Vive l’intelligence artificielle, vive la République et vive la France!”, proclame le président français Emmanuel Macron lors du Sommet international consacré à l’IA. Est-ce la nouvelle trinité française ? La solennité de l’annonce, le cadre majestueux du Grand Palais à Paris, ne laissent en tout cas aucun doute : l’IA semble devenir le graal tant convoité par les puissants de ce monde.
Conscient du retard du Vieux continent et bousculé par les Américains et les Chinois, Emmanuel Macron a plaidé pour un “sursaut” européen dans le domaine de l’IA. L’Hexagone veut montrer qu’il joint les paroles aux actes et promet une enveloppe de 109 milliards d’euros d’investissements privés, afin de s’équiper en centres de données notamment.
“C’est l’équivalent pour la France de ce que les États-Unis ont annoncé avec Stargate”, précise le président français. “Stargate”, dont le nom fait écho à l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) de Ronald Reagan, surnommée “Guerre des étoiles”, qui avait, en son temps, poussé les Soviétiques dans une spirale militaire dispendieuse, contribuant à leur affaiblissement.

Dans le cadre de cette nouvelle guerre technologique, Donald Trump table sur 500 milliards de dollars, investis par OpenAI, le Japonais SoftBank, Oracle et MGX, pour garantir son “America First” dans le domaine de l’IA.
L’IA comme arme géopolitique ?
Si la sécurité et l’éthique liées à l’usage de l’IA étaient, de nouveau, bien présentes dans les discussions du sommet parisien – et à juste titre –, il ne faut pas s’y tromper : aucune grande puissance n’entend se faire dépasser, et surtout pas les Américains, traditionnellement moins regardants sur ces aspects que les Européens.
C’est d’ailleurs un des principaux messages qu’est venu délivrer J.D. Vance, le vice-président américain, qui a fait un long plaidoyer en faveur de la dérégulation de l’IA, seule garantie, selon lui, pour le niveau d’innovation souhaité.
J.D Vance, qui a fait sa carrière à la Silicon Valley a adopté un ton menaçant : “Ce serait une terrible erreur pour vos pays de vouloir resserrer les vis sur les entreprises de tech américaines”
Dans un discours très offensif, celui qui a fait sa carrière à la Silicon Valley a adopté un ton menaçant : “Ce serait une terrible erreur pour vos pays de vouloir resserrer les vis sur les entreprises de tech américaines”. Mieux encore, il a affirmé que les États-Unis étaient leader en IA et entendent le rester, en “bloquant la voie aux adversaires qui atteignent des capacités en IA susceptibles de menacer (son) peuple”.
Il n’a pas hésité à comparer l’IA à des armes “dangereuses entre de mauvaises mains, mais qui sont d’incroyables outils pour la liberté et la prospérité quand elles sont placées entre de bonnes mains”. Ces “mauvaises mains” étant les “régimes autoritaires”.
Une référence à peine voilée à la Chine, qui a d’ailleurs réagi au discours de Vance. “Nous nous opposons aux pratiques de catégorisation basées sur l’idéologie, la généralisation du concept de sécurité nationale et la politisation des questions économiques, commerciales et technologiques”, a rétorqué pour sa part le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Guo Jiakun, marquant la différence avec les États-Unis en se déclarant pour sa part attaché “à la sécurité de l’IA”.
Cette passe d’armes sino-américaine illustre bien les crispations et la sidération américaines. Et pour cause ! Un troisième acteur disruptif rebat les cartes ces derniers temps : DeepSeek. Lancé par une start-up chinoise pour un investissement de 6 millions de dollars, comparé aux lourds investissements occidentaux, ce chatbot chinois, gratuit et open source, s’avère particulièrement efficace.

Dès son annonce, il est devenu l’une des applications les plus téléchargées sur l’AppStore d’Apple, provoquant une chute de 17% de l’action en Bourse du fabricant de puces graphiques Nvidia. Plus inattendu, il a également impacté les actions des grandes entreprises du secteur énergétique, dont les actions s’étaient envolées à la faveur des très fortes consommations électriques anticipées des data centers.
DeepSeek est en effet près de 30 fois moins coûteux que son concurrent le plus souvent cité, l’Américain ChatGPT
DeepSeek est en effet près de 30 fois moins coûteux que son concurrent le plus souvent cité, l’Américain ChatGPT. Les Chinois, frappés par des restrictions américaines à l’exportation de puces haut de gamme – théoriquement seules capables de ce niveau de traitement de données –, ont pourtant réussi à développer un outil tout aussi performant. Ils se payent même le luxe de nécessiter moins de puissance de calcul, grâce à une optimisation intelligente de leur modèle de langage. Résultat : un modèle de langage très performant pour une fraction du coût.
Vers des IA souveraines ?
Preuve que cette avancée chinoise inquiète ses concurrents, les États-Unis ont lancé une enquête pour déterminer si l’Empire du Milieu ne contournerait pas les restrictions en se fournissant en puces Nvidia via des intermédiaires comme Singapour. Après la guerre contre la 5G chinoise, les Américains seraient-ils en train de durcir leur jeu ? Sans se hasarder à des jugements de valeur, une seule conclusion peut être tirée sans extrapolation : l’aspect absolument stratégique de ces nouveaux outils d’IA pour l’ensemble des grands acteurs mondiaux est confirmé.
Mais quid des pays émergents ? Sont-ils condamnés à être spectateurs, tandis que les grandes puissances classiques ferraillent à coups de microprocesseurs et d’algorithmes ? Un invité au Salon parisien de l’IA a retenu l’attention plus que les autres. Il s’agit du Premier ministre indien, Narendra Modi, dont la coprésidence aux côtés d’Emmanuel Macron peut être interprétée comme un engagement auprès de la France pour contrebalancer le pouvoir des Américains et des Chinois.
Géant de la sous-traitance tech, grand fournisseur de cadres compétents, notamment en matière d’IA, et bientôt 5e économie mondiale, l’Inde plaide pour une gouvernance mondiale de l’IA. Le pays alerte sur les dangers qui guettent les pays émergents en matière de pertes d’emplois et annonce, lui aussi, développer son modèle national d’IA, tout en appelant à un cadre réglementaire international pour encadrer cette technologie.
Mais que vient faire la souveraineté là-dedans ? Que ce soit ChatGPT, DeepSeek ou Gemini, il ne faut pas oublier qu’aucune de ces IA n’est politiquement agnostique ni exempte de censure
D’autres pays, plus modestes sur le plan technologique, ont désormais les coudées plus franches grâce notamment à l’exemple de DeepSeek. Plus abordable, l’outil chinois a démontré qu’il est possible de développer des modèles d’IA nécessitant moins de puces graphiques coûteuses, ouvrant la voie à des organisations plus modestes pour développer leurs propres modèles d’IA avancés, en utilisant des infrastructures beaucoup moins onéreuses. Une révolution comparable, en termes d’ampleur, au passage des supercalculateurs aux micro-ordinateurs, qui s’est soldée par une démocratisation mondiale de l’informatique, jusqu’à aboutir aux smartphones que nous avons tous dans nos poches.
Mais à quoi pourraient servir ces IA nationales, et que vient faire la souveraineté là-dedans ? Que ce soit ChatGPT, DeepSeek ou Gemini, il ne faut pas oublier qu’aucune de ces IA n’est politiquement agnostique ni exempte de censure. Le décloisonnement et la multiplicité des acteurs, y compris ceux issus des secteurs privés et publics des pays émergents, constituent donc la meilleure garantie d’un avenir où l’intelligence artificielle adopte… le moins d’artifices possibles.
L’intelligence artificielle est à l’humanité, dans les années 2020, ce que l’invention de l’imprimerie a été au milieu du 15e siècle. C’est en tout cas ce qui ressort des différents entretiens que nous avons menés avec les experts marocains du sujet. Sommes-nous pour autant prêts… pic.twitter.com/J946iA1rzg
— TelQuel (@TelQuelOfficiel) March 3, 2025