Les analyses se limitent généralement aux effets négatifs des chaleurs sur le rendement des récoltes, sur des mois ou des années. Mais cette étude, publiée dans le journal Nature Human Behaviour, révèle que les effets peuvent en réalité être immédiats lorsqu’on envisage la privation de revenus pour les travailleurs pauvres.
“S’il fait chaud aujourd’hui, l’insécurité alimentaire peut arriver en quelques jours parce que les gens ne peuvent pas travailler, ne gagnent pas d’argent et n’ont donc pas les moyens de s’acheter à manger”, a expliqué à l’AFP l’autrice principale de ces travaux, Carolin Kroeger de l’université d’Oxford.
Selon son étude, une semaine de températures extrêmes en Inde signifie par exemple que huit millions de personnes supplémentaires seront confrontées à une insécurité alimentaire grave. Sur les 150 pays examinés — en particulier dans les zones tropicales et subtropicales — la même vague de chaleur peut ainsi conduire des millions de personnes à connaître la faim.
La vulnérabilité porte surtout sur ceux qui exercent des métiers pour lesquels les travailleurs sont payés à la pièce ou au rendement.
Des femmes du Bengale occidental (Inde) sont par exemple payées selon le nombre de briques qu’elles transportent chaque jour. Lorsque des températures suffocantes les contraignent à charger moins de briques, elles peuvent perdre jusqu’à 50 % de leur revenu.
Une difficulté récemment illustrée dans un reportage de l’AFP dans le nord-ouest de la Syrie, où le forgeron Mourad Haddad doit se lever tôt pour éviter une chaleur insupportable. “La chaleur nous tue. J’ai six enfants, et je peux à peine subvenir à leurs besoins. Si on ne travaille pas, on ne peut pas joindre les deux bouts”, raconte-t-il.
“On trouve les effets les plus importants dans les pays à bas revenus, avec plus d’emplois agricoles ou vulnérables”, détaille Carolin Kroeger.
470 milliards d’heures de travail — soit l’équivalent de près d’une semaine et demie de travail par personne dans le monde — ont été perdues en 2021 en raison des chaleurs extrêmes.
Ces conclusions interviennent alors que les prix alimentaires sont soumis à l’inflation consécutive à l’invasion russe de l’Ukraine et un mois après la décision de l’Inde, premier exportateur de riz, de réduire ses exportations en raison de mauvaises récoltes.
Les chercheurs se sont aussi rendus compte que la hausse des températures a causé un déclin de nutriments essentiels dans de nombreuses cultures qui servent à nourrir la planète.
“Beaucoup de records de chaleur ont été battus ces deux dernières années donc je pense que certaines choses vont empirer”, prédit Carolin Kroeger. “Mais certaines choses pourraient aider comme des micro-assurances ou une amélioration du droit du travail”, souligne-t-elle.
Selon le Giec, les experts internationaux du climat qui travaillent sous l’égide de l’ONU, des centaines de millions de personnes souffriront d’au moins 30 “journées de chaleur mortelle” chaque année d’ici 2080. Et cela même si le monde parvient à respecter l’accord de Paris et à limiter le réchauffement mondial bien en dessous de 2 °C.