Dans ce documentaire, qui pointe la violence des forces de l’ordre marocaines et questionne l’action des garde-civils espagnols, la BBC évoque une vidéo montrant “au moins un mort sur le sol de l’entrée” du poste-frontière séparant le Maroc de l’enclave espagnole “et d’autres corps sans vie sortis de là par les forces de sécurité marocaines”. Le groupe audiovisuel britannique indique avoir eu la confirmation par les autorités espagnoles que cette zone était “sous leur contrôle”.
Quatre mois après les faits, ces nouvelles révélations ont provoqué en Espagne une volée de critiques contre le gouvernement et son ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska. “Il faut aller jusqu’au bout et notre première exigence est le visionnage de ces images ici au sein de la Chambre des députés et la comparution urgente du ministre”, a lancé la numéro deux du Parti populaire (droite), principale formation d’opposition, Cuca Gamarra.
“Ce reportage est un coup très dur pour la version officielle des faits”
“Ce reportage est un coup très dur pour la version officielle des faits”, a estimé Jaume Asens, président du groupe parlementaire Podemos, formation de gauche radicale alliée des socialistes du Premier ministre Pedro Sanchez au sein du gouvernement. “Il y a beaucoup de doutes”, a-t-il ajouté, en appelant à la création d’une commission parlementaire d’investigation.
Dans un message remis mercredi à la presse, le ministère de l’Intérieur espagnol a attaqué la BBC, jugeant “décevant et surprenant que des accusations d’une telle gravité soient formulées sans aucune preuve”.
“Absolument personne, que cela soit la Garde civile (espagnole), la Gendarmerie (marocaine), le parquet ou le Défenseur des droits ne soutient que les morts ont eu lieu en territoire espagnol”, a poursuivi le ministère, affirmant de nouveau que les forces de l’ordre espagnoles avaient agi “de manière proportionnée et conforme à la loi” face à un “assaut violent”. Contacté par l’AFP, un porte-parole de la BBC a assuré que le groupe audiovisuel “maintenait ses informations”.
Le 24 juin, près de 2000 migrants originaires en majorité du Soudan, pays très pauvre miné par les conflits, avaient tenté de franchir la frontière séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Melilia. Au moins 23 d’entre eux ont péri, selon le bilan des autorités marocaines. Mais des experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ont évoqué lundi un bilan d’au moins 37 morts. L’AMDH, la principale association indépendante de défense des droits humains au Maroc, évoque, elle, au moins 27 morts.
Madrid et Rabat avaient justifié la fermeté de leur réponse par la violence des migrants. Mais des vidéos publiées sur les réseaux sociaux après les faits avaient montré des migrants gisant sur le sol et frappés par des agents marocains.
Ce drame, le plus meurtrier jamais enregistré lors d’une des nombreuses tentatives d’intrusion de migrants à Melilia et dans l’autre enclave espagnole de Sebta qui sont les seules frontières terrestres de l’UE en Afrique, avait déclenché l’indignation internationale. L’ONU avait dénoncé un usage “excessif” et “inacceptable” de la force.
Ce drame est intervenu un peu plus de trois mois après la reprise de la coopération migratoire entre Rabat et Madrid, à la suite de la réconciliation scellée mi-mars entre les deux pays après un an de brouille diplomatique. À la veille de la publication du documentaire de la BBC, les experts indépendants de l’ONU avaient jugé “alarmant qu’il n’y ait toujours pas de responsabilité concrète plusieurs mois après” ce drame.
Deux enquêtes sont menées en Espagne par le ministère public et par l’équivalent espagnol du Défenseur des droits. Dans ses premières conclusions, ce dernier avait estimé mi-octobre que l’Espagne n’avait pas respecté les “garanties légales” dont devaient bénéficier les migrants, dont 470 avaient été ce jour-là reconduits à la frontière à Melilia.