Un tiers des enfants confrontés au cyberharcèlement dans les espaces numériques, selon le CESE

Adopté à l’unanimité lors de sa 156e session ordinaire du 28 mars 2024, l’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), intitulé “Pour un environnement numérique inclusif et protecteur des enfants” met en lumière les opportunités, mais surtout les dangers que ces plateformes présentent pour les enfants, tout en formulant des recommandations pour un encadrement efficace.

Par

DR

Les réseaux sociaux occupent une place centrale dans la vie des enfants et adolescents. Selon l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), 66% de la population marocaine utilise ces plateformes, y compris les enfants de 5 à 18 ans. À travers ces espaces virtuels, les jeunes accèdent à des ressources éducatives, stimulent leur créativité et interagissent avec leurs pairs. Cependant, cette utilisation n’est pas sans risques.

Le rapport du CESE alerte sur les dangers psychologiques et sociaux liés à “une utilisation excessive et inappropriée du numérique, en particulier des réseaux sociaux, chez les enfants, qui constitue une menace sérieuse pour leur santé mentale et physique”, souligne le conseil. Parmi les troubles identifiés : anxiété, isolement social, troubles du sommeil et de la concentration, voire des conduites suicidaires. En outre, le cyberharcèlement, la diffusion de contenus inappropriés et la manipulation des enfants à des fins criminelles sont des réalités préoccupantes.

Une enquête du Centre marocain de recherches polytechniques et d’innovation (CMRPI) menée auprès de 1293 enfants et jeunes marocains âgés de 8 à 28 ans révèle que 43% souffrent de troubles du sommeil, tandis que 41,5% ont constaté une baisse de leurs performances scolaires. Au sein des familles, ce sont 36,5% qui rapportent y avoir vécu des conflits. En outre, 40% des enfants interrogés partagent leurs données personnelles avec des inconnus et un tiers est confronté au cyberharcèlement dans les espaces numériques.

Le rapport du CESE souligne également que les enfants sont particulièrement vulnérables à la désinformation, à l’incitation à la haine et à la violence, à l’exploitation sexuelle et aux pratiques criminelles, telles que la sextorsion ou l’usurpation d’identité.

Si le Maroc a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant et dispose de plusieurs lois pour la protection de l’enfance, l’avis du CESE met en évidence des insuffisances dans l’encadrement juridique des réseaux sociaux. L’absence de régulations spécifiques pour protéger les mineurs dans l’espace numérique rend difficiles la prévention et la répression des abus.

à lire aussi

Le CESE pointe notamment l’absence d’une majorité numérique. Contrairement à d’autres pays, aucun âge minimal n’est actuellement imposé pour l’inscription sur les réseaux sociaux, ce qui laisse les enfants exposés sans contrôle parental efficace.

Le conseil dénonce également une absence de responsabilité clairement définie pour les plateformes. Le flou juridique autour de la régulation des contenus nuisibles et de la gestion des comptes d’enfants empêche une protection optimale. Enfin, le manque de coordination entre les acteurs fait que toute initiative dans ce domaine souffre d’un manque de synergie et d’une vision stratégique commune.

Le CESE recommande ainsi une harmonisation du cadre légal avec les normes internationales et cite l’exemple de la loi française du 7 juillet 2023 qui impose une majorité numérique à 15 ans, obligeant les plateformes à recueillir le consentement parental pour les mineurs et à proposer des outils de contrôle du temps d’écran.

Que propose le CESE ?

Face à ces constats, le CESE plaide pour l’intégration explicite de la protection des enfants en ligne dans la Politique intégrée de protection de l’enfance (PIPE). Cette démarche implique une mobilisation de tous les acteurs concernés — État, société civile, entreprises du numérique et parents — autour d’une stratégie nationale cohérente et efficace.

Parmi les principales recommandations du CESE figure l’instauration d’une majorité numérique, avec la fixation d’un âge minimum pour l’inscription des enfants sur les réseaux sociaux. Cette mesure devrait s’accompagner de l’obligation, pour les plateformes numériques, de vérifier l’âge des utilisateurs et d’obtenir le consentement parental avant toute inscription. Une telle régulation permettrait de limiter l’accès précoce aux réseaux sociaux et de réduire les risques liés à une exposition non encadrée à ces espaces numériques.

Le CESE préconise également un renforcement de la régulation des contenus sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’imposer aux plateformes des obligations claires en matière de modération et de suppression des contenus inappropriés, notamment ceux liés à la violence, au harcèlement, à l’exploitation des enfants ou à la désinformation. Cette mesure vise à garantir un environnement numérique plus sûr, en responsabilisant les entreprises technologiques quant aux contenus diffusés sur leurs plateformes.

“Je suis effarée par l’augmentation du nombre de bébés soumis dès les premiers mois aux écrans sans possibilité de s’y soustraire”, se désolait, dans les colonnes de TelQuel, la pédopsychiatre Ghizlaine Benjelloun.Crédit: DR

L’éducation numérique est un autre pilier essentiel des recommandations du CESE. Le Conseil suggère d’intégrer, dès le plus jeune âge, des modules dédiés dans les programmes scolaires afin de sensibiliser les enfants à la citoyenneté numérique, à la protection des données personnelles et au développement de l’esprit critique face aux contenus en ligne. Une telle approche permettrait de doter les jeunes des compétences nécessaires pour naviguer en toute sécurité dans l’univers numérique.

Afin d’aider les familles à mieux encadrer l’usage des réseaux sociaux par leurs enfants, le CESE encourage également la promotion des outils de contrôle parental, encore largement sous-exploités au Maroc. Malgré leur efficacité, ces dispositifs restent peu utilisés, souvent par manque de sensibilisation ou de formation des parents à leur fonctionnement. Leur généralisation pourrait permettre un meilleur accompagnement des enfants dans leur utilisation des plateformes numériques.

L’intelligence artificielle est un levier technologique que le CESE propose d’exploiter davantage pour détecter de manière proactive les contenus à risque et lutter contre la manipulation en ligne des enfants. L’IA pourrait ainsi faciliter l’identification des comportements suspects et améliorer les systèmes de modération des plateformes, en vue de prévenir les abus et les dérives numériques.

Enfin, pour assurer un suivi rigoureux et continu de la protection des enfants en ligne, le CESE recommande la mise en place d’un rapport annuel sur la protection des enfants dans l’environnement numérique, qui serait présenté devant le Parlement. Ce rapport permettrait d’évaluer l’efficacité des mesures mises en place, d’identifier les nouveaux défis liés aux usages numériques et d’ajuster les politiques publiques en conséquence.

Avec 60% des parents marocains témoins de cas d’atteintes à l’intégrité physique ou psychique liés aux réseaux sociaux (selon une consultation citoyenne menée via la plateforme ouchariko.ma), le temps n’est plus aux demi-mesures. Reste à savoir si cet avis, aussi détaillé soit-il, trouvera un écho politique à la hauteur des enjeux.