D’après les résultats de l’institut Sigma Conseil diffusés à la télévision nationale, Saied a obtenu 89,2% des suffrages dès le premier tour, écrasant le deuxième candidat, Ayachi Zammel, 47 ans, un industriel libéral qui n’a obtenu que 6,9% des voix. Le troisième, un député de la gauche panarabe Zouhair Maghzaoui, 59 ans, s’est adjugé 3,9% des suffrages.
Des résultats officiels préliminaires sont attendus lundi après-midi.
27,7 % de participation
La participation s’est établie à 27,7% contre 45% il y a cinq ans au premier tour, selon l’autorité électorale Isie. Son président, Farouk Bouasker, a jugé ce taux “respectable”, alors que c’est le plus faible pour un premier tour de scrutin présidentiel depuis le renversement du dictateur Ben Ali en 2011 dans ce pays, qui fut le berceau des soulèvements démocratiques des Printemps arabes.
Seuls Zammel et Maghzaoui — des seconds couteaux selon les experts — avaient été autorisés à affronter Saied, 66 ans, sur initialement 17 postulants, écartés par l’Isie pour des irrégularités présumées. L’opposition dont les figures de proue sont en prison et les ONG tunisiennes et étrangères ont critiqué un scrutin “faussé en faveur de Saied”.
Ayachi Zammel, inconnu du grand public, n’a pas pu faire campagne, car il est emprisonné depuis début septembre et condamné à trois reprises à plus de 14 ans de prison pour des soupçons de faux parrainages.
Maghzaoui était considéré comme “un faire-valoir”, car porteur d’un projet de gauche souverainiste similaire à celui de Saied qu’il soutenait jusqu’à récemment.
“La légitimité de l’élection est forcément entachée quand les candidats qui pouvaient faire de l’ombre à Saied ont été systématiquement écartés”, a commenté pour l’AFP l’analyste politique tunisien Hatem Nafti.
Le processus de sélection des candidatures avait été très contesté pour le nombre élevé de parrainages exigé, l’emprisonnement de candidats potentiels connus, et l’éviction par l’Isie des rivaux les plus solides du président, dont Mondher Zenaidi, un ancien ministre de Ben Ali.
Pour l’expert français du Maghreb, Pierre Vermeren, même si avec une abstention aussi forte, “la légitimité démocratique” de l’élection est “faible”, “la Tunisie a un président et la majorité des Tunisiens laissent faire”. Il a noté des analogies avec l’Algérie voisine, “où personne ne remet en cause le président” Abdelmadjid Tebboune.
Après l’annonce des sondages, environ 400 partisans du président sont sortis fêter sa victoire, brandissant des drapeaux devant le théâtre municipal au centre de Tunis, en scandant “le peuple veut Kais de nouveau”.
Un groupe a entonné avec entrain l’hymne national. Oumayma Dhouib, 25 ans, s’est dite “très contente” de la victoire de “Kaisoun”, un surnom affectueux. La jeune femme a assuré être “convaincue par ses idées et sa politique”, comme sa mère Khadija, 52 ans, qui lui “fait confiance”.
Saied, élu en 2019 avec près de 73% des voix (et 58% de participation), était encore populaire quand ce spécialiste de droit constitutionnel à l’image d’incorruptible s’est emparé des pleins pouvoirs à l’été 2021, promettant l’ordre face à l’instabilité politique.
Trois ans plus tard, beaucoup de Tunisiens lui reprochent d’avoir consacré trop d’énergie à régler ses comptes avec ses opposants, en particulier le parti islamo-conservateur Ennahdha, dominant pendant la décennie de démocratie ayant suivi le renversement du dictateur Ben Ali.
Selon l’expert Nafti, Saied “a perdu près de 1 million de voix” par rapport à 2019.
Depuis son coup de force à l’été 2021, les ONG tunisiennes et étrangères et l’opposition dénoncent une “dérive autoritaire” de Saied, via un démantèlement des contre-pouvoirs et un étouffement de la société civile avec des arrestations de syndicalistes, militants, avocats et chroniqueurs politiques.
Selon Human Rights Watch, “plus de 170 personnes sont actuellement détenues pour des motifs politiques ou pour avoir exercé leurs droits fondamentaux”.
Selon l’analyste Hatem Nafti, cette nouvelle victoire électorale peut annoncer un durcissement ultérieur du pouvoir à l’égard des voix critiques, car Kais Saied pourra “faire valoir son sacre pour justifier la répression”.
Prenant la parole dimanche soir dans son quartier général de campagne, Saied a dit, sur un ton martial, vouloir “poursuivre la Révolution de 2011” et bâtir “un pays nettoyé des corrompus et des complots”. “La Tunisie restera libre et indépendante et n’acceptera jamais l’ingérence étrangère”, a-t-il ajouté.