La raison ? Il n’a pas nommé de pays, mais on devine dans son récit les contours de l’Arabie saoudite, du Koweït et, plus généralement, des États pétroliers du groupe arabe.
“Un ministre de ces pays m’a dit : John, tu ne peux pas nous demander de nous suicider économiquement…”, s’est-il souvenu en conférence de presse, quelques heures après l’adoption à Dubaï du premier accord de l’histoire des COP à désigner les énergies fossiles, par consensus des 195 parties à l’Accord de Paris. “Je ne pensais pas que nous aurions un accord de cette ampleur, pour être honnête…”. “C’était inespéré”, acquiesce un négociateur européen.
Qui a mis le plus la pression sur la présidence de la COP28 assurée par les Émirats arabes unis ? “Son grand frère”, l’Arabie saoudite, “puis ensuite les Européens et les États insulaires, dans l’autre sens”, racontait un négociateur européen à mi-parcours.
De “sortie” à “transition”
Car l’histoire de la COP28 est celle de ces pays qui ont campé sur une position hostile à toute mention des énergies fossiles face à une coalition inédite de nations réclamant une “sortie” du pétrole, du gaz et du charbon.
L’une des clés du compromis a été de substituer au mot “sortie” (phase-out, en anglais) celui de “transition”, dans le texte finalisé au cours de la dernière nuit par le président de la conférence, Sultan Al Jaber. Un texte “finement calibré”, “imparfait” à la fois pour les petites îles menacées et pour les producteurs de pétrole, a admis un membre de son équipe.
Beaucoup de pays refusaient un “choix binaire” : parler de “sortie” des énergies fossiles ou seulement d’une “réduction”, expliquait cette personne lundi. Le fameux mot de “transition” a été vu comme l’issue.
Malgré ce recul, des États dits “ambitieux”, incluant ceux d’Europe, le Canada, la Colombie, le Chili ou encore le Kenya, estiment avoir obtenu une victoire encore inimaginable il y a un an.
À Dubaï, ces pays divers ont réussi à faire front commun jusqu’aux ultimes heures. Notamment grâce à l’adoption spectaculaire, au premier jour le 30 novembre, de la mise en œuvre du fonds sur les dommages climatiques destiné aux pays vulnérables.
Un sujet très “épineux” évacué dès le début, qui a permis à ces États “ambitieux” du Nord et du Sud de ne plus se chamailler et de livrer ensemble la bataille des énergies fossiles, décrypte un négociateur occidental joint jeudi par l’AFP.
Quand un premier projet d’accord présenté lundi soir par Sultan Al Jaber s’est contenté de parler de “réduction”, cette alliance informelle transcontinentale, associée aux États insulaires, a multiplié les réunions, jusqu’à rencontrer Sultan Al Jaber. Cet ensemble de plus de cent pays a fait peser sur l’Émirati la menace d’une absence d’accord qui aurait été désastreuse.
Ce n’est pas Sultan Al Jaber qui est à l’origine de la mention d’une “transition”. En novembre, les îles du Pacifique ont signé avec l’Australie, un grand producteur de charbon, un texte proche de la formule de la COP28, appelant à opérer une “transition hors du charbon, du pétrole et du gaz” conformément aux préconisations scientifiques pour limiter le réchauffement à 1,5 °C.
Pendant la crise de lundi soir, au cours d’une réunion de tous les pays, ce terme est réapparu dans la bouche… des représentants de l’Australie et de la Norvège, deux pays producteurs occidentaux.
Y a-t-il une différence entre “sortie” et “transition hors” ? Évidemment, reconnaissent les partisans de la “sortie”, tout en la relativisant. Côté français, l’entourage de la ministre présente à Dubaï s’évertuait mercredi à convaincre les journalistes que la bonne traduction de “transitionning away” était la même que celle de “phase out” : “sortir progressivement”.
Le poids de la Chine et des États-Unis
Aucun consensus n’aurait été possible sans l’approbation de la Chine et des États-Unis, qui à eux deux envoient dans l’atmosphère 40 % des gaz à effet de serre d’origine humaine.
Américains et Chinois avaient donné le signal de ce qui leur était acceptable en tant que compromis, un mois avant, dans leur déclaration dite de Sunnylands. Ils y encourageaient l’essor des énergies renouvelables pour accélérer la “substitution” au charbon, au pétrole et au gaz “dans la production d’électricité”.
Premier producteur mondial de pétrole, les États-Unis ne voulaient pas briser ce fragile équilibre avec Pékin, laissant aux “ambitieux” le premier rôle pour plaider la “sortie”. Un manque d’enthousiasme initial, selon leurs alliés européens, plus rassurés ensuite par quelques prises de parole engagées de John Kerry.
Mais la principale contribution des États-Unis a été de s’assurer du soutien final de la Chine, reconnaît ce négociateur. “Et neutraliser la Chine, en soi, c’est un résultat remarquable”, dit-il.
La préparation méthodique des Émirats depuis un an a aussi aidé à éviter un fiasco. La désignation en janvier de Sultan Al Jaber, le patron de la compagnie pétrolière Adnoc, pour présider la COP28 avait provoqué des réactions allant de l’ironie à la fureur parmi les observateurs.
Ses premiers mois ont été dominés par son entêtement à parler de la réduction “des émissions” plutôt que d’appeler frontalement à alléger le poids des énergies fossiles. Ce qu’il a commencé à corriger en juin en parlant d’“inévitable” réduction. Son périple dans plus de 25 pays et l’implication de son équipe ont été perçus favorablement.
“Les Émirats se sont remarquablement comportés, tout le monde a été inclus dans tout le processus”, confie jeudi à l’AFP Pedro Luis Pedroso, le diplomate cubain qui préside l’incontournable groupe G77+Chine, comprenant 134 pays en développement.”Honnêtement, je ne pense pas qu’ils soient venus à la COP avec un texte pré-écrit”, poursuit-il.
Le mois précédent, plus de 40 consultations ont été menées par l’équipe émiratie de négociateurs, dirigée par Hana AlHashimi.
L’an dernier, les Égyptiens avaient été par comparaison très critiqués. “Nous sommes tous fatigués, sauf vous, monsieur le président”, avait lancé le commissaire européen Frans Timmermans en clôture de la COP27. Cette année, la fatigue était, au moins, universellement partagée.