L’Espagne rattrapée par le débat sur l’immigration clandestine

Le débat sur l’immigration clandestine en Espagne, jusqu’alors relativement limité par rapport aux autres pays européens, a fait irruption avec force sur la scène politique à la faveur de l’explosion des arrivées de migrants aux Canaries.

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Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, en août 2024. Crédit: Pedro Sanchez/X

Les déclarations du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez lors de sa visite cette semaine dans trois pays d’Afrique occidentale, ainsi que la volonté de l’opposition de droite d’utiliser un thème qui inquiète de plus en plus l’opinion publique, ont contribué à enflammer le débat.

Compte tenu de l’histoire de l’Espagne, longtemps pays d’émigration, cette question n’y a jamais eu le même poids politique qu’en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni.

Mais les choses sont en passe de changer avec la hausse spectaculaire cette année du nombre de migrants qui, partant des côtes d’Afrique de l’Ouest à bord de rafiots bondés, débarquent quotidiennement dans le petit archipel des Canaries. Ils sont déjà plus de 22.000 depuis le début de l’année, contre moins de 10.000 pour la même période de l’an passé.

C’est cette situation d’urgence qui a conduit, de mardi à jeudi, Sánchez en Mauritanie, Gambie et Sénégal, trois pays directement concernés par cette immigration clandestine, mais qui ne disposent pas des moyens pour empêcher les départs.

Le chef du gouvernement espagnol a défendu l’idée d’une immigration “sûre, ordonnée et régulière”, passant notamment par des accords de “migration circulaire”, c’est-à-dire l’envoi en Espagne de travailleurs formés en fonction des besoins de l’économie espagnole — notamment des saisonniers agricoles — et qui s’engagent ensuite à revenir dans leur pays à l’expiration de leur contrat. Il s’agit là toutefois d’un outil très insuffisant face à la situation aux Canaries.

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En Mauritanie, Sánchez a délivré un message se voulant positif, en affirmant que la contribution des migrants à l’économie espagnole était “fondamentale” et qu’elle était synonyme de “richesse, développement et prospérité”. L’immigration “n’est pas un problème”, mais “une nécessité qui implique certains problèmes”, a-t-il poursuivi.

Le leader du Parti populaire (PP, droite conservatrice), Alberto Núñez Feijóo, n’a pas manqué de répliquer à ces propos en les comparant aux images en provenance des Canaries. “Il est irresponsable d’encourager un effet d’appel au milieu de la pire crise d’immigration clandestine”, a-t-il lancé mercredi sur X, accusant Sánchez de “promouvoir l’Espagne comme pays d’accueil”, “à l’inverse des autres pays de l’Union européenne”, où l’heure est plutôt au durcissement.

Quelques heures plus tard, à Dakar, les propos de Sánchez étaient bien différents de ceux qu’il avait tenus à Nouakchott, comme s’il réagissait à l’attaque de Feijóo.

Rappelant que les mafias de passeurs qui organisent les traversées de migrants ont parfois des liens avec les réseaux terroristes ou les trafiquants de drogue, et soulignant que la sécurité était une “priorité maximale”, il estimait “indispensable le retour de ceux qui sont venus en Espagne de façon irrégulière”. Autrement dit leur expulsion.

C’est un peu contradictoire”, déclare à l’AFP l’analyste Cristina Monge, estimant que le dirigeant avait tenté de trouver une sorte d’équilibre dans ses propos. Sa première intervention était “dans une optique européenne, de droits de l’Homme”, poursuit-elle. Mais quand il évoque des expulsions, “ce qu’il gagne à droite, il le perd à gauche”.

De fait, si le PP s’est félicité avec ironie de cet accent soudain mis sur la sécurité, la gauche radicale, pourtant alliée de Sánchez au sein de la coalition au pouvoir, s’y est immédiatement opposée. “Suivre les mêmes recettes migratoires que la droite est un échec et une erreur”, a commenté sur X la ministre du Travail Yolanda Díaz, numéro trois du gouvernement, sans toutefois nommer Sánchez.

La polémique est appelée à s’intensifier si le nombre des migrants arrivant aux Canaries continue d’augmenter, comme tout le laisse prévoir. D’autant que le PP a durci ses positions sur ce thème, alignant de plus en plus son discours sur celui de Vox, parti d’extrême droite hostile à l’immigration.

Dans la pratique, Sánchez sait toutefois très bien que d’éventuelles expulsions nécessiteraient l’accord des pays d’origine, ce qui n’est en général pas une mince affaire.