Le marché s’essouffle complètement. C’est traditionnellement une période calme, en attendant les nouvelles récoltes de l’hémisphère nord. Les prix continuent de se replier parce qu’il y a une offre abondante de blé russe”, commente Gautier Le Molgat, analyste au cabinet Agritel.
Le monde est “moins inquiet” de la guerre, car les conditions de cultures sont actuellement bonnes en Europe et “les marchés sont plus obnubilés par l’inflation (qui pèse sur la consommation, ndlr) et la baisse des taux d’intérêt” que par le devenir du corridor ukrainien, souligne-t-il.
Sur le marché européen, la tonne de blé tendre pour livraison en septembre s’échangeait mercredi autour de 233 euros, à son plus bas niveau depuis janvier 2022. Le maïs s’affichait à 228 euros la tonne pour livraison en juin, son niveau de fin novembre 2021. À la Bourse de Chicago, le repli était aussi sensible, notamment pour le maïs.
“Le marché se fait à l’idée que la récolte (américaine) de maïs et de soja va être abondante. Il n’y a aucun événement défavorable attendu sur le plan météorologique jusque fin juillet au moins”, indique Dewey Strickler d’Ag Watch Market Advisors.
Les exportations américaines continuent par ailleurs de souffrir de la concurrence brésilienne. La Chine a annulé mardi une commande 272.000 tonnes de maïs américain, la troisième annulation en trois semaines, pour un total de plus de 800.000 tonnes. “Les Chinois ont acheté ce maïs américain comme une assurance (en cas de hausse des prix), mais la récolte brésilienne s’annonce abondante et ils annulent”, note Dewey Strickler.
Face à des exportations américaines inférieures à la moyenne et une reconstitution des stocks, l’inquiétude quant à une fermeture du corridor ukrainien n’a pas d’impact sur les prix.
L’éventuelle fin de l’accord “apporterait du soutien au maïs et au blé. Mais pour le maïs, le marché est toujours lesté par l’ampleur de la récolte brésilienne”, ce qui “empêche tout rebond à court terme”, pour Dax Wedemeyer (US Commodities).
À huit jours de la fin de l’actuel accord pour ce corridor maritime, signé en juillet dernier par la Russie et l’Ukraine sous l’égide de la Turquie et de l’ONU, les discussions, qui reprenaient ce mercredi en Turquie, s’annoncent tendues.
L’ouverture de ce couloir maritime, le 1er août, a permis de sortir près de 30 millions de tonnes de produits agricoles d’Ukraine, à destination de la Chine, de la Turquie, de l’Union européenne, mais aussi de pays fragiles et très dépendants des importations de la mer Noire, comme l’Égypte, la Tunisie, le Bangladesh ou le Yémen.
Depuis des semaines, la Russie prévient qu’elle n’acceptera un renouvellement de l’accord que si ses exigences sont satisfaites. Moscou exige notamment la reconnexion de sa banque spécialisée dans l’agriculture Rosselkhozbank au système bancaire international SWIFT, la levée des entraves pour assurer ses navires, le dégel des actifs de sociétés russes liées au secteur agricole et la reprise du fonctionnement du pipeline Togliatti-Odessa pour les livraisons d’ammoniac, un composant chimique essentiel de l’engrais minéral.
Sur le terrain, les inspections de navires dans le Bosphore — supervisées par le Centre de coordination conjoint basé à Istanbul — ont nettement ralenti depuis le mois d’avril, s’arrêtant même pendant deux jours cette semaine en l’absence des inspecteurs russes.
“Il y a une forme de pression liée aux inspections, qui accompagne des discussions difficiles. Mais si la situation est très différente de celle de l’an dernier à la même période parce que l’Ukraine a déjà exporté beaucoup”, souligne Damien Vercambre, de la maison de courtage Inter-Courtage.
Plusieurs analystes, européens comme américains, pensent désormais possible un arrêt du corridor, mais estiment que son effet sur les marchés serait atténué par une offre céréalière abondante, et du fait de la capacité de l’Ukraine à exporter via des “corridors de solidarité” européens, en dépit des protestations récentes de pays comme la Pologne ou la Roumanie.