Autonomisation économique des femmes : où en est le Maroc ?

Alors que le gouvernement continue de mettre en place des initiatives visant à surmonter les obstacles structurels et sociétaux qui freinent l’émancipation des femmes, un récent rapport accompagnant le Projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2025 apporte un éclairage sur les efforts réalisés et les défis qui persistent.

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À Tanger, le centre Charifa Lalla Oum Kaltoum de formation par apprentissage a été mis sur pied grâce à l’appui de l’INDH. Crédit: MAP

Conformément aux directives royales visant à consolider les fondements de l’État social, le gouvernement marocain s’est fixé comme priorité d’améliorer l’accès des femmes aux facteurs de production pour renforcer leur autonomie économique, explique le rapport publié par le ministère de l’Économie et des Finances.

À travers le ministère de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences (MIEPEEC), plusieurs programmes sont mis en œuvre pour améliorer les conditions de travail des femmes, favoriser leur inclusion dans des secteurs d’activité porteurs et soutenir l’entrepreneuriat féminin.

Le rapport du PLF 2025 présente des indicateurs prometteurs, mais souligne également que beaucoup reste à faire. Par exemple, le taux d’accès des femmes à la formation au sein des programmes du MIEPEEC était de 31% en 2023, un chiffre en amélioration, mais encore loin de la parité souhaitée. De même, la part des femmes dans les bénéficiaires des programmes de promotion de l’emploi reste en dessous des objectifs fixés, oscillant entre 44% et 48%, selon les dispositifs.

Parmi les leviers envisagés pour renforcer l’autonomie des femmes, l’entrepreneuriat figure en tête des priorités. Le gouvernement, à travers divers programmes, met un accent particulier sur l’“accompagnement des femmes entrepreneures”, notamment dans le cadre du projet “Min Ajliki”, lancé en partenariat avec la coopération belge. Ce projet, qui a pour objectif de renforcer la création d’entreprises par les femmes, a permis d’accompagner plus de 5400 femmes dans leur pré-création d’entreprise en 2023, un chiffre en constante progression depuis son lancement, selon le rapport.

Toutefois, malgré ces efforts, l’accès des femmes aux financements reste encore limité. Le rapport souligne l’importance de renforcer les capacités des femmes entrepreneures à accéder aux outils financiers, à travers des programmes comme AWARCH et TAHFIZ, qui visent à améliorer l’accès des femmes aux emplois nouvellement créés et à promouvoir les activités génératrices de revenus.

Ces initiatives doivent cependant être renforcées pour maximiser leur impact, surtout en milieu rural, où les femmes font face à des défis particuliers liés à l’accès à la formation, aux ressources et aux réseaux d’affaires, soutiennent les auteurs du rapport.

Stéréotypes et inégalités

Malgré les avancées, les femmes continuent de subir les effets d’une culture qui limite leur plein épanouissement économique. Les stéréotypes de genre, souvent “véhiculés au sein des entreprises et du marché du travail”, réduisent les opportunités des femmes, notamment en matière d’“accès à des postes de décision”.

En 2023, le taux de participation des femmes dans des délégations officielles et autres événements internationaux était de 35%, un chiffre en recul par rapport à 2022, ce qui dénote un besoin accru de représentativité féminine au plus haut niveau des instances de pouvoir.

Pour lutter contre ces stéréotypes et briser le plafond de verre auquel font face de nombreuses femmes, le MIEPEEC a lancé une stratégie nationale qui repose sur quatre grands axes : améliorer l’accès des femmes au marché du travail, développer les compétences techniques, promouvoir l’inclusion financière et encourager les activités génératrices de revenus. Ces leviers, bien qu’essentiels, doivent être accompagnés d’un “changement des mentalités” au sein des entreprises et des organisations publiques pour créer un environnement réellement inclusif.

Le rapport met toutefois en avant l’année 2024 comme une étape clé en matière de progrès législatifs. La promulgation de la Loi 19-20 sur la mixité dans les conseils d’administration des Sociétés anonymes (SA), représente un jalon crucial dans la lutte pour l’égalité de genre dans le secteur privé. À terme, cette loi vise à ce que 30% des membres de ces conseils soient des femmes à partir de 2024, avec une ambition d’atteindre 40% à l’horizon 2027.

Quid des secteurs agricole et industriel ?

L’autonomisation économique des femmes ne peut se faire sans une attention particulière aux secteurs à fort potentiel d’emploi, notamment l’agriculture et l’industrie, insiste le ministère des Finances à travers son rapport. Le ministère de l’Agriculture, du Développement rural et des Eaux et forêts a mis en place plusieurs initiatives pour favoriser l’intégration des femmes dans le secteur agricole.

En milieu rural, les femmes représentent 41 % de la main d’œuvre agricole, mais sont rarement décomptées comme femmes actives et rémunérées. Crédit : Jess / Flickr

Une analyse sectorielle menée en 2019 en partenariat avec la Banque africaine de développement et la Banque islamique de développement a mis en lumière les inégalités profondes auxquelles font face les femmes rurales, souvent exclues des ressources agricoles et des services de conseil.

En réponse à cette analyse, des programmes tels que “Génération Green 2020-2030” visent à améliorer l’accès des femmes rurales aux terres agricoles et aux ressources nécessaires à la production. En 2023, ces initiatives ont permis à 572 femmes d’accéder à des postes de conseillères agricoles, et à 250 femmes rurales de bénéficier de formations intégrant la dimension genre, rapporte la même source.

Dans le secteur industriel, des efforts sont également faits pour promouvoir l’inclusion des femmes, notamment à travers le programme “Taehil”, qui améliore l’employabilité des chercheuses d’emploi. Cependant, l’accès des femmes aux postes de responsabilité dans l’industrie reste faible, et les inégalités de genre en matière de salaires et d’accès aux compétences spécialisées sont encore un défi majeur à relever.

Le tourisme et l’artisanat : des secteurs propices

Le ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire s’inscrit également dans cette dynamique d’autonomisation économique des femmes. Le secteur du tourisme offre des opportunités d’emploi directes et indirectes à des milliers de femmes, selon le rapport. Une analyse du secteur réalisée en 2022 a mis en lumière les écarts en termes de participation féminine dans les différents métiers du tourisme, révélant notamment que les femmes sont “surreprésentées dans des emplois précaires”, mais “sous-représentées dans les postes de management”.

Face à ces défis, le ministère a lancé plusieurs programmes visant à renforcer les compétences des femmes dans le secteur touristique. Des recommandations ont été formulées pour permettre aux femmes d’accéder à des formations qualifiantes et à des postes de responsabilité.

La chaîne de résultats sensibles au genre du ministère comprend ainsi deux axes prioritaires : “l’amélioration de la formation des femmes” dans les métiers du tourisme et de l’artisanat, et “le soutien à l’entrepreneuriat féminin” dans ces secteurs. En 2023, 2888 femmes ont bénéficié de formations en gestion des infrastructures touristiques et artisanales, un chiffre qui devrait atteindre 3750 en 2024.

Fatima-Zahra en plein travail à la coopérative féminine Afra, à Tafraoute en 2015.Crédit: Tarek Bouraque

L’artisanat et l’économie sociale et solidaire, des secteurs historiquement dominés par les femmes, continuent d’offrir des opportunités majeures pour l’autonomisation des femmes, en particulier en milieu rural. Le département de l’Artisanat a ainsi intensifié ses efforts pour améliorer les conditions de travail des artisanes et promouvoir leurs produits sur les marchés nationaux et internationaux. En 2023, 61% des femmes artisanes formées dans les métiers de l’artisanat ont accédé à des postes qualifiés, contre 35% l’année précédente.

Le département de l’Économie sociale et solidaire, quant à lui, soutient la création de coopératives dirigées par des femmes dans les zones rurales et urbaines. Ces coopératives, qui jouent un rôle crucial dans la réduction des inégalités de genre, sont encouragées à travers des subventions et des programmes d’accompagnement. En 2023, 1184 femmes ont bénéficié de ces formations, un chiffre qui devrait augmenter à 1650 d’ici 2024, selon les projections du PLF 2025.

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La mise en œuvre de stratégies spécifiques au genre dans des secteurs clés, l’accent mis sur l’entrepreneuriat et l’inclusion financière, ainsi que les efforts pour lutter contre les stéréotypes de genre sont autant de facteurs qui, à terme, pourraient transformer la place des femmes dans l’économie marocaine. Cependant, comme le souligne le rapport du PLF 2025, ces initiatives doivent être consolidées et renforcées.

Des “objectifs chiffrés” et des “indicateurs de performance sensibles au genre” doivent être systématiquement intégrés dans tous les programmes publics pour garantir que les progrès soient mesurables et durables, conseillent les auteurs. “La mise en place de structures de suivi, associées à des politiques de formation continue et à une sensibilisation accrue aux droits des femmes”, sera également essentielle pour assurer que les acquis de ces dernières années ne soient pas perdus.