Un rapport montre comment le gouvernement s’illustre par son mutisme face aux questions des députés

Selon le rapport publié ce mardi 1er octobre par l’association Tafra, intitulé “Que font les députés ?”, le taux de réponse du gouvernement aux questions posées par les députés reste dramatiquement bas.

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Le gouvernement de Aziz Akhannouch est le premier Exécutif à enregistrer plus de destructions que de créations de postes de travail, depuis le gouvernement de Abbas El Fassi, avec pas moins de 181.000 emplois nets détruits en un demi-mandat. Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

L’association Tafra a publié, ce mardi 1er octobre, son deuxième rapport sur l’activité parlementaire marocaine, se concentrant sur l’usage des questions parlementaires par les députés lors de la cinquième session de la législature 2021-2026. Le rapport, intitulé “Que font les députés ?”, s’attarde sur l’un des principaux mécanismes de contrôle parlementaire au Maroc, tout en exposant des disparités notables entre la majorité, l’opposition, et la réactivité du gouvernement.

Depuis le début de la législature actuelle, 23.716 questions ont été posées au gouvernement par les députés. Les cinq premières sessions témoignent d’une activité intense, avec 3202 questions posées au cours de la cinquième session seulement, montrant une dynamique parlementaire soutenue, bien que la réactivité gouvernementale reste à désirer.

En effet, seulement 19% des questions ont obtenu une réponse, traduisant un déficit de communication et d’engagement de la part de l’exécutif. Cette situation est en recul par rapport aux sessions précédentes, où le gouvernement semblait plus réactif.

Cette activité de la part des députés pourrait être interprétée comme un signe d’une vitalité démocratique. Toutefois, elle semble contraster avec les résultats observés dans d’autres démocraties parlementaires où les taux de réponse avoisinent souvent les 40 à 60%.

Il est à noter que les députés favorisent largement les questions orales (53% du total). Cependant, les questions écrites, bien qu’elles soient moins nombreuses, ont un taux de réponse plus élevé : 25% des questions écrites reçoivent une réponse, contre 13% pour les questions orales.

Ce choix de privilégier les questions orales pourrait s’expliquer par le temps de parole limité, offrant aux députés une tribune directe mais contraignante. Le recours aux questions écrites, moins médiatisées, permet en revanche “aux députés de poser leurs questions au gouvernement en toute liberté”, note le rapport.

Nombre total de questions parlementaires orales et écrites et réponses du gouvernement au cours de la cinquième session parlementaire de la législature 2021-2026Crédit: Tafra

Majorité et opposition : qui pèse le plus ?

Contrairement aux tendances passées, où l’opposition posait plus de questions, cette cinquième session montre que la majorité parlementaire a été la plus active, avec 1878 questions contre 1324 pour l’opposition. Cependant, il est essentiel de souligner que la moyenne de questions par député est plus élevée chez l’opposition (10 questions par député contre 7 pour la majorité).

Les groupes politiques se démarquent également. Le Rassemblement National des Indépendants (RNI), première force au Parlement, a posé 799 questions, tandis que le Parti Authenticité et Modernité (PAM), leader lors de la session précédente, suit de près avec 778 questions. Du côté de l’opposition, le Parti de la Justice et du Développement (PJD) se distingue avec 305 questions, dont 105 ont reçu une réponse, soit un taux de réponse de 34%, le plus élevé parmi les groupes parlementaires.

Nombre de questions posées par la majorité et l’opposition au cours de la cinquième session de la législature 2021-2026Crédit: Tafra

Certains ministères attirent plus l’attention des députés. Le ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports reste en tête avec 308 questions. Il est suivi de près par le ministère de la Santé et de la Protection Sociale, touché par les grèves des étudiants en médecine depuis décembre 2023, qui suscitent de nombreuses inquiétudes parlementaires. En revanche, malgré ces chiffres élevés, la réactivité du gouvernement dans ces secteurs reste faible. Le ministère de l’Agriculture a, par exemple, répondu à seulement 18% des questions qui lui étaient adressées, ce qui reflète une baisse générale de l’engagement ministériel.

Le rapport de Tafra souligne également la différence entre les députés expérimentés et les nouveaux élus. Alors que les nouveaux députés représentent 39% du total, ils sont responsables de 69% des questions posées, même si leurs questions semblent avoir un taux de réponse légèrement inférieur à celui des députés réélus (18.85% contre 20% pour les réélus).

Nombre et moyenne de questions posées par les anciens et les nouveaux députés au cours de la cinquième session de la législature actuelleCrédit: Tafra

L’un des enseignements majeurs de ce rapport reste la faiblesse du taux de réponse du gouvernement, avec une moyenne de 19%. Cette lenteur à répondre pourrait non seulement nuire à la relation entre l’exécutif et le législatif, mais aussi à la perception de l’efficacité du système parlementaire. Les questions parlementaires étant “un instrument dont disposent les parlementaires pour exercer leur fonction de contrôle vis-à-vis du gouvernement”, il devient crucial que le gouvernement améliore sa réactivité pour renforcer la transparence et la redevabilité.

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La région de Marrakech-Safi en tête

Les députés de la région Marrakech-Safi, qui compte 46 sièges, se distinguent en posant le plus grand nombre de questions au cours de cette cinquième session, avec un total de 691 questions. Cependant, seulement 16% d’entre elles ont reçu une réponse.

En deuxième position, les députés de Casablanca-Settat (69 sièges) ont posé 476 questions, avec un taux de réponse légèrement plus élevé de 18%. Les parlementaires de Fès-Meknès, quant à eux, ont soumis 432 questions et obtenu un taux de réponse de 23%, le plus élevé parmi les grandes régions du pays. À l’inverse, les députés des régions de Dakhla-Oued Dahab et Laâyoune-Sakia El Hamra, avec respectivement 71 et 67 questions posées, ont enregistré les taux de réponse les plus faibles, autour de 9%.

Nombre de questions posées par région au cours de la cinquième session de la législature en coursCrédit: Tafra
Nombre de réponses reçues par région au cours de la cinquième session de la législature en coursCrédit: Tafra

Un autre aspect significatif de l’activité parlementaire, selon Tafra, est la dynamique entre femmes et hommes députés. Bien que les femmes ne représentent que 24% des parlementaires, elles affichent une moyenne d’engagement plus élevée que leurs homologues masculins. Chaque femme députée a posé en moyenne 9 questions, contre 7 pour les hommes. Ce constat est d’autant plus marquant que les questions des femmes obtiennent un taux de réponse de 24%, contre seulement 17% pour celles des hommes.

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Certaines figures, toutefois, se démarquent clairement dans la dynamique interne des groupes parlementaires. Ainsi, dans le groupe du Parti authenticité et modernité (PAM), Ahmed Touizi, président du groupe, a posé un total impressionnant de 501 questions au cours de cette session, soit 65% des questions de son groupe.

Dans le groupe Rassemblement national des indépendants (RNI), le président du groupe, Mohammed Ghayate, suit cette tendance avec 257 questions, représentant 33% des questions posées par son groupe. À l’inverse, dans l’opposition, des députés comme Said Baaziz du groupe socialiste se démarquent, ayant posé 107 questions, bien plus que le président de son propre groupe, Abderrahim Chahid, avec seulement 5 questions.

Député avec le plus de questions par groupe (présidents de groupe)Crédit: Tafra
Député avec le plus de questions par groupe (hors président)Crédit: Tafra

Le rapport de l’association Tafra dresse un tableau “contrasté” de l’activité parlementaire marocaine. Si les députés, notamment les nouveaux élus et les femmes, se montrent particulièrement actifs dans l’exercice de leur fonction de contrôle, l’exécutif, lui, peine à suivre le rythme, avec un taux de réponse aux questions qui reste dramatiquement bas.

Il existe donc un déséquilibre inquiétant dans la relation entre législatif et exécutif, où l’efficacité du contrôle parlementaire, pourtant cruciale, est compromise par l’absence de réactivité gouvernementale. Il reste à voir si, dans les prochaines sessions, ce déficit sera comblé.