Taxe carbone : les jalons d’une nouvelle ère pour la fiscalité verte

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne (UE) révolutionne la durabilité industrielle et ne sera certainement pas sans effet sur l’entrepreneuriat au Maroc qui passe à la vitesse supérieure en matière d’accélération industrielle, notamment avec le Projet de loi de finances (PLF) de l’année 2024 qui entend conduire un chantier important relatif à la mise en place d’une taxe carbone.

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Ce mécanisme, mis en place début octobre pour une phase d’essai transitoire, marque un tournant dans l’environnement des affaires au Maroc qui, grâce à l’attendu chantier fiscal de taxe carbone, ainsi que les partenariats économiques du Royaume et ses objectifs en matière de durabilité et d’énergies renouvelables, dispose d’opportunités pour faire émerger un écosystème vert et ouvert sur l’économie mondiale.

“L’année 2024 verra l’étude de la mise en place d’une taxe carbone au Maroc conformément aux dispositions de l’article 7 de la loi-cadre n°69-19 portant réforme fiscale”, révèle le Rapport d’exécution budgétaire et de cadrage macroéconomique triennal.

Ce rapport publié par le ministère de l’Économie et des Finances laisse entendre que l’introduction d’une taxe carbone pour maintenir et renforcer la compétitivité des entreprises marocaines figure parmi les priorités du gouvernement pour le budget 2024, ce qui s’aligne avec le MACF, initié afin de soutenir les efforts mondiaux de transition vers une économie verte.

C’est dans ce sens que Ilyas Soulali, spécialiste en droit de l’environnement et développement durable, a estimé que l’entrée en vigueur de ce projet de droits de douane appelle les entreprises marocaines à rendre leurs pratiques industrielles plus propres.

En effet, cette taxe intervient avec l’approbation des dispositions du PLF-2024, lequel prévoit la consolidation de la durabilité de la finance publique.

D’ailleurs, l’Exécutif entend poursuivre en 2024 les réformes fiscales, notamment en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée et la mise en œuvre de la loi relative à la réforme des établissements et entreprises publics.

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“L’augmentation de la taxe carbone et l’incitation des entreprises à accroître leurs investissements écologiques pourrait entraîner une augmentation des coûts pour les entreprises qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre”, a fait remarquer Soulali, insistant sur l’importance de la préparation de l’environnement des affaires marocain à ces changements.

Il a toutefois souligné qu’à long terme, ces investissements écologiques stimuleront l’innovation et le développement de produits et de services à faible impact environnemental, ce qui pourrait contribuer à la croissance économique tout en réduisant l’empreinte carbone globale de l’industrie.

Certes, la neutralité carbone constitue le futur de l’économie mondiale, mais qui dit fixation du prix sur le carbone émis, dit augmentation des coûts de production. Les entreprises seront-elles en mesure de résister, équitablement, à la concurrence des produits fabriqués dans des pays où la pollution n’a pas le même prix ?

À cet égard, Soulali a mis l’accent sur la nécessité de tenir compte des coûts initiaux liés à la mise en conformité et à la transition vers des technologies plus propres.

“Il est essentiel que le gouvernement marocain mette en place des politiques d’accompagnement pour soutenir les entreprises dans cette transition, notamment des incitations fiscales et des programmes de formation, ainsi que des subventions à la recherche et au développement. Ces mesures peuvent aider à maintenir le volume de production tout en favorisant la durabilité”, a-t-il expliqué.

Quid de l’équité fiscale ?

Cet outil de régulation environnementale constitue un moteur externe efficace pour accélérer la transition énergétique en Europe et ailleurs, mais les défis de la taxe carbone sont partagés par d’autres politiques environnementales existantes, au Maroc notamment, dans la mesure où la réglementation pèse de manière disproportionnée sur les entreprises de petite taille et sur les personnes à faible revenu, et où ces réglementations peuvent exercer une pression sur les coûts des entreprises industrielles, les obligeant ainsi à dépenser davantage pour des produits verts.

L’année 2024 sera, selon ledit rapport, dédiée à la conception de la taxe carbone au Maroc à travers, notamment, la délimitation de son périmètre et la détermination des modalités de son application en concertation avec les départements ministériels concernés, et via l’appui technique des institutions financières internationales. Des mesures qui vont permettre de prendre en considération la taille des entreprises et leurs secteurs d’activité.

“Sur le plan environnemental, la taxe carbone devrait encourager les entreprises du secteur industriel marocain à adopter des technologies plus propres et à améliorer leur efficacité énergétique, ce qui pourrait inclure la réduction des déchets, la gestion de l’eau plus efficace et la préservation des ressources naturelles. Cela contribuera à l’atteinte des objectifs nationaux de réduction des émissions et à la lutte contre le changement climatique”, a indiqué l’expert, notant que l’équité fiscale en termes de tarification du carbone demeure une préoccupation importante.

D’après Soulali, toutes les entreprises ne sont pas égales en termes d’intensité énergétique, de ressources financières ou de capacité à réduire rapidement leurs émissions, car les entreprises varient considérablement en termes d’intensité énergétique.

Certaines industries, telles que la production d’acier ou de ciment, nécessitent des quantités importantes d’énergie et peuvent avoir des émissions de carbone élevées par unité de production, tandis que d’autres secteurs, comme les entreprises technologiques, peuvent avoir une empreinte carbone beaucoup plus faible.

Les TPE plus vulnérables à la taxe carbone

Il a dans ce sens estimé que les petites entreprises peuvent être plus vulnérables à la tarification du carbone, car elles ont souvent des ressources financières limitées pour investir dans des technologies propres, préconisant des mécanismes pour les soutenir, tels que des seuils d’émission équitables ou des exemptions pour les entreprises de petite taille.

Pour améliorer l’équité fiscale, de nombreux pays réinvestissent les recettes de la tarification du carbone dans des programmes sociaux, des incitations pour les entreprises à réduire leurs émissions ou des remboursements directs aux ménages. Cela peut aider à atténuer l’impact économique disproportionné sur les groupes vulnérables et à favoriser une réduction équitable des émissions”, a précisé l’expert.

Pour lui, la transition vers une économie à faibles émissions de carbone peut améliorer la stabilité à long terme de l’économie en réduisant la dépendance aux ressources non renouvelables et en atténuant les risques liés aux changements climatiques.

“Les marchés financiers internationaux montrent également un intérêt croissant pour les investissements durables. Les obligations vertes, les fonds d’investissement socialement responsables et d’autres instruments financiers axés sur l’impact environnemental attirent de plus en plus d’investisseurs. Le Maroc pourrait tirer parti de ces tendances pour attirer des investissements verts”, a-t-il dit.

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Afin de consolider ces investissements verts et neutres en carbone, l’expert a recommandé de maintenir des politiques de tarification du carbone prévisibles et stables pour donner confiance aux investisseurs à long terme, de faciliter la collaboration entre le gouvernement, les entreprises et la société civile pour élaborer des politiques et des initiatives communes visant à promouvoir les investissements verts et de réévaluer régulièrement les politiques et les incitations pour s’assurer qu’elles restent efficaces et adaptées aux évolutions du marché.

La tarification du carbone devrait, en effet, faire partie d’une stratégie globale d’atténuation des émissions. Concrètement, l’utilisation des revenus de la tarification du carbone pourrait être un moyen pour stimuler l’économie et contrecarrer les dommages économiques causés par la montée en flèche des prix des carburants.

(avec MAP)