Habitué des coups d’éclat et des “remontadas”, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a été reconduit jeudi au pouvoir à la faveur d’un pari plus risqué que jamais : l’adoption d’une amnistie exigée par l’indépendantiste catalan Carles Puigdemont.
J’ai appris à donner le maximum jusqu’à ce que l’arbitre siffle la fin de la rencontre”, assurait le chef de file du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), ancien basketteur amateur, dans une autobiographie publiée en 2019 (Manuel de résistance).
Donné pour mort politiquement par de nombreux sondages après la débâcle de la gauche aux élections locales du 28 mai, le responsable de 51 ans, l’un des rares socialistes actuellement à la tête d’un gouvernement européen, n’a pas ménagé ses efforts au cours des derniers mois pour conserver son poste, qu’il occupe depuis juin 2018.
Arrivé derrière son rival conservateur Alberto Núñez Feijóo aux législatives du 23 juillet, qu’il avait convoquées de façon anticipée au lendemain du 28 mai, Pedro Sánchez a multiplié les tractations pour former une majorité, après l’échec du chef de file de la droite à être investi Premier ministre.
Le socialiste a ainsi obtenu le soutien de l’extrême gauche, avec qui il gouverne depuis trois ans, mais aussi des partis indépendantistes, dont la formation de Carles Puigdemont, au prix d’importantes concessions.
Principale d’entre elles : une loi d’amnistie pour les indépendantistes impliqués notamment dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017, à laquelle il s’était opposé par le passé, mais qu’il s’est désormais engagé à faire voter dans les prochaines semaines, malgré les tensions suscitées dans le pays par ce projet.
Un nouveau mandat “très compliqué”
Réputé pour son “flair politique”, Pedro Sánchez “a réussi” son pari, mais son nouveau mandat sera “très compliqué”, souligne Paloma Roman, politologue à l’Université Complutense de Madrid.
Sourire charmeur et télégénique, le Premier ministre — surnommé “El guapo” (“le beau gosse”) au début de sa carrière en raison de son physique à la Cary Grant — est en effet un habitué des coups de poker, qui lui ont permis de se sortir de situations difficiles à plus d’une reprise.
Né le 29 février 1972 à Madrid d’une mère fonctionnaire et d’un père entrepreneur, cet économiste — dont la thèse a été accusée de plagiat, ce qu’il a toujours nié — a pris en 2014 les rênes du PSOE à l’issue des premières primaires de cette formation.
Relativement novice et méconnu, il émerge alors en se positionnant comme un “militant de base”. Mais cette première expérience se solde par un échec : le parti enregistre les pires résultats électoraux de son histoire et ses cadres le poussent vers la sortie.
Alors que beaucoup annoncent la fin de sa carrière politique, Pedro Sánchez parvient à reprendre la tête du PSOE à peine six mois plus tard, après avoir sillonné l’Espagne dans sa Peugeot 407 pour aller à la rencontre des militants, qui lui apportent leur soutien.
Cette ténacité le conduit au pouvoir en juin 2018 après un nouveau coup de poker : rassemblant autour de sa motion de censure l’ensemble de la gauche et des partis basques et catalans, il renverse le Premier ministre conservateur Mariano Rajoy, plombé par un scandale de corruption, et prend sa suite.
À la tête d’une majorité instable, il est contraint de convoquer deux élections législatives consécutives en 2019, qu’il remporte. Puis d’accepter début 2020 un mariage de raison avec ses anciens frères ennemis de Podemos (gauche radicale) pour se maintenir de façon pérenne au pouvoir.
Gouvernant en minorité, il est parvenu en cinq ans à réformer le marché du travail et les retraites, à augmenter de 50 % le salaire minimum et à instaurer une loi réhabilitant la mémoire des victimes de la Guerre civile (1936-1939) et de la dictature de Franco (1939-1975).
Mais son action a pâti des tensions récurrentes avec ses alliés de gauche radicale et de critiques sur ses alliances avec les indépendantistes. Des reproches qui risquent de redoubler avec la loi d’amnistie, critiquée par certains au sein même du PSOE.
Sánchez “n’a jamais connu de situation facile”, mais sa position actuelle est “la plus compliquée qu’il ait connue”, juge Paloma Roman, pour qui la majorité rassemblée par le socialiste est “trop hétérogène” pour qu’il puisse être “tranquille”.