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Gestion déléguée des déchets : pourquoi ça ne marche (toujours) pas ?

Malgré une longue expérience avec la gestion déléguée de la propreté publique, celle-ci reste bien en deçà des attentes des citoyens, en particulier à Casablanca. Décryptage.

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Les Marocains produisent près de sept millions de tonnes de déchets ménagers par an. Ce n’est pas une surprise, à elle seule, Casablanca en génère plus d’un sixième, selon les statistiques fournies fin 2020 par le portail officiel de la métropole sur Internet, Casablancacity.ma.

La capitale économique consacre à ses déchets un budget annuel de plus d’un milliard de dirhams (1,07 milliard TTC, pour être précis) à travers les différentes conventions de gestion déléguée en vigueur depuis 2019. L’enveloppe inclut le financement d’une flotte de 373 véhicules et d’un parc de 35.700 conteneurs et bennes, manœuvrés par environ 6000 agents de nettoyage.

Depuis plus de 20 ans, la plupart des villes du royaume ont choisi de déléguer la gestion des déchets ménagers à des entreprises ou à des groupements d’entreprises privées. Ce mode de gestion déléguée est aujourd’hui utilisé par 80% des communes urbaines, seules 20% conservant la gestion directe de la collecte des déchets.

La raison de ce –grand– écart ? La gestion directe par les services communaux bute sur “plusieurs contraintes qui sont liées principalement à la gouvernance au niveau des services communaux, à l’équipement vétuste et mal entretenu, aux infrastructures insuffisantes et au déficit des ressources humaines en termes de qualification et de motivation”, explique à TelQuel un enseignant-chercheur en rudologie urbaine, la science qui analyse les modes de production de déchets.

Le chercheur pointe par exemple l’absence d’un système harmonisé visant l’évaluation du budget alloué à chacune des composantes du cycle de gestion des déchets depuis la collecte jusqu’au traitement.

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Chasse aux points noirs

 

La gestion déléguée, censée améliorer la qualité du service rendu au citoyen, implique, d’après notre source, plusieurs prérequis. “Il y a d’abord le renouvellement du parc des véhicules de propreté, puis l’adéquation du matériel apporté par rapport aux besoins des tissus urbains et aux normes d’hygiène et d’environnement et l’introduction de nouvelles prestations telles que le lavage et le balayage mécanique, mais aussi l’amélioration du service rendu au citoyen et la mobilisation des ressources financières pour l’acquisition des équipements nécessaires”, dénombre l’universitaire.

Ce dernier mentionne également l’éradication progressive des points noirs grâce au renforcement des moyens humains et matériels, l’utilisation de nouvelles méthodes d’organisation et de gestion et enfin l’amélioration de la communication avec le public. Théoriquement, la gestion déléguée apporte une contribution salutaire à la mission de service public des conseils communaux.

“Il y a une confusion entre l’obligation de résultat contenue dans les contrats de gestion déléguée de la propreté publique et le résultat attendu par les habitants”

Un gérant d’un bureau d’études de suivi des contrats de gestion déléguée

Mais en pratique, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes des citoyens, particulièrement à Casablanca, dont les habitants dénoncent des dizaines de points noirs d’insalubrité. Pourquoi ? “Il y a une confusion entre l’obligation de résultat contenue dans les contrats de gestion déléguée de la propreté publique et le résultat attendu par les habitants. La mission des sociétés de gestion déléguée de la collecte des déchets ménagers est encadrée par un contrat et un cahier des charges. Celui-ci est conditionné par les budgets alloués par les communes. Si un délégataire est payé pour effectuer une seule tournée par jour dans un quartier très dense en population et en activités commerciales, il n’ira pas plus loin que ce que stipule son cahier des charges. Les riverains, eux, auront néanmoins l’impression que leur quartier est sale”, explique un gérant d’un bureau d’études de suivi des contrats de gestion déléguée.

Aussi, dans le périmètre urbain de Casablanca, de gros producteurs génèrent une quantité importante de déchets à la collecte, ce qui cause une perturbation de l’organisation du ramassage et traitement : en raison du dépassement du tonnage prévisionnel sur la base duquel le dimensionnement des moyens matériels a été établi dans l’offre technique du délégataire.

Il faut comprendre que la gestion déléguée de propreté publique concerne, dans la plupart des cas, la collecte des déchets ménagers, c’est-à-dire produits par les ménages. Dans nos villes, ces déchets sont mélangés avec ceux produits par les établissements de restauration, ceux générés par le secteur médical ou encore les déchets industriels et du BTP”, constate notre source.

Les mises en garde de la Cour des comptes

En mars dernier, la Cour des comptes a critiqué dans son rapport annuel au titre des années 2019 et 2020 la non-exécution des engagements contractuels par les parties aux contrats de gestion déléguée, “notamment en ce qui concerne les programmes d’investissement à réaliser par les délégataires et le retard de paiement des prestations par les communes”.

Pour les auteurs, “le cumul des arriérés de paiement ne favorise pas l’instauration d’un climat de confiance entre les parties contractantes, et impacte le pouvoir du délégant d’exercer le rôle de suivi et de contrôle qui lui est attribué”.

Ceci expliquerait, partiellement, l’augmentation des prix des sociétés soumissionnaires. Il s’agit pour elles de se prémunir contre les risques encourus : retards de paiement ou renchérissement des prix, désormais non pris en charge, après l’annulation de l’article relatif à la révision des prix dans les nouveaux contrats de gestion déléguée.

“Lorsque la société de gestion déléguée n’est pas payée à temps par la commune, elle se retrouve dans l’impossibilité de rémunérer à temps les agents de la propreté publique. Résultat : des grèves et une aggravation de l’insalubrité dans nos rues”

“Lorsque la société de gestion déléguée n’est pas payée à temps par la commune, elle se retrouve dans l’impossibilité de rémunérer à temps les agents de la propreté publique. Résultat : des grèves et une aggravation de l’insalubrité dans nos rues”, soutient le gérant du bureau d’études.

Pour y remédier, la Cour des comptes propose de réviser la vision et le modèle économique de ces gestions déléguées. En passant d’une approche basée principalement sur la collecte et l’enfouissement à une nouvelle approche visant la réduction des déchets ménagers, le tri à la source ou au moment de la mise en décharge, et un maximum de recyclage et de valorisation des déchets.

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