Le régime de Bachar s’est effondré le 8 décembre après 14 ans de souffrances et de misère pour le peuple syrien et d’instabilité dans la région. Les rebelles, auparavant qualifiés de terroristes, ont balayé les principales villes de Syrie, presque sans opposition, et ont forcé Bachar à fuir vers la Russie.
Il est intéressant de noter que, deux semaines seulement avant qu’Assad ne s’enfuie en Russie, les représentants de l’Iran, de Russie et de Turquie ont exprimé “leur conviction qu’il ne pourrait y avoir de solution militaire en Syrie et ont réaffirmé leur engagement à faire avancer un processus politique viable et durable, dirigé et pris en charge par les Syriens, et facilité par l’ONU, conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU”, dans une déclaration conjointe à l’issue de la réunion d’Astana qui s’est tenue au Kazakhstan en novembre 2024.
Dans le même ordre d’idées, un jour avant la chute d’Assad, les ministres des Affaires étrangères du Qatar, de l’Arabie saoudite, de la Jordanie, de l’Égypte, de l’Irak, de l’Iran, de la Turquie et de la Russie “ont souligné la nécessité d’arrêter les opérations militaires en vue du lancement d’un processus politique global, basé sur la résolution 2254 du Conseil de sécurité”, lors d’une réunion en marge du Forum du Qatar.
La réalité d’aujourd’hui soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Derrière les déclarations générales, les participants à la réunion doivent être parvenus à un accord qui renverse Assad et évite des effusions de sang sous des conditions et des garanties spécifiques.
Quatorze années de crise ont dû épuiser toutes les parties prenantes. L’incertitude ne pouvait durer. Un accord tacite a probablement facilité l’effondrement du régime. Les dirigeants syriens ont ordonné à leur armée de battre en retraite, tandis que les forces russes, iraniennes et du Hezbollah observaient l’avancée des rebelles à distance. Les forces israéliennes ont détruit l’arsenal militaire de l’armée arabe syrienne.
Al Julani a changé d’apparence et de nom. L’Armée nationale syrienne soutenue par la Turquie a repoussé les forces kurdes hors de plusieurs villes et zones qu’elles contrôlaient auparavant. Les États-Unis, alliés des Kurdes, ont ordonné aux forces kurdes de se retirer de plusieurs villes importantes du nord.
Vers un monde multipolaire
Dès le début, la crise syrienne s’est déroulée dans le contexte d’une dynamique mondiale plus large :
1. La résistance de l’Occident à la perte de son hégémonie dans la région et dans le monde ;
2. La compétition régionale pour l’influence en Asie occidentale, un pôle potentiellement stratégique au sein de l’ordre mondial émergent.
Ces deux dynamiques ont rapidement transformé la crise syrienne en un conflit complexe qui échappe largement au contrôle des acteurs nationaux. Tandis que les puissances régionales et globales impliquaient directement ou indirectement pour servir leurs intérêts stratégiques et agendas spécifiques, le régime syrien n’avait que des manœuvres politiques, des tactiques dilatoires, et une répression interne pour assurer sa survie.
En réalité, renverser Bachar — ou promouvoir le bien-être du peuple syrien — n’a jamais été l’objectif ultime des différentes parties prenantes. Toutes cherchaient à établir une “Syrie” qui servait leurs objectifs stratégiques.
Au début du XXIe siècle, les États-Unis ciblaient déjà la Syrie pour un changement de régime dans le cadre d’une reconfiguration du Moyen-Orient et de son architecture de sécurité qui maintiendrait l’Asie occidentale divisée et soumise à l’hégémonie occidentale. L’Occident a poursuivi cet objectif par un soutien total et inconditionnel à Israël et un effort systématique visant à attiser les tensions intrarégionales.
À l’inverse, l’objectif stratégique de la Russie était d’empêcher les États-Unis de cimenter leur position hégémonique. Une Syrie non alignée sur les États-Unis garantirait un accès plus facile à la Méditerranée, au Golfe, à l’Irak et à l’Iran.
La Chine a besoin de stabilité et de prospérité en Asie occidentale pour deux raisons. Premièrement, une Asie occidentale puissante équilibrerait le monde multipolaire émergent et réduirait les tensions géopolitiques. Deuxièmement, cela garantirait l’approvisionnement de la Chine en pétrole et en gaz de la région.
Les intérêts de l’Iran se concentrent sur la prévention d’un régime hostile en Syrie et sous la garantie d’un accès facile et sûr à la Méditerranée à des fins de commerce et d’investissement. Le récit du croissant chiite est secondaire par rapport à l’intérêt économique stratégique de l’Iran.
La Turquie poursuit un objectif à plusieurs volets centré sur la sauvegarde de sa sécurité nationale contre le séparatisme kurde, l’expansion de son influence sur la Syrie, l’interdiction à une puissance régionale concurrente de s’implanter solidement à ses frontières méridionales.
Pour l’Arabie saoudite et les États du Golfe, la stabilité en Syrie est essentielle à la stabilité politique de la région. Un régime ami en Syrie permettrait également d’accéder à l’Europe et à la Méditerranée à travers le territoire Syrien. Une Syrie stable et inclusive préserverait les intérêts économiques et politiques de la péninsule Arabique, même si la Syrie se déplaçait vers une sphère d’influence turque.
Au-delà des intérêts stratégiques individuels des puissances régionales, un objectif commun plus stratégique est de construire l’Asie de l’Ouest en tant que pôle indépendant, et non une “station-service” ou un corridor logistique, IMEC, reliant l’Inde à l’Europe via Israël et les Émirats.
Le véritable problème derrière les troubles du XXIe siècle dans la région réside dans les péripéties de la transition d’un ordre mondial dirigé par l’Occident à un ordre multipolaire. Dans le paradigme occidental, le concept de l’Asie occidentale menaçait l’Europe et ne devait pas émerger.
Cependant, les nouveaux leaders régionaux ne se sentent pas prisonniers de l’ancien paradigme. Malgré leurs différences, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats et l’Iran s’engagent dans un contact et un dialogue animé par une approche pragmatique. Leurs objectifs à long terme s’alignent. Ils recherchent tous la souveraineté, la stabilité et l’autonomie pour libérer le potentiel politique et économique de la région.
Les principaux défis auxquels leur vision est confrontée sont les suivants :
1. Un État d’Israël agressif.
2. La non-reconnaissance du droit des Palestiniens à exister.
3. La crise en Syrie.
La crise syrienne a des racines géopolitiques mondiales et des implications régionales. La solution doit être globale, régionale et nationale.
L’Occident n’à d’autres options à long terme que d’accepter la nouvelle réalité. L’Asie de l’Ouest a le potentiel de devenir une plaque tournante cruciale et prospère dans le monde multipolaire émergent. Un leadership collectif et pragmatique et une architecture équilibrée de sécurité et d’influence entre les principales puissances régionales devraient garantir la paix et la stabilité.
La Syrie est au cœur de l’Asie occidentale et relie ses principaux centres de pouvoir. Sa stabilité politique et sociale dans une configuration sécuritaire et politique équilibrée de l’Asie occidentale est cruciale. La Syrie devrait être le nœud unificateur de la région.