux ans de maturation, son projet a fini par intéresser un capital-risqueur puisque la moitié du capital est aujourd’hui détenue par le Fonds d’innovation pour l’agriculture, lancé par le groupe OCP. Dotée d’une capacité de traitement de 100 tonnes par jour, cette nouvelle usine ambitionne de révolutionner le mode de consommation de la figue de barbarie chez les Marocains. Contrairement à Confins du Maroc, Inovag cible, dans un premier temps, une clientèle locale. Le cactus frais, avant qu’il ne soit livré aux grandes surfaces ainsi qu’au circuit traditionnel, y est relooké, conditionné, emballé et même labellisé. “Nous avons conçu nous-mêmes la machine qui retire les épines, et douze autres brevets ont été déposés”, souligne Adnane Benbrahim. D’autant que, dans ce genre de business, rien ne se perd : le fruit, la raquette, la fleur, tout est utilisé, donnant tour à tour de la confiture, du jus, du sirop, du vinaigre, du savon et même du shampoing !

Vertus thérapeutiques

Riche en acides gras, en vitamine E et en stérols, l’huile issue de pépins de cactus est un redoutable anti-rides naturel. Pas étonnant donc qu’elle se soit fait une place de choix chez les majors de la cosmétique. Même le tourteau (résidu) qui reste après l’extraction donne d’excellents produits et les centres de spa en raffolent. Par ailleurs, d’un point de vue thérapeutique, la raquette est utile dans le traitement du diabète et dans les produits amaigrissants.

Côté prix, un litre d’huile de cactus se négocie entre 4000 et 10 000 dirhams, en fonction de la qualité de la matière première —la meilleure figue provenant de Sidi Ifni— et du mode d’extraction, selon qu’il soit artisanal ou bien industriel. Quant au fruit, dans des conditions normales, une caisse de 20 kilos peut se vendre entre 30 et 50 dirhams. Mais les années où le chergui souffle fort, comme en 2011, les tarifs s’envolent jusqu’à 200 dirhams la caisse de 20 kilos, soit de un à trois dirhams la pièce.

Mais “pour obtenir un litre d’huile, il faut compter environ 26 kilos de graines, soit 800 kilos de fruit”, précise Noureddine Mhenni, un banquier retraité reconverti dans le commerce des produits dérivés de la hendia. Originaire du nord de Souk Larbaâ, il a investi 50 000 DH dans une petite fabrique artisanale de savon, lait corporel, crème hydratante, baume à lèvres… “Je suis un pur autodidacte, je n’ai jamais rencontré un maître savonnier. J’ai tout appris sur Internet”, raconte-t-il, fier. Son huile est désormais disponible chez deux petits distributeurs basés à Casablanca et à Rabat, sous forme d’un flacon de 15 ml à 150 dirhams.

Coup de pouce royal

Si les sociétés poussent comme des champignons, rares sont celles qui ont pu accéder au marché de l’export, tant les normes de calibrage et d’étiquetage exigées aux portes de l’Europe paraissent insurmontables pour les petites structures. Idem pour les coopératives, à quelques exceptions près, comme la fameuse Aknari (cactus en berbère), dont la production est presque exclusivement destinée à l’export. Située dans le petit village de Sbouya, à Guelmim, cette coopérative —qui compte une cinquantaine de femmes— bénéficie du soutien financier de Oxfam, une agence canadienne de développement, et de l’ambassade japonaise à Rabat. De plus, la visite de Mohammed VI il y a quatre ans lui a donné un véritable coup de pouce. Dans le village, on raconte même qu’Aknari aurait reçu une importante commande royale. “Lors de sa visite en décembre 2007, le roi a été satisfait de la pertinence du projet”, se souvient sa dirigeante, Nezha Lanfar.

De manière générale, il convient de noter que le cactus est peu valorisé dans notre pays ; c’est sans doute ce qui est à l’origine d’un marché parallèle de graines de hendia. “On expatrie de l’or vert à un prix dérisoire et, dans les souks, les étrangers viennent acheter des pépins de cactus à 30 dirhams le kilo. J’ai bien peur que le cactus finisse par connaître le même sort que l’argan, dont les graines se font de plus en plus rares”, s’inquiète Abderrahmane Aït Hamou, président de l’Association nationale pour le développement de cactus (ANADEC). A juste titre. 

 

Déco. Hendia de luxe

Connu pour son efficacité dans la lutte contre la désertification, le figuier sert aussi à la décoration des jardins de luxe. C’est d’ailleurs le fonds de commerce choisi depuis 40 ans par l’entreprise marrakchie Cactus Thiemann, du nom de son fondateur allemand. A la mort de ce dernier, sa femme et sa fille ont pris le relais pour faire fructifier l’entreprise familiale. “Nous avons des plantes âgées de 70 ans, originaires des pays d’Amérique Latine, avec des prix qui varient selon les variétés”, affirme Fatima Feriati-Thieman, directrice de production, sans révéler aucune fourchette, même approximative. Mais l’on sait au moins, qu’entre autres, c’est Thiemann qui a planté certains figuiers très célèbres comme celui du Jardin Majorelle, celui de la Mamounia, celui de la villa Oasis de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent… Plus récemment, c’est encore Cactus Thiemann qui ont fourni les cactus de Dar Al Mamoun, ceux du golf de Samanah ou encore celui du riad de la famille Hermès. De quoi faire réfléchir ceux pour qui la hendia est synonyme de plante tout juste bonne à occuper les terrains vagues !

 

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